COUR D’ASSISES 15 ans pour le joueur ayant tué son entraîneur à Vauvert
21h15 : À l’issue de trois jours de débats, les jurés de la cour d’Assises du Gard condamnent Salim Boudral à 15 ans d’emprisonnement, mardi 12 avril 2022 dans la soirée, pour le meurtre de son entraîneur de football du club de Vauvert, Redouane Abbaoui, tué de sept coups de couteau, le 24 mai 2019 dans le quartier du Bosquet. La préméditation n'a pas été retenue. Revivez l'audience de la troisième journée en Live.
19h : L'accusé conserve le dernier mot. Après une première tentative qui avait provoqué une suspension de l'audience, il renouvelle ses excuses. « Ces mots ont le droit de ne pas être acceptés, mais je tiens à présenter mes excuses à tous ses proches, du plus profond de mon coeur. J'ai conscience de ce que je leur ai fait subir : cet acte est impardonnable, effroyable. Moi, le premier, je ne me pardonnerai jamais », conclut-il. Les jurés sortent délibérer.
17h45 : Isabelle Mimran a la lourde tâche de défendre un accusé qui n’a pas levé les mystères entourant son crime. Elle pointe le troisième protagoniste de ce procès : le quartier. « D’ordinaire l’enquête nous aide à comprendre, mais là elle nous laisse dans le vide. La localisation des faits, le quartier des Bosquets à Vauvert, a une incidence considérable. Elle explique leurs rapports mais elle nous prive aussi des preuves qu’on aurait dû attendre. La scène du crime n’a pas été préservée : véhicule immédiatement enlevé, téléphone portable soustrait, gendarmes préoccupés à éviter une émeute plutôt que de collecter des indices, d’analyser la victime, ou d’entendre les témoins le soir même…, plaide Isabelle Mimran. Ensuite, les témoins qui viennent spontanément racontent la même histoire, avec les mêmes mots. Tout cela instaure une pression forte… »
« Personne ne dira ce qu’il s’est passé dans les vestiaires »
Elle s’adresse à chacun des jurés qui vont devoir s’accorder sur une peine dans quelques minutes. « Le responsable, c’est bien lui. Mais on l’accuse d’une construction machiavélique. Vous l’avez vu et entendu : il vous a livré son histoire, telle qu’il l’a vécu et l’extrême émotion qui s’est emparée de lui n’est pas une feinte, assure-t-elle. Vous savez, il est fréquent que le harcelé contribue au harcèlement dont il est victime. Personne ne l’a reconnu à la barre, c’est vrai. Mais est-ce parce qu’ils n’ont pas existé ou parce qu’ils concernent un quartier et une équipe de football où des liens sont tissés entre les membres de la communauté ? »
L’avocate marque un temps d’arrêt. « Je plaide pour un jeune homme seul. J’avais un témoignage écrit, mais son auteur a finalement refusé de voir son nom divulgué. J’ai dû le déchirer. Son meilleur ami s’est aussi défilé. Personne ne dira ce qu’il s’est passé dans les vestiaires ou au stade, déclare-t-elle. Redouane Abbaoui était un grand, un grand-frère : c’est celui qui dans les quartiers applique un code, parfois différent de la loi et qu’on doit respecter. Mais ce respect là c’est de la soumission ! Redouane Abbaoui avait cette autorité, cette corpulence, ce regard qui inspire le respect. C’est une montagne. Mon client, lui, sort de l’adolescence et subit les insultes à caractère sexuel de son éducateur. Dans sa naïveté de gamin, il revient pourtant au club pour essayer de satisfaire son coach et obtenir la paix. Mais un jour, il est en retard car il cherche ses chaussures et se fait exclure de l’équipe par son coach. Une exclusion qu’on lui signifie devant tout le monde, alors qu’il vient s’entraîner. N’est-ce pas la volonté d’humilier ? Ses attitudes envers lui ne sont pas normales ! »
