ALÈS Le président des Prud’hommes, Arnaud Bord : « Malheureusement, la vague arrive ! »
Président du conseil des Prud’hommes, Arnaud Bord nous explique le fonctionnement de sa juridiction en période de crise sanitaire.
Objectif Gard : Pouvez-vous nous rappeler la fonction des Prud’hommes ?
Arnaud Bord : On parle de conseil des Prud’hommes. Cette juridiction, composée de magistrats, s’occupe des litiges entre employeurs et employés. Il y a deux conseils dans le Gard : un à Nîmes et l’autre à Alès qui gère aussi les affaires du Vigan. Ces conseils sont composés à parité, de représentants des employeurs et des salariés, issus des syndicats représentatifs. Je préside celui d’Alès depuis janvier 2020. Nous traitons par an 250 à 300 dossiers. En 2021, la présidence sera attribuée à un employeur. Moi, je serai vice-président. C'est une alternance paritaire.
Comment travaillez-vous dans ce contexte de crise sanitaire ?
D’abord, il y a eu le premier confinement où nous avons pris, tout de suite, la décision de fermer le conseil par mesure de sécurité vis-à-vis des conseillers et du personnel de greffe. Au départ, le Gouvernement ne nous avait donné aucune directive, on avait dû attendre quelques jours. Pendant cette période, nous avons recensées reprogrammé tous les dossiers que nous ne pouvions plus entendre en plaidoirie. Grâce à l’aide de la présidente du tribunal judiciaire d’Alès, nous avons pu rajouter des audiences pour rattraper le retard et garder des délais raisonnables pour les justiciables, soit en 8 et 10 mois.
Et pour ce reconfinement, comment vous êtes-vous organisés ?
Cette fois-ci notre fonctionnement est quasi-normal avec une seule restriction : nous n’accueillons plus de public. Uniquement les justiciables et leurs représentants et/ou avocats. Une mesure pour limiter le nombre de personne dans la salle d’audience. Dans le fonctionnement interne du conseil, nous appliquons les gestes barrières.
La justice est rendue au nom du peuple. Cela ne pose-t-il pas problème s'il n'y a pas de public lors des audiences ?
Nos décisions restent publiques. C’est un moindre mal. Le plus important, c’est de rendre les décisions dans un délai raisonnable. C’est tolérable. Bien sûr, il ne faut pas que ça dure… Toutefois, dans les mesures du premier confinement, le ministère de la Justice avait préconisé un dépôt des dossiers sans plaidoiries et ça, en revanche, ce n’est pas possible ! Il faut se rappeler que l’essence même de la Prud’homie, c’est l’oralité des débats.
Depuis le début crise, avez-vous constaté une explosion des litiges ? Si oui, de quelle nature sont-ils ?
Nous, pas encore. Malheureusement, la vague arrive… D’abord ça passe par le tribunal de commerce. Les litiges liés à la crise vont certainement portés sur des cessations de paiement et des fermetures d’entreprises. Nous, avec la procédure de saisine du conseil, on va voir les dossiers arriver en fin d’année, soit en début 2021. Aujourd’hui, pour saisir le conseil des Prud’hommes, il faut arriver avec un dossier constitué. Ça prend quelques semaines et même mois.
Finalement, si vous n'avez pas de dossier, c'est peut-être que la crise économique annoncée ne sera pas aussi violente ?
Non, vraiment. Le conseil des Prud'hommes, c'est le dernier rempart. Celui qui est le thermomètre de la crise, c’est le tribunal de commerce. Ce ne sont pas les mêmes procédures, ni le même délai pour déposer un dossier. Aujourd'hui, on traite certains litiges, mais c’est à la marge. C’est ce que l’on appelle les référés, les mesures d’urgence. On a eu une hausse des dossiers liés au paiement des salaires, des heures supplémentaires et arrêts maladies que l’on peut mettre en lien avec les difficultés financières de certaines entreprises.
« Il y a fréquentation importante de nos permanences juridiques »
Qu’est-ce qui vous fait penser que les dossiers vont arriver prochainement sur votre table ?
Nous sommes des représentants syndicaux. Il y a une fréquentation importante de nos permanences juridiques qui laisse à penser qu’il va avoir naissance de plusieurs litiges dès que les dossiers seront actés. On est sur du licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit parce que le salarié dénonce le motif économique, soit parce que la procédure de licenciement n’est pas respectée. En situation de crise, certaines relations de travail entre employeurs et salariés peuvent se tendre…
Pas de fraude au chômage partiel ? Ou des problèmes liés au télétravail ?
À la Bourse du travail, on a constaté une fraude au chômage partiel. Après, il ne faut pas jeter le discrédit sur tous les patrons : rappelons que le chômage partiel a aidé les employeurs à sauvegarder l’emploi. En revanche, peut-être qu’une minorité en a profité. C’est malheureux. On saura dans quelques semaines si ces dossiers remonteront jusqu’à chez nous. Quant au télétravail, pour l’instant, on ne l’a pas vu. D'ailleurs, le Gouvernement discute avec les partenaires sociaux pour établir des règles. Aujourd’hui, le code du travail n’a pas prévu ces situations extraordinaires.
Un dernier mot ?
Aujourd’hui, ce qui est essentiel, c’est la prévention. Avant d’arriver au conflit, il faut mieux s’entourer et se renseigner. Vous savez, je ne devrais pas le dire… Parce que certains technocrates parisiens se feraient un malin plaisir de nous faire fermer si le nombre de dossiers déposés étaient en baisse. Il faut savoir que le conseil d’Alès est toujours menacé. Or, quantitativement comme qualitativement, nous avons de bons résultats. Preuve en est : peu de dossiers sont frappés d’appel et lorsque tel est le cas, la majorité de nos décisions sont confirmées par la cour d’appel.
CM