FAIT DU SOIR De l'appel de la rue au partage de l'art
Tom Brikx a une palette de 60 couleurs et ses briques sont des oeuvres de street art, d'art. À Nîmes et à Alès, il est venu poser cinq de ses créations mêlant Nimeño II, Pañolero, Julien Doré, Audrey Lamy et Claudia Tagbo. Explications.
Se voir ou téléphoner, comment procéder ? "Je ne fais jamais voir mon visage, c'est compliqué ! En plus je ne suis qu'un pauvre parisien... En tout cas, j'ai adoré venir dans le Gard, les gens disent bonjour, quelque chose qu'on ne connaît pas à Paris !" Tom Brikx l'annonce : la rencontre sera téléphonique mais le bonhomme a l'air tout à fait sympathique, loin d'être perché sur un nuage. En tout cas la brique en plastique est son univers et ça, c'est peu commun.
"La démarche artistique de Brikx revisite la modernité, le recours au Lego, matière brute, tel un clin d’œil intergénérationnel", évoque Martine Leblond-Zola, l'arrière-petite-fille du grand Émile. Street artiste et portraitiste urbain depuis 18 ans, Tom Brikx sort du mouvement graffiti des années 1980 où il habitait alors à New York avec ses parents. C'est là, dans la couleur, la crasse et l'odeur de la bombe qu'il s'imprègne et trouve un écho à cet art.
Né en 1974, jeune à l'époque de ces premiers émois "ruesques", c'est peut-être la transgression qui l'attire en plus du reste. "Ado, j'aimais déjà tout ça ! Puis, à Paris, quand mes parents sont venus y vivre, j'étais beaucoup dans le métro mais je n'ai jamais eu de souci avec la Police." Chose intéressante qui mérite d'être vite approfondie : "Je colle toujours en journée, tout le monde peut me voir, si la Police s'arrête, je descends de mon échelle, j'explique ce que je fais, je montre le projet."
Après ces premiers coups de bombes, il retombe en enfance. Enfin presque, pas tout à fait car il va d'abord devenir adulte. Il se rappelle d'une chose, ses Lego. "J'ai une vie de famille, ça a calmé ma période graffiti, mais j'ai toujours gardé le street art en tête, je suis resté dans la branche et j'étais déjà fan de Lego. Petit, j'en avais des seaux, j'adorais faire un dinosaure au lieu d'une maison, ce matériel évolue à volonté, on n'est pas guidé par une notice !" Toujours cet esprit de rébellion, même sur des Lego, coriace le bougre. Il avait d'ailleurs demandé à ses parents de ne jamais les jeter car il y était trop attaché.
"Jeune adulte, j'ai fait ma crise de la quarantaine vers la trentaine et j'ai ressenti l'appel de la rue, le fil conducteur de ma vie. Je voyais une galerie d'exposition à ciel ouvert et je me suis dit, pourquoi ne pas assembler Lego, création et rue ?" Certes, l'idée est belle mais elle impose nombre d'embûches, notamment quand dans notre charmant monde on parle de Copyright ou de droit à l'image.
Pour Lego, voilà quelques années, Tom Brikx avait contacté l'équipe française qui n'était pas intéressée. Plus tard, une fois que ses créations se sont retrouvées un peu partout à travers le monde et que l'artiste commençait à coter, la firme est revenue vers lui. Pas moyen, le partenariat "était trop contraignant pour ma liberté d'artiste." En gros et en 18 ans, Tom Brikx n'a eu des problèmes qu'avec trois personnes en France, Brigitte Bardot, Clara Morgane et une autre dont l'artiste ne se souvient guère du patronyme. Il faut dire que les avocats de BB étaient même venus en salle, chez Drouot, pour arrêter la vente ! "Mais tout s'est fini comme ça avait commencé, sans problème. J'ai fait le portrait de plus de mille personnalités à travers le monde et dans la rue, je n'ai jamais de problème car la notion de d'enrichissement personnel n'est pas valable."