L’avocate se fait de plus en plus offensive. « L’après-midi au stade, cette fois, il finit par se rebeller. Et là, avec l’ego de ses 21 ans, il l’insulte, c’est vrai. Mais la scène aurait pu s’arrêter là, sauf que Redouane Abbaoui lui propose d’en venir aux mains, avec ses 1,85 m et ses 120 kg. Mais s’il y va, il va se faire démonter !, lance Isabelle Mimran. Le coach est tellement énervé qu’il s’en prend à lui physiquement. Il le frappe d’un coup de tête et de quelques gifles, à tel point que chez lui, le soir, il a le visage rouge et les yeux rouges d’avoir pleuré et d’avoir été exclu manu militari, en exigeant de lui des excuses ! »
La salle se vide au compte-goutte en signe de réprobation. « Lui s’est excusé, il croit en avoir terminé, il rentre chez lui. Mais là, le frère de Redouane Abbaoui revient à la charge avec un message d’insultes et de menaces. Puis une demi-heure plus tard, deux autres messages et deux appels successifs. Au total il y aura 27 messages en quarante minutes ! Que peut-il faire à ce moment-là ? N’est-ce pas l’acte ultime du harcèlement qu’il décrit, du rabaissement, de la peur ?, interroge l’avocate. On ne lui laisse aucune chance. Au lieu de ça on lui écrit “je te bombarde“, “je vais te niquer“. Son frère a dit que ses excuses n’étaient pas sincères, cela veut dire qu’ils ne voulaient pas s’arrêter là. Il veut soumettre ce gamin, et s’il ne le peut pas avec la voix, il le fera avec des baffes. Voilà pourquoi il finit par sortir de chez lui, ce soir-là. »
Isabelle Mimran conteste pied-à-pied la préméditation. « Mais quand vous voulez tuer quelqu’un, vous ne prenez qu’une arme car vous êtes certain de vous en servir. Lui en prend deux car il sait qu’il est faible. Et comme ses armes sont faites pour dissuader, il prend de grands couteaux pour pouvoir les montrer, pointe-t-elle. Et pourquoi décide-t-il de sortir dans le quartier plutôt que dans le stade où il n'y a personne à cette heure-là, s'il veut vraiment le tuer ? Parce qu'il pense qu'il y a du monde qui pourra intervenir, pour empêcher que ça tourne mal. Il n'y a pas d'autres explications plausibles. Et puis, les premiers coups de couteau seront donnés sur les cuisses, car son entraîneur le rabaisse en le tenant par le cou. Mais ce ne sont pas des coups avec l'intention de tuer ! On veut aussi nous faire croire que la victime serait attachée avec sa ceinture de sécurité, mais ce n'est pas vrai, car on n'a trouvé aucune trace de sang sur cette ceinture ! Enfin, si c'était prémédité, pourquoi ne prend-il pas la fuite alors qu'il en a l'occasion ? »
16h45 : C’est l’heure des réquisitions de l’avocat général. Il demande 18 ans de prison contre l'accusé assorti d'un suivi socio-judiciaire. « Dans beaucoup de pays, le ballon rond sert à donner du bonheur au enfants, contrairement au triste exemple donné aujourd’hui. C’est un crime d’amour-propre, mal placé et bouffi. Qui était M. Abbaoui ? C’est un homme investi dans le football, qui en avait fait un outil d’intégration. Il avait fait monter le club, mais cette fête qui aurait dû rassembler, a été à l’origine d’une violence paroxysmique… Il n’était pas un caïd terrorisant le quartier, au contraire, il transmettait des valeurs de sérieux et de rigueur, rappelle Régis Cayrol. Mais les deux hommes n’étaient manifestement pas sur la même longueur d’ondes. On dit que le beau est dans l’œil de celui qui observe. Ici, le “diable“ Abbaoui était plus dans le regard de Boudral que dans la réalité. »
« Prend-on deux couteaux pour faire autre chose que s’en servir ? »
