FAIT DU JOUR L'ancien maire des Plantiers, Bernard Mounier, "imposteur" aux mille vies héroïques
Bernard Mounier se raconte dans une autobiographie, à paraître le 25 octobre, "Mon seul espoir, l'improbable". Si le double assassinat des Plantiers, en mai 2021, a fait connaître son nom dans des circonstances dramatiques, sa vie entière relève d'un parcours singulier, en tant que chef d'entreprise, formateur pour les Nations Unies, ou consultant au ministère des Affaires étrangères sur les "théâtres" des drames de la fin du 20e siècle. Avec un leitmotiv : la recherche de solutions. Rencontre.
"Comment ce petit garçon de six ans, anéanti par le deuil et la solitude, a-t-il connu une telle trajectoire ?", interroge Monique Faure dans la préface de l'autobiographie de Bernard Mounier. Car la vie cévenole de celui, né en février 1955 et qui fut maire des Plantiers entre 2020 et 2023, est rapidement touchée par le drame. Il est orphelin à six ans, seul à 14 ans. Son enfance, il s'en souvient comme un enchaînement d'"internats, cantines, dortoirs et colonies de vacances en été. À part ma grand-mère et ma tante, qui s'occupaient de moi, j'étais seul mais libre".
Adolescent, Bernard se retrouve face au choix radical du jeune abandonné, "être voyou ou faire des études". Heureusement pour cet enfant, une cousine "s'est occupée de la partie scolaire. Mais ce qui a été prépondérant, ce sont les rencontres". Bernard a alors la chance de traîner dans les rues de La Grand-Combe "avec des gamins de 14-15 ans avec familles équilibrées". Puis, il est "pris en charge par le monde protestant, alors que j'étais catholique. Ils ont été très proches, d'une grande humanité, et ils m'ont fait grandir."
"J'ai abandonné la foi pour retrouver une spiritualité sans dieu et sans religion"
Au point que Bernard Mounier rend hommage, à sa manière, à ce dévouement en poursuivant des études de théologie, avant de devenir pasteur pendant sept ans. "Puis, je me suis retiré de ça, lâche-t-il sobrement. J'ai abandonné la foi pour retrouver une spiritualité sans dieu et sans religion. le mode évangélique, j'en ai eu un peu honte. C'était un peu niaiseux, trop vertical, pas assez horizontal." Et puis, Bernard a sans doute besoin de mettre les mains dans le cambouis, de regagner la terre du quotidien des humains. "Le déclic, c'est un paroissien qui me disait sans cesse : "Tu ne peux pas comprendre, tu n'as pas d'enfants à éduquer, pas de congés payées..."
"J'ai le syndrôme de l'imposteur depuis longtemps, résume l'ancien pasteur. Il m'importait d'être crédible." Et tant qu'à faire, autant prendre le taureau par les cornes, et chevaucher vers "le risque de l'entreprenariat. J'ai profité d'opportunités, tout le temps." Et d'idées de départ qui l'ont emmené loin. "Je me suis lancé dans le secteur de l'audiovisuel, en tant que réalisateur-producteur." L'activité monte rapidement en puissance, un car-régie est acheté, la société se fait connaître et travaille pour le Téléthon ou des soirées électorales.
"Le centre des Droits de l'Homme de l'ONU m'a proposé de travailler pour eux"
Avant que la tragédie du monde ne fournisse un nouveau destin à la carrière de Bernard Mounier. "Un jour, je suis parti faire un documentaire sur le génocide au Rwanda et au Burundi." Le réalisateur y fait une rencontre, et "le centre des Droits de l'Homme de l'ONU m'a proposé de travailler pour eux. J'y suis resté une dizaine d'années." Bernard Mounier parcourt notamment Côte-d'Ivoire, Sénégal, Maroc, Mozambique, Angola ou Burkina-Faso. Il va même auprès des Kanaks de Nouvelle-Calédonie ou approche les indiens Tobas en Argentine.
Il enchaîne au ministère des Affaires étrangères, sur des missions de "consultanat, d'accompagnement et de formation". Puis, devient consultant pour une très grosse entreprise de BTP française. "J'ai finalement quitté le monde professionnel après un long séjour auprès des managers de MECS (maisons d'enfants à caractère social, NDLR). Et j'ai pris ma retraite. Mais entre-temps, j'ai été élu maire."
