FAIT DU JOUR Les secrets des chefs gardois pour conserver leur étoile au Michelin
Véritable bible de la gastronomie française, le nouveau millésime du guide Michelin est sorti ce lundi 27 janvier. 628 restaurants y sont référencés cette année, dont six avec au moins une étoile dans le Gard. Pas de perte ou de macarons supplémentaires dans le département. Nous avons demandé aux chefs primés leurs secrets pour rester dans les pages du guide.
Douzième année que le chef Serge Chenet est à la tête du restaurant "Entre vigne et garrigue", à Pujaut. Douzième année qu'il conserve sa première étoile. Il avait déjà collectionné les premiers macarons quand il cuisinait au Château de Rochegude en 1987 ou au Prieuré à Villeneuve-lez-Avignon en 1993. "J'ai eu trois étoiles à l'horizontale", dit-il amusé. Pour ce col bleu-blanc-rouge, le guide Michelin reste la référence. Et y figurer est une fierté mais aussi un challenge. "Cela peut être éphémère une étoile, rien n'est acquis. Il faut sans cesse se remettre en question", assure son fils de 34 ans, Maxime Chenet, chef depuis la première heure dans l'établissement au côté de son père.
D'autant que les inspecteurs du guide passent parfois incognito, comme en 2019, histoire d'éviter "les copinages". Mais Serge Chenet l'assure : "L'inspecteur est un client comme un autre, on fait tout à la même hauteur, il faut montrer de la régularité." La clé du succès ? "Assurer un service de qualité, servir des produits d'exception, marcher avec les producteurs locaux... Ce sont plein de petits détails mis bout à bout. Il faut aussi de bons collaborateurs", explique le chef père. Lui ne se voit pas cuisiner autrement. Mais il sait que certains chefs ont fait le choix de renoncer au précieux macaron : "Ce n'est pas un gage de rentabilité. Entre la cuisine, la salle, le personnel, c'est coûteux."
Ce n'est pas la philosophie du "Prieuré" à Villeneuve-lez-Avignon. Arrivé il y a deux ans, le chef Marc Fontanne a obtenu pour la seconde fois une première étoile : "C'est une satisfaction, on fait un métier difficile, qui demande beaucoup de soi-même. Alors, tous les ans, en fin d'année, ça peut faire une belle récompense." Pour garder son nom sur le guide, il innove : "On évolue sans cesse, ce n'est pas une maison qui stagne dans son jus. Il faut travailler dans ce sens car la concurrence est rude. Il faut savoir se démarquer", affirme-t-il.
Ce macaron revêt une grande importance car dans sa "clientèle saisonnière, il y a beaucoup d'étrangers qui choisissent en fonction des étoiles." Il n'hésite jamais à demander l'avis de ses hôtes sur ses nouvelles assiettes : "Ce sont les clients qui font avancer. Les retours sont souvent positifs mais parfois, il y a des petites remarques à méditer. On prend beaucoup de recul mais ça ne me frustre pas." Les convives sont sa priorité au-delà de l'étoile : "Il ne faut pas travailler que pour le Michelin. Il faut faire attention à tout le monde. Ils payent pour une assiette de qualité, jolie à regarder."
Et une deuxième étoile alors ? Ce n'est pas la priorité. À tout juste deux ans aux fourneaux, Marc Fontanne veut prendre son temps. Doucement mais sûrement...
Sébastien Rath : "Une étoile, c’est comme un enfant..."
La maxime pourrait aussi s'appliquer à Sébastien Rath, chef du restaurant alésien "Le Riche", ouvert il y a deux ans et demi. Il ne figure pas dans le guide Michelin 2020, mais ne désespère d'obtenir un jour son premier macaron : "Une étoile, c’est comme un enfant : on désire l’avoir, mais on ne l’a pas quand on veut. Je ne vais pas mentir, bien sûr que je travaille pour décrocher cette étoile. J’évolue chaque jour un petit peu, je suis sur la voie du meilleur. Mais peut-être que le Michelin me laisse encore mûrir parce que cette distinction c’est aussi une pression. Il serait dangereux pour la maison de l’avoir trop tôt, mais il serait tout aussi dangereux de l’avoir trop tard. Je pense que trois ans, c’est le minimum, on ne peut pas espérer quelque chose avant ça. Mais si je ne l’ai pas au bout de quatre-cinq ans, on ira à la perte. On n’est pas une association, il y a une réalité économique complexe."
Jérôme Nutile, à Nîmes, une étoile et presque une deuxième.
Le chef installé au Parc Georges Besse, au Mas Boudan, ne boude pas le guide rouge. "Je suis très heureux d’avoir mon étoile, même si je ne suis pas arrivé à avoir la deuxième ! Si seulement je savais pourquoi… Mais on ne nous dit pas les raisons de la sélection. Il faut constamment se remettre en question, travailler pour ses clients et pas pour le guide. Certains chefs ne font de la cuisine que pour être dans le Michelin."