Après avoir rétablit le véritable visage de la victime, il dresse le portrait de l’accusé. « Salim Boudral est un garçon, qui se place sur un piédestal et n’a pas le droit de décevoir. Et même s’il ne s’investit pas dans le football, il estime qu’il n’a pas le droit d’en être exclu. D’où l’altercation qui dégénère. Il est prisonnier de l’étroitesse de deux milieux dont il ne parvient pas à s’affranchir complètement. Et lorsque l’entraîneur veut parler à son père, il ne peut plus faire preuve de son habituel mépris ou d’indifférence. Sa solution sera d’éliminer cette contrainte, explique-t-il. Il entre dans une spirale de violence démentielle, mais très vite, il redevient rationnel pour organiser sa fuite. À la gendarmerie, il émet des regrets, mais que regrette-t-il : la mort de son entraîneur ou la situation dans laquelle il se met lui et sa famille ? On ne sait pas. »
Pour l’avocat général, ce geste est prémédité. « Prend-on deux couteaux pour faire autre chose que s’en servir, surtout quand le second vise à remplacer le premier s’il venait à être désarmé. Cela montre sa détermination. Il va à ce rendez-vous car il veut avoir le dernier mot. Et la rapidité de ses coups démontre l’aboutissement de son intention initiale d’éliminer son adversaire. Nous n’en connaitrons pas les véritables raisons. La difficulté à accepter la discipline, la frustration ? »
16h15 : L’avocat de l’épouse de la victime clôt les plaidoiries des parties civiles. Il conteste la thèse de la légitime défense de l’accusé et insiste sur la préméditation de son acte. « Pourquoi décidez d’aller retrouver votre entraîneur si vous pensez que votre vie est en danger ? Il n’y a aucune raison, pointe Cyril Malgra. La réponse est dans votre sac. Le dessein meurtrier et la préméditation commencent là, quand vous partez avec de grands couteaux, soit disant pour vous défendre. Mais c’est l’inverse : vous ne les avez jamais montrés, vous n’avez jamais tenté de discuter avec votre entraîneur, et vous avez pris votre voiture pour parcourir 100 mètres, car vous aviez déjà l’intention de prendre la fuite ! Puis alors qu’il est ceinturé dans son véhicule, vous bondissez sur lui pour le poignarder vicieusement. Mais aucun coup n’a manqué sa cible sur les sept coups donnés ! Aucun ! C’est 100% d’efficacité : dans le cœur, puis ensuite dans le dos. »
« Sur les sept coups donnés, aucun n’a manqué sa cible ! »
L’avocat respire, marquant un silence interdit dans la salle d’audience de la cour d’assises. « À quel moment avez-vous décidé de le tuer ? Au moment où vous vous étiez muni de ces armes. Vous dîtes ne pas vous en souvenir, mais c’est simplement le courage qu’il vous manque, avance Cyril Malgra. Alors que ce soir-là, vous avez encore la lucidité, lorsqu’il gît au sol, de lui donner un coup de pied dans la tête, pour être bien sûr qu’il soit mort ! Puis vous avez encore la lucidité de vous cacher, d’envoyer un message à votre mère, d’aller voir un ami pour vous conduire, et d’éviter le chemin qui risque de vous faire repérer, en donnant un coup de volant ! Le vrai courage, c’est celui de l’ami de Redouane, qui a tenu sa tête ensanglantée entre ses mains au moment de son dernier souffle. »
14h45 : L’avocat des parents de la victime commence sa plaidoirie. « Redouane Abbaoui était un homme qui avait réussi. Il n’avait pas eu de mention au bac, mais il faisait la fierté de ses parents. Ses parents n’ont pas eu la force de venir, et ils ont bien fait étant donné ce qu’on a encore dit aujourd’hui sur leur fils. Qui imagine enterrer son enfant ? Eux, un soir, ils reçoivent un appel pour venir vite car leur fils est mort, tandis que vous, qui venez de commettre l’irréparable, vous montrez votre cul à tout le monde !, s’emporte Luc Abratkiewicz. Pourquoi cette rage, pourquoi tout ça, il l’a mérité ? Il a volé, dealé ? Autant de fantasmes qui sont pour eux des insultes. Que vais-je leur dire ? Votre colère, votre impulsivité, l’immaturité d’un jeune qui ne supporte pas d’être viré de son club. Vous vous croyez persécuté, alors que personne ne vous en veut. C’est un crime égoïste qui se rapporte à vos seules frustrations. On juge parfois des actes monstrueux. Vous êtes parfait et l’enfer c’est les autres, pensez-vous. Non, l’enfer c’est peut-être tout simplement vous ! »
