FAIT DU SOIR Frédéric Salle-Lagarde, maire de Moussac, exaspéré : « Ça pourrait mal finir cette histoire »
Lassé par une série d’empoisonnements d’animaux qui met en branle la quiétude de sa commune, le maire de Moussac vient d’adresser un courrier au procureur de la République de Nîmes. Les propriétaires d'animaux victimes exigent quant à eux des réponses. C’est notamment le cas du jeune berger Louis Maréchal qui a perdu deux Patous dans l’affaire. Témoignages.
Elle s’appelait Neige, elle était blanche, belle, et ne faisait que son travail de conduite de troupeaux. Pourtant, en fin de semaine dernière, cette chienne de montagne, réputée pour son élégance et sa fourrure épaisse, a été retrouvée morte par son propriétaire, à Moussac, commune située dans le triangle d’or, entre Alès, Nîmes et Uzès. C’est un berger dévasté et déterminé à mettre un visage sur l’auteur d’un acte ô combien malveillant que nous avons eu au téléphone ce mercredi. Car la mort de ce Patou, qui vient compléter une longue liste de décès d’animaux (huit chiens, plusieurs chats et quatre renards notamment), est due à l’ingestion d’un produit phytosanitaire extrêmement nocif, qui n’aurait jamais dû croiser la route de ces bêtes.
Installé depuis quatre ans à Montignargues, le jeune Louis Maréchal possède un élevage de 600 brebis, dont la conduite était brillamment assurée par Neige : « Au-delà de l’amour que je portais à cette chienne et du temps que j’ai passé à l’éduquer, c’était ma meilleure chienne contre les loups l’été. On monte en Isère aux beaux jours et on se fait régulièrement attaquer. Grâce à elle, je perdais 50 brebis de moins chaque été en moyenne. Ce n’est pas qu’un chien qui est mort. C’est peut-être aussi 50 brebis cet été. » Et de poursuivre, rendant ainsi hommage à un Patou ultra-performant, qui lui avait été offert le jour de son installation : « On dit qu’en moyenne pour obtenir un chien de troupeau efficace, il faut en essayer cinq. En gros, ce sont près de trois ans de travail qui ont été massacrés en moins de trente secondes. »
Quelques jours plus tôt, c’est le fils de Neige, un chiot de trois mois et demi, qui perdait la vie dans les mêmes conditions : « Il faisait 25 kilos tout de même, mais le produit est tellement puissant qu’il n’a pas fait un mètre », se souvient, désabusé, l'éleveur. Ce dernier, fils de bergers, qui s’est lancé dans l’activité en solitaire dès ses 18 ans, était, au moment des faits, en pâture à Moussac à la demande de la cave coopérative. « Je devais y rester deux mois pour que mes brebis profitent de l’herbe. Le fait que j’ai dû partir me met en difficulté au niveau de mon circuit de pâturage », rajoute-t-il, sans pour autant sombrer dans l’apitoiement.
Pas plus tard qu’hier soir, le maire de Moussac, Frédéric Salle-Lagarde, échangeait avec le berger dans son bureau. L’édile, qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme par le biais d’Objectif Gard au début du mois (voir ici), est déterminé à passer la vitesse supérieure. « Mon ambition est claire, c’est de laver le village de l’opprobre qui lui tombe dessus. On a été gentils, maintenant il faut planter la dernière banderille », avertissait l’élu rencontré en mairie ce mercredi matin.
Mi-novembre, les prémices d'une série
Dans ses mains, un courrier, tout juste imprimé par sa secrétaire. « Il faut que je le peaufine mais à quelque chose près, ce sera la lettre que je vais envoyer au procureur de la République », précisait le maire. Une copie allait également être expédiée à l’attention du préfet du Gard et de la gendarmerie de Saint-Chaptes, dans l’espoir qu’une enquête approfondie ne soit diligentée. « Car ce qui me trouble, c’est la passivité des services de l’État. Le procureur n’a jamais cherché à me joindre alors que ça serait extrêmement facile pour lui d’entrer en contact avec moi. Les gendarmes ont trouvé mille excuses pour ne rien faire. Je les relance tous les jours au téléphone. Je ne sais pas s’ils ont un manque de moyen, s’ils ne sont pas assez nombreux ou qu’ils ont trop de boulot, mais ça c’est leur problème, pas le mien. Les gens attendent des réponses ! », fulminait Frédéric Salle-Lagarde, las de voir l’image de sa commune écornée par « les actes d’un décérébré. »
En effet, ce qui s’apparente à une série d’empoisonnements par dépôts d’appâts de viande sur plusieurs chemins communaux, n’est pas tout à fait nouveau. Tout a commencé le 17 novembre dernier, par l’arrivée d’une première plainte, livrée photos à l’appui, suite à la mort d’un premier chien intervenue quelques jours plus tôt.
Depuis, les dépouilles d’animaux s’accumulent, l’inquiétude des Moussacois grandit, mais l’enquête n’avance pas d’un iota. Comme il l’explique dans sa lettre, l’édile a dû « faire pratiquer les analyses et les autopsies au frais de la commune. » Désormais, après avoir fait parvenir ces documents aux gendarmes, ainsi qu’« un gant porté par le présumé coupable avec son ADN », le maire attend que des analyses ADN soient effectuées. « Si c’est une question d’argent, je m’engage à ce que la municipalité les prenne en charge », rajoute l’élu, qui reconnaît avoir de « plus en plus l’habitude de suppléer aux carences de l’État. »
« Il va être obligé de déménager »
À ses yeux, les éléments sont assez nombreux pour établir le profil du suspect. Celui d'« un chasseur, appartenant au monde agricole, probablement habitant de la commune », dixit Frédéric Salle-Lagarde, muni des résultats de l’analyse prodigués suite à la mort du premier chien du berger. « Les empoisonnements ont été causés par un insecticide de sol, de type Témik, à base d’aldicarbe. Ceux qui en usent savent très bien ce que ça peut tuer. Il n’est d’ailleurs pas impossible que certains aient acheté ce produit pour d’emblée en détourner l’usage primaire », s’interrogeait le maire.
Pour autant, il ne veut pas jeter le discrédit sur une communauté bien souvent stigmatisée. « Les coupables ne sont pas les chasseurs. C’est une extrême minorité de chasseurs, probablement qu’un seul, qui a fait cette connerie. » « Il existe bien un antidote à ce produit mais il faut l’avoir sur soi, s’en apercevoir et agir en moins de trente secondes. Ça fait un peu trop », spécifiait de son côté Louis Maréchal, peiné de ne pas avoir pu secourir ses chiens. À l’inverse du maire, le berger a apprécie la rapidité d’exécution des gendarmes : « Ils sont venus tout de suite. J’ai l’impression que la mort de mes Patous a donné une autre dimension à l’affaire. »
En revanche, les deux hommes affichent la même détermination pour le suivi d’une enquête dont ils n’accepteraient pas qu’elle ne soit pas prise au sérieux. « Il faut que ces actes odieux soient punis et que ça serve d’exemple », espérait Louis Maréchal, en même temps qu’il nourrissait ses bêtes peu après midi, aujourd'hui. « Ça peut mal finir. Demain peut-être qu’un humain sera touché. Un gosse ça joue avec tout », s’angoissait quant à lui le sexagénaire, à la tête de la commune moussacoise depuis 2014. Et d’ajouter, un brin prédictif : « Si on trouve le coupable, et j’espère qu’on va le trouver, il va être obligé de déménager. »
Corentin Migoule