Mieux, Jérôme Nutile pense que sans sa bonne étoile, tout aurait été différent. "Je pense que c’est beaucoup grâce au guide Michelin que je suis là où j’en suis aujourd’hui. Sans lui et l’étoile, la Mairie ne m’aurait pas aidé à m’installer au Mas Boudan et mes clients ne seraient peut-être jamais venus ! Ce que je peux dire, c’est que ça vous fait de la communication quand vous gagnez une étoile et votre chiffre d’affaire augmente car certains ne voyagent qu’avec le guide Michelin. En tout cas, on mange différemment à Nîmes, à Clermont et à Paris ! Je ne savais pas qu’il fallait être écoresponsable mais je m’adapte à mon territoire depuis longtemps. Je suis locavore. Mes produits viennent du Grau-du-Roi, d’Aimargues ou de Marguerittes et je ne suis pourtant ni jardinier ni herboriste ! "
Concernant la pression, lui n’y voit qu’une accentuation de la justesse et de la régularité dans le travail. Il avoue cependant accepter les règles d’un jeu qu’il ne connaît pas. "En tout cas je ne critiquerai jamais le guide, c’est comme ça."
Kayser, le patron gardois, ne comprend pas tout
Le seul chef doublement étoilé du département, Michel Kayser, basé à Garons et propriétaire du restaurant "Alexandre", offre un discours mêlé de nuances. "Le Michelin est absolument important car il a une aura spéciale, nationale et internationale. Le Michelin, on le craint comme on craignait l’instituteur qui mettait une note ou le gendarme qui vous arrête alors que vous n’avez rien fait ! La critique fait avancer mais quand on est en haut, on doit donner l’exemple et c’est d’abord la saveur et après le lieu. Aujourd’hui, j’ai des doutes, je donne un simple diagnostic, je ne me plains pas. Le patron du Michelin était-il cuisinier ou financier par le passé ?"
Pour le patron des chefs gardois, le problème ne serait-il pas le manque de concurrence ? "Je suis très franc du collier, je préférais l’époque de la concurrence entre le Gault & Millau et le Michelin car le Gault a été le premier à faire du rédactionnel. Michelin a repris et lui a emboîté le pas, mais la nouvelle génération manque de repères. J’ai besoin du Michelin, je me tire une balle dans le pied si je le critique, mais nous sommes dans un pays où on ne peut plus rien dire ! Vous savez, nous n’avons, pour la plupart, qu’un CAP de cuisine. Nous sommes montés dans la société à force de travail, de passion et de création. Nous ne finissons pas la semaine le vendredi après-midi pour reprendre le travail le lundi matin. Nous sommes des passionnés, je me remets tout le temps en question mais le Michelin nous fait parfois passer pour d’autres personnes."
Pour Michel Kayser, un chef raisonné et raisonnable, la clé du problème ressenti par certains chefs est peut-être en lien avec la considération. "Dégrader une ancienne grande maison qui avait trois étoiles, puis deux et aujourd’hui plus qu’une malgré tout ce qu’elle a apporté à la gastronomie française, je trouve ça injuste et violent, c’est une sorte d’agression. Surtout quand on ne prévient pas ! Cette année pour la première fois, à Paris pour le Michelin, j’étais plombé de l’intérieur… Dans le cas inverse, j’étais heureux de voir des gars de 40 ans avoir trois étoiles, ils le méritent, mais il y a des choses qui ne sont pas claires car on prend tous des risques incroyables en montant un restaurant… "
Celui qui ne pose aucune condition à sa cuisine voit juste, parle juste et donc, cuisine juste. Il vit dans le monde changeant, il voit la jeunesse sans repère, sans éducation culinaire. "Je me tire une balle dans le pied mais quand j’avais 17 ans, je suis parti sur les routes de France avec mon guide rouge à la main, c’était ma bible ! J’en fais presque la collection depuis, c’est une référence, mais si vous perdez une étoile, c’est un peu comme si on vous enlevait une médaille. Pour vos pairs et vos clients, ça peut paraître étrange. Pendant 15 ans j’ai attendu ma deuxième étoile, mais je ne suis pas un bon communiquant, je n’ai même pas fait l’école hôtelière ! Ce genre d’événement vous durcit et vous donne du recul".
Ego surdimensionné
Vise-t-il les trois étoiles ? Le Graal presque inaccessible. Le Michelin attend peut-être encore un peu, mais le temps presse car dans le métier les longues carrières sont rares. "Je suis trop vieux et pas assez médiatique pour les avoir, mais je n’ai jamais eu autant de personnes qui me disent que ma cuisine vaut trois étoiles. Je suis content d’en avoir deux et je n’ai pas peur d’en perdre mais trois étoiles, c’est plus qu’une médaille olympique ! Vous faites l’histoire de la gastronomie en France. Les inspecteurs ont certainement un ego surdimensionné, c’est une forme de dictature à laquelle nous ne pouvons pas échapper. Pour moi, vouloir trois étoiles c’est mon ego qui parle, mais je pense surtout à mon équipe, à mes producteurs, cela valorise leur travail. "
Avouant que le guide était ce qu'il était, Michel Kayser comme bon nombre d'autres chefs en acceptent les règles fluctuantes. 14 en cuisine et 30 en tout, chez Alexandre, le Michelin contribue à faire travailler tout ce beau monde. "Je pense qu’au moins 50% de mes clients viennent par rapport au Michelin. Grâce à cela, je peux aussi me permettre de demander des choses à mes producteurs que je ne pourrais pas si je n’avais pas d’étoile. J’ai des produits spéciaux que je paye plus cher, mais ils sont comme je le veux et ça, ça change beaucoup de choses ? Je pense aux trois étoiles depuis mon enfance mais, il faut qu’ils se dépêchent ! Heureusement, j’ai deux jeunes derrière moi et ils pourront peut-être les décrocher ! "