« L’enfer c’est peut-être tout simplement vous ! »
L’avocat montpelliérain reprend son souffle. « Le traiter de monstre, de tyran, c’est ignoble, c’est du fantasme, du rêve ! Il n’y a pas le début d’un commencement de cela. Jusqu’où allez-vous ? C’est inacceptable ! , tonne-t-il. Le foot engendre des frustrations, de la colère, des blessures à l’amour propre, mais cela fait partie de la vie. Sinon voilà où vous en êtes. Mais s’il vous plaît respectez cet homme aimé et respecté. Laissez-le reposer en paix et assumez pleinement ! »
L’avocate du frère de l’entraîneur vauverdois s’avance à son tour à la barre pour s'attaquer au mobile avancé par la défense. « C’est un jeune d’une intelligence supérieure et apprécié dans le village. Il a intégré les codes de notre société, de sa culture et du quartier. Quand il décrit son état d’esprit au moment du passage à l’acte, les mots sont précis : la colère, la peur, le sentiment qu’il n’est plus maître de soi. Les mots sont pesés. Mais quand il montre ses fesses après un tel acte, on pense à la folie. Sauf que dans la culture orientale, le fessier, c’est le signe du mépris, l’insulte suprême ! Les témoins confirment tous qu’il les a provoqués. Cela montre que son mobile ne tient pas !, s’écrie Khadija Aoudia. La pression qu’il subit en tant qu’aîné est incommensurable. Et plus il réussit dans ses études, plus son orgueil grandit. Alors, lorsque son entraîneur sans diplôme a l’outrecuidance de le mettre sur la touche, il est humilié et noue une détestation de sa victime, qui se poursuit lors de ce procès. Il ment, méprise, prétend que la victime est dangereuse pour susciter des réactions, distiller la peur, de façon machiavélique, car sans reconnaissance de la victime, il n’y a pas d’empathie. »
Pierry Fumanal prend la parole pour les enfants de Redouane Abbaoui. « Le football, c’est comme la vie, un incroyable paradoxe : des lignes droites et à l’intérieur et au milieu, une balle qu’on ne peut maîtriser. Salim Boudral est un paradoxe : il veut devenir expert-comptable et comparaît devant la cour d’assises. Il dit que le football est un passe-temps mais c’est aussi son facteur d’intégration, et la raison de son emportement. Il essaie de salir, mais personne ne va dans son sens. Ce dossier, c’est un problème d’ego, le sien, et pas autre chose. Il ne supporte pas la décision de son coach, le défie. Mais le passage à l’acte, c’est sa blessure d’âme ! Et trois ans après les faits, il est toujours aussi inquiétant. »
14h15 : C’est l’avocate représentant le frère de Redouane Abbaoui qui reprend, la première, l’interrogatoire de l’accusé. « Moins d’une heure après les faits, la rumeur a circulé dans le quartier et tout le monde sait qu'une altercation a eu lieu entre vous, au stade. Or, vous n’avez cessé de marteler que vous étiez victime d’humiliations publiques de sa part. Alors comment se fait-il que personne n’en a rien su, pas même vos parents ? », demande Khadija Aoudia.
L’accusé ne se démonte pas. « Mes parents ne s’occupaient pas de ce qui se disait dans le quartier, ils n’étaient tout simplement pas au courant de ces rumeurs », élude-t-il. « Et pourquoi personne n’a confirmé aux enquêteurs que Redouane Abbaoui aurait pu être un caïd ? », insiste l’avocate. « Certainement que les gens avaient peur… », répond Salim Boudral, haussant les épaules. « Les gros caïds font peur, mais là ce n’est pas le cas ! », conclut Khadija Aoudia.