Comment Tom Brikx choisit-il ses personnalités et l'endroit où il va les faire rayonner ? "Je choisis un village, une ville ou une région mais ça peut aussi être une personnalité en lien avec une rue ou un espace urbain. Je me balade toujours avec un portrait. Quand je suis en vacances, je cherche. C'est ce que j'ai fait ici !" Tom était Gardois quelques jours, le temps d'y retrouver sa famille entre Nîmes et Alès, le temps de "coller" quelques unes de ses créations bien pensées.
"Je n'avais jamais rien fait dans le Gard et j'ai vu qu'à Nîmes le street art était en plein développement, c'est génial ! Je voulais diversifier les choses alors je suis allé du côté des arènes. J'ai mis un Nimeño II, et face à lui, le dernier toro qui l'a blessé Pañolero. C'était très significatif même si cet accident n'a pas eu lieu à Nîmes. Cet homme était très apprécié et connu, il est au bon endroit. Je ne suis pas polémique sur la question, il n'y a pas de parti pris, le toro est juste légèrement au-dessus."
Mais à Nîmes, le maestro décédé il y a bientôt 30 ans, n'est pas la seule idole d'un peuple en manque de spectacle et de lien social. Julien Doré est quant à lui représenté par Tom Brikx au coeur du quartier Gambetta. "Il n'est pas Nîmois mais je préfère le voir ici ! C'est une figure parlante et quand je mettais son portrait, les gens s'arrêtaient et le reconnaissaient parfaitement ! Un enfant croyait que c'était une photo, sa mère s'est approchée et lui a dit que c'était en Lego, c'était drôle ! J'aime voir la réaction des gens." Autre problème pour ce "vandale" du partage artistique, l'arroseur peut être arrosé. Pour éviter un maximum les dégradations de ses oeuvres, ses collages sont hauts perchés et il faut lever la tête pour les voir. Tant mieux, on regarde trop souvent nos pieds. "Je vais certainement en mettre plus dans le Gard !"
À Alès, le choix est aussi très spécial. Audrey Lamy et Claudia Tagbo. Si l'on sait à peu près tous que la première est alésienne, peu font le choix d'Audrey par rapport à son aînée quand il s'agit de parler de personnalité. Pour la seconde, l'humoriste a fait une grande partie de ses études dans la ville des Gueules noires. "Leur histoire m'intéressait et comme j'en ai marre des gens morts et des hommes, les voilà !"
Mais pourquoi donc voyager à travers la planète entière afin de fixer à des murs des portraits de personnalités faits en Lego ? Et pourquoi Tom Brikx est Tom Bikx ? "Je ne me suis jamais posé la question mais j'aime laisser une trace et partager. J'aime quand les gens s'interrogent, quand ça pose des question." D'accord, mais pourquoi laisser une trace via un pseudonyme ? Même quand on aime le subversif, c'est étonnant ! "Bon, pour Tom, je ne suis pas loin, mais pour le reste je ne pouvais pas m'afficher si je voulais éviter les ennuis. Maintenant que ça fonctionne je ne suis peut-être pas obligé. Allez, un jour je mettrai mon nom !"
Avant de repartir vers d'autres couleurs et d'autres vies, vers d'autres auteurs et d'autres villes, donnons une carte blanche à l'invité du jour. "Dans le Gard, tout s'est vraiment bien passé. Les gens ont été adorables et je ne me suis jamais senti mal à l'aise quand je collais les portraits. Malgré l'ambiance Covid, c'était très sympa ! Maintenant, je fais des formats 30cmX30cm, c'est facile à emporter et ultra rapide à coller. J'entame un partenariat pour faire des grandes oeuvres de 4mX4m ! C'est la direction que je prends, j'ai fini un maître Yoda de ce format, il est composé de 500 000 pièces ! Les oeuvres XXL, j'ai envie de ça, j'en ai déjà dans la poche et pourquoi pas voir avec Nîmes pour en faire une chez vous ? J'ai déjà repéré des lieux pour ça !" To be continued...