"En mairie, il faut déjà gérer les susceptibilités"
Et dès sa prise de fonction, les aléas climatiques se chargent d'occuper son mandat : les crues de juin 2020, puis surtout septembre de la même année, ravagent des accès à certains hameaux, l'accès à l'eau potable et tombent des murs, dont certains réparés entre les deux épisodes. Bernard Mounier fait "l'apprentissage de la complexité du fonctionnement démocratique. En chef d'entreprise, quand on veut qu'un mur soit vert, il l'est le soir même ou presque. En mairie, il faut déjà gérer les susceptibilités... Au final, on est bien souvent seul, avec un adjoint et la secrétaire, on s'attribue des pouvoirs, et la dérive autocratique nous guette. Et puis, c'est d'une lenteur extrême : sur les catastrophes naturelles, trois ans après, toutes les subventions n'avaient pas encore été versées..."
Mais surtout, entre les périodes de confinement dues au Covid, est survenu le drame qui marquera durablement le village : le double assassinat de Luc Teissonnière et Martial Guérin par Valentin Marcone, en mai 2021. Bernard Mounier est premier magistrat d'un village meurtri, coupé du monde durant trois jours, avec des familles endeuillées et la compagne de l'assassin au sein d'une communauté de 200 âmes.
"Au procès de Marcone, j'ai été là durant les quatre jours, parce que je me devais d'y être"
Il a fallu "accompagner Fiona et Blandine", compagnes d'un mort pour l'une, du meurtrier pour l'autre. Le travail de l'élu, "on ne le voit pas. On a passé des nuits entières à discuter de ça. Quand je vois des sénateurs, des maires, qui passent leur temps à poster des photos d'eux sur les réseau sociaux... Au procès de Marcone, j'ai été là durant les quatre jours, parce que je me devais d'y être." En ce début d'année 2024, Bernard Mounier n'est pourtant plus maire des Plantiers, il a démissionné au printemps pour une contestation qui paraît bien insipide au regard des difficultés traversées durant trois années. "Au procès, il n'y a eu aucun élu des Plantiers."
Bernard Mounier aurait rêvé, en tant que maire, "emmener les gamins de CM2 de l'école à New York pour leur faire découvrir les Nations Unies". Tout en s'enthousiasmant sur ces agences qui couvrent le monde, et n'auraient pas existé sans cette instance internationale que d'aucuns qualifient aujourd'hui d'intutile, que ce soit le haut commissariat aux réfugiés ou l'Unesco, jusqu'au Tribunal pénal international.
"Aux Plantiers, en revenant, j'ai trouvé la route étroite"
"Même dans une commune comme Les Plantiers, il y a des débats importants, de l'accueil de migrants, de la hauteur de vue." Une façon de répondre au débat relancé sur l'opposition rural/urbain ? "Si on abandonne le monde rural, c'est aussi qu'il s'est laissé abandonner et se met souvent en position de victime. Il y a une forme d'abandon mais il faut réapprendre à nous trouver intéressants."
Presque une philopsophie politique, en somme, qu'énonce encore Bernard Mounier. S'il a hésité à quitter Les Plantiers à la fin de son mandat, il se "voit mal en ville, à arroser les géraniums du balcon. Je suis bien où je suis, à bricoler, faire de la menuiserie. Mais je rentre à peine des États-Unis et c'est vrai que je me suis senti chez moi dans les halls d'aéroport, ou à traverser le Golden Gate. Aux Plantiers, en revenant, j'ai trouvé la route étroite", sourit-il.
Alors, pourquoi l'autobiographie d'un septuagénaire toujours aussi actif et impliqué intellectuellement ? "J'avais un peu de temps... Et quand je voyageais en Afrique, notamment, dans des pays parfois hostiles, je prenais des notes sur la vie, le soir, quand on ne pouvait pas sortir. Autour de moi, mes proches ont insisté pour que je le fasse. Alors, je me suis mis à écrire pour les enfants et petits-enfants. Parfois, en mourant, on laisse à ses proches une voiture ou une maison. Si mon héritage pouvait être une manière de voir la vie ou la politique, je me suis dit que ce ne serait pas mal..." Surtout venant d'un enfant qui, "au démarrage de la vie, n'avait aucun ingrédient pour en arriver là."
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