12h30 : L’avocate de la défense se lève et se tourne vers son client. Dernières questions avant les plaidoiries des parties civiles. Elle tente d'humaniser l'accusé. « Vous n'aviez pas dit à vos parents que vous aviez été viré du club, ni parlé de vos problèmes avec M. Abbaoui, ou même évoqué votre altercation de l’après-midi. En fait, vous avez tout fait pour qu’ils ne soient pas au courant ? », interroge Isabelle Mimran. L’accusé hoche la tête. « Je voulais les rendre fiers », craque-t-il. « Pourquoi êtes-vous repassé chez vous avant d’aller au commissariat ? », lui demande doucement son avocate. « Je voulais les voir une dernière fois, c’était un au revoir car plus rien ne serait comme avant… », lâche Salim Boudral dans un sanglot.
11h40 : Le président débute l’interrogatoire de l’accusé. « J’aimerais expliquer mon parcours de vie. Pour moi le foot a toujours été un moyen d’intégration. Petit, en classe, je n’étais pas comme les autres enfants qui m’appelait “l’intello“ ou “le serpent à lunettes“. Je pensais même que c’était une maladie. C’est le foot qui a mis fin à ses moqueries », précise Salim Boudral en préambule.
« À l’intérieur de moi j’étais détruit, tout le monde rigolait, c’était méchant »
« Mon premier différend avec Redouane, c’est quand j’avais 15 ans. J’ai refusé d’acheter son paquet de cigarette et ça l’a braqué, il m’a insulté plusieurs fois. Puis vers 17 ou 18 ans, il cherchait des jantes et m’a demandé d’en voler pour lui. J’ai encore dit non et il m’a traité de “tapette“, “sans couille“, qu’il allait “m’enculer“, etc. Et à 19 ans, il vient me chercher pour vendre du shit pour lui au lycée de Camargue. Et quand je refuse toujours, il me traite encore de “pute“, raconte Salim. À cette époque je prenais sur moi. Le tournant arrive quand je décide de jouer au foot à Vauvert et que les moqueries se répètent. Au début, ça venait de M. Abbaoui, puis ça s’est propagé aux autres qui voulaient commencer à m’écraser à leur tour. J’aurai pu comprendre l’exclusion, mais la manière dont ça a été fait, je me suis senti humilié, comme un chien. Il a voulu me gifler en disant “c’est fini le foot pour toi, je veux plus te voir.“ Je me suis senti vraiment comme une merde. »
L’accusé décrit ensuite les humiliations publiques constantes qu’il subit. « À l’intérieur de moi j’étais détruit, tout le monde rigolait, ça me piquait. C’était méchant et tout le monde l’a senti que c’était méchant. Personne me calculait, j’étais meurtri, j’avais honte de vivre !, éclate-t-il en sanglot. Au café, je le voyais, j’allais me cacher à la boulangerie. J’étais tout seul. Ça ne justifie pas l’atrocité que j’ai fait, j’ai jamais voulu faire ça ! Bien sûr que je suis triste, que je m’en veux : j’ai détruit sa famille. Je ne cherche pas à me justifier, rien ne le justifie. Je raconte ce que j’ai vécu. »
« Pourquoi prenez-vous un couteau ce soir-là ? », poursuit le juge. « J’ai vu qu’il ne lâchait pas l’affaire. Son frère s’en mêle, je me suis dit, ça pue pour moi. Alors, par sécurité, je me suis rendu au quartier des Costières où il a du monde. » « Vous avez porté neuf coups de couteau… », relance le président Éric Emmanuelidis. « J’ai disjoncté, si le médecin ne l’avait pas dit, je ne saurai pas combien j’en ai donné. », lâche l’accusé. Le juge le regarde. « Vous encourrez 30 ans de réclusion criminelle… », prévient-il. Salim évoque son avenir assombri… « Je sais que je mérite la prison. Mais je vais continuer mes études en prison, je suis en train de passer mon master. Je vais pas lâcher et quand je vais sortir, je vais fonder ma famille et devenir expert-comptable. Oublier c’est impossible, mais essayer de vivre avec. »
11h30 : Le médecin légiste évoque les différentes blessures de la victime : neuf plaies par armes blanches, dont l’une, mortelle, au thorax ayant touchée la racine de l’aorte, et d’autres s’apparentant à des blessures de défense. Mounir Benslima confirme que les couteaux saisis sont compatibles avec les blessures constatées sur le corps de l’entraîneur vauverdois.
