L'INTERVIEW Monseigneur Nicolas Brouwet, évêque de Nîmes : "Sortir du silence et permettre la parole"
En octobre 2021, la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) avait remis un rapport faisant notamment état de 216 000 victimes mineures ayant subi des violences sexuelles au sein de l'Église catholique en France depuis les années 1950. Un an après, l'évêché de Nîmes vient de publier une charte de protection des mineurs et des personnes vulnérables en collaboration avec Jessica Tiv, déléguée diocésaine, dont la mission est de sensibiliser le diocèse à la protection des mineurs depuis mars 2022. Monseigneur Nicolas Brouwet, évêque de Nîmes, Uzès et Alès, explique de quoi il s'agit.
Objectif Gard : Monseigneur Brouwet, pouvez-vous présenter cette charte ?
Monseigneur Brouwet : Cette charte donne des règles générales sur le comportement, le langage, la tenue vestimentaire ou le contact physique... Comment se comporter de manière générale vis-à-vis des mineurs et des personnes fragiles. Elle rappelle aussi la loi française sur les abus sexuels et donne quelques règles sur le signalement des abus. Cette charte donne le cadre légal de notre République. Et puis elle s’adresse aux différents acteurs de la pastorale, les prêtres et religieux (100 prêtres et 34 curés dans le Gard, NDLR). Mais il y a aussi simplement des laïcs qui sont en responsabilité dans les catéchistes, les femmes et les hommes dans les paroisses ou encore les animateurs d’aumônerie. Tous ceux qui s'occupent des personnes en précarité. Sans oublier, l'enseignement catholique qui compte 22 000 élèves dans le Gard. Il y a un travail à faire en partie avec les chefs d’établissement et les assistants pastoraux scolaires. Ce n'est pas un document juridique mais plutôt, pour nous, un moyen de s’engager. Un support pour susciter ensuite des formations et un moyen de donner la parole.
Votre volonté est de libérer la parole...
On fait une charte pour mettre des mots sur ces réalités qui sont difficiles à nommer dont on n'est pas habitué à parler. Cela permet de donner un vocabulaire pour s’exprimer mais aussi le droit et l’espace pour le faire. La parole peut sortir et s'exprimer. On peut commencer à dire des choses dont on a jamais parlé. Il y a des choses qui vont remonter et des questions qui vont être posées. C'est le travail le plus urgent et le plus important. L'idée c'est de propager une culture du respect des mineurs et des personnes fragiles en donnant la parole à partir de cette charte. Dans un deuxième temps, on proposera même une conférence avec tous les acteurs concernés.
Pourquoi avez-vous demandé la rédaction de cette charte ?
C'est quelque chose que j'avais mis en place lorsque j'étais dans le diocèse de Tarbes et Lourdes et qui a été repris dans d'autres diocèses. Donc je me suis basé sur celle-là pour établir celle du Gard en actualisant sur ce que l'on avait appris. C'est quelque chose qui avait été fait avant le rapport. À Lourdes, on avait une charte pour le sanctuaire parce que les Anglo-Saxons qui fréquentent beaucoup Lourdes, sont très en avance sur ces questions de la protection des mineurs. Ils avaient poussé à ce qu'il y ait un règlement interne. Cette charte s'est ensuite répandue.
"On n'est plus tout seul et on sait comment agir"
Comment a-t-elle été accueillie au sein de votre diocèse ?
Les prêtres ont bien accueilli cette charte et se sont rendus plutôt disponibles. Du côté des laïcs, c'est plus compliqué. J'avais remarqué cela à Tarbes et Lourdes. Les prêtres sont sensibilisés depuis plusieurs années à cause de tout ce qu'il s'est passé. Il y a une difficulté dans un premier temps pour les laïcs de dire : "nous sommes concernés par cette question, ce n’est pas que la question des prêtres. C'est aussi une question qui nous touche." Il faudra du temps. Là on a une réaction de résistance. Il va falloir que la personne accepte de lire cette charte et les comportements qu'elle ne puisse pas avoir.
Depuis un an avez-vous eu des témoignages de personnes ayant subi des abus sexuels au sein de l'Église catholique ?
Depuis le rapport de la Ciase, des personnes sont venues. La plupart avait déjà parlé sauf une. Donner la parole est assez important et voir comment la parole est prise au sérieux. Car c'est souvent cela qui a manqué. Quand la parole a été prise, elle n'a pas été considérée et rien n'a été fait. Il n'y a pas eu de suite. Ce que l'on apprend à faire aujourd'hui, c'est d'écouter et dire que l’on croit la personne. Je me suis rendu compte que c'est un moment important de dire : "je vous crois." Et ensuite ne pas laisser la personne seule. Le seul cas que l'on a reçu depuis c'était une personne qui a parlé à propos d'un prêtre décédé qui avait déjà été condamné pour d'autres faits. C'est beaucoup plus simple de donner la parole quand on a justement des structures qui permettent de l'accueillir et de l'accompagner. Ce qu'il s'est passé pendant longtemps c'est qu'au fond la personne était face à l'évêque et il n'y avait rien qui se passait. Là on a une cellule d'écoute et on a appris à travailler avec les procureurs de Nîmes et d'Alès ainsi qu'avec l'association d'aide aux victimes. Et cela fonctionne bien. On n'est plus tout seul et on sait comment agir.
Pensez-vous qu'elle permettra vraiment d'empêcher de nouveaux abus ?
Je ne pourrai jamais empêcher qu’il se passe quelque chose. On ne peut pas mettre des caméras partout. C'est une sorte de vigilance intérieure. Comme toute loi, elle doit être intériorisée. Que cette vigilance soit entendue et appliquée de manière spontanée. Ce n'est pas une carapace qui empêche de bouger mais c'est un squelette qui vous fait tenir droit et de s'exercer avec souplesse. Ça peut permettre de reprendre quelqu'un qui n'a pas le bon comportement. Je me rappelle d'un jeune prêtre dans un train qui avait pris un enfant sur ses genoux. Je lui avais dis : tu ne peux pas faire ça, même par jeu. Au fond le but c’est de faire passer de "la question ne m’intéresse pas" à "je suis concerné par le problème". On va donc sortir du silence et permettre la parole.
Propos recueillis par Corentin Corger