11 h : L’avocat général mentionne d’autres messages à connotation sexuelle qui auraient aussi pu être effacés par la famille pour préserver son image. « Leurs messages intimes ne nous regardent pas. Si vous pensez que je les ai effacés, je vous réponds que non. Je n'avais même pas connaissance de ces messages », soutient-il encore.
L’effacement de ces messages provoque une passe d’armes entre les avocats. « Si ce n’est pas vous qui les avez effacés, c’est votre belle-sœur, lance Isabelle Mimran. On a récupéré un téléphone pour le remettre à une fillette de 12 ans, sans regarder ce qu’il contient ? Nous savons qu’il n’y a pas eu de réinitialisation, mais on a pris le soin, à deux reprises, d’effacer un certain nombre de données. Or, l’expert a retrouvé des messages à connotation homosexuelle ! » La salle proteste à ses insinuations. « Vous n’avez jamais été dans des vestiaires de foot ! Vous vous essuyez les pieds sur son cercueil ! », proteste Cyril Malgra. « On a tenté de masquer certains aspects de sa personnalité, qui peuvent avoir des liens avec le harcèlement dons Salim Boudral a été victime », maintient Isabelle Mimran.
10h40 : L’avocate représentant le frère de Redouane Abbaoui revient sur les soupçons de dissimulation entretenus par les modifications effectuées sur le téléphone portable de la victime après sa mort. « Quel intérêt auriez-vous eu à dissimuler ce téléphone ? », demande Khadija Aoudia au petit-frère de l’entraîneur. « Je l’ai remis immédiatement aux gendarmes quand ils me l’ont demandé. Au contraire, ces messages auraient pu nous permettre de prouver qu’il n’y avait pas de harcèlement », répète Khatim Abbaoui.
L’avocat général l’interroge à son tour. « Ne pensez-vous pas que la virulence de votre message ait pu être l’élément déclencheur de la violence qui a suivi ? Attention, je ne dis pas cela pour dire que vous êtes responsable de ce qui s’est passé… », prévient Régis Cayrol. « Absolument pas, ce n’est pas une simple prise de bec qui peut entraîner un meurtre ! C’est la manière dont il est perçu par Salim qui pose problème », proteste le petit-frère.
« Ses aveux n’étaient pas sincères du tout. »
9h 50 : Khatim Abbaoui, le petit frère de la victime, partie civile au procès, s’avance à la barre. Il s’excuse d’abord de son débordement de la veille. « Ces excuses n’étaient pas au bon moment, alors qu’il l’a eu ce moment quand il a croisé ma belle-sœur deux fois depuis les faits ou par l’intermédiaire de son père, débute-t-il. Ses aveux n’étaient pas sincères du tout. C’était juste pour alléger sa peine. Donc je ne les accepte pas. » Sa voix se brise. « C’est difficile d’être là devant celui qui a mis fin à notre amour fraternel », reprend-il avant de se tourner vers l’accusé qui semble pleurer. « S’il te plaît, arrête ! Respecte au moins mon temps de parole », lui lance-t-il. Le président lui demande de s’adresser aux jurés. « Mon frère, c’était tout et aujourd’hui sans lui, je ne suis plus rien. Donc lorsque j’entends une personne indigne salir sa mémoire de mon frère, parlant de caïd, de tyran, de monstre, je suis très blessé, proteste son petit frère. Mon frère a cumulé trois emplois pour souvenir aux besoins de sa famille, il a acheté sa voiture à crédit. On l’aurait su s’il était un trafiquant ! »
L’ancien joueur, passé par le Nîmes Olympique, reprend son récit. « Le jour de la mort de mon frère, quand j’ai d’abord appris qu’il lui avait manqué de respect au stade, c’est vrai que je lui ai laissé un message de menace. Avant la rupture du jeûne, mon frère m’appelle, il était calme et apaisé, même s’il s’était senti humilié et démuni par l’altercation, se souvient-il douloureusement. Puis j’ai reçu un appel pour me dire que mon frère avait été poignardé. Le temps s’est arrêté, la foule semblait espérer qu’il revive. Mon père lui demandait de se relever même si on savait qu’il était déjà parti… »
Mais plusieurs détails gênent le président Eric Emmanuelidis. Le juge prend des pincettes. « Vous venez de perdre votre modèle, votre grand-frère, mais vous demandez à un ami de déplacer la voiture de votre frère et vous récupérez son portable dans la voiture, dont on verra que sa mémoire et ses messages seront en partie effacés… Pourquoi ? », demande-il au petit-frère de l’entraîneur décédé. « Je ne savais pas, j’étais en panique, j’ai juste voulu repartir avec la voiture, s’explique la partie civile. Pour le téléphone, je ne l’ai pas manipulé, je l’ai donné à sa fille qui voulait symboliquement le téléphone de son père et qui l'a réinitialisé quelques jours plus tard. Ce qui est dommage, car cela aurait pu nous aider à démontrer qu’il n’y avait aucun harcèlement. »
Le président reste un peu sur sa faim. « Pourquoi ce soir-là, lui laissez-vous ces messages de menaces, au lieu de temporiser en allant parler plus tard à son père. Pourquoi faut-il à tout prix régler les choses immédiatement et de manière pas forcément apaisée ? Je trouve votre réaction totalement disproportionnée par rapport à un incident mineur ». Le frère écarte les bras. « Ce sont les émotions qui ont parlé », lâche-t-il.
9h : Le directeur d’enquête de la brigade de recherche de Vauvert rend compte de ses investigations, ce matin, à partir de 9h. Alors qu’ils sont appelés pour une personne grièvement blessée de coups de couteau, les gendarmes voient l’auteur se rendre avant même de rejoindre les lieux du crime. Sur place, ils observent 150 personnes, « très animées et excitées » et entendent des rumeurs de « chasse à l’homme ». « Je les ai prévenus que l’auteur avait été exfiltré ailleurs pour calmer le jeu », raconte le gendarme à la retraite.
Le président lui rappelle les versions contradictoires de la défense et des parties civiles. « Nous avons deux versions opposées, dont une dépeignant la victime comme un caïd, dont l’accusé subirait les avanies et humiliations, rappelle le président Eric Emmanuelidis. Mais au regard de vos dépositions, personne ne confirme cela, ni à propos de leur différend, ni concernant la personnalité de la victime ? » Le gendarme est catégorique. « Non, sur le fait que Redouane Abbaoui aurait pu lui demander de vendre de la drogue ou de voler, rien ne confirme ces allégations, assure l’enquêteur. L’auteur est lui une personne calme, mais capable de péter les plombs quand il a bu ou face à la moindre contrariété. »
8h30 : La première journée a été consacrée à la personnalité de l’accusé : un jeune homme bien élevé et un excellent étudiant, dont le parcours a commencé à dévier à partir du mois de janvier 2019, en raison, selon lui, du harcèlement dont il aurait été victime de la part de son entraîneur de football. Après la journée d’hier, au cours de laquelle l'examen des faits et l'audition des témoins des parties civiles ont contredit cette version, la cour entendra aujourd’hui les enquêteurs, le médecin-légiste, ainsi que l’accusé. Bienvenue sur le Live du procès tout au long de la journée.
Pierre Havez
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