Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 05.04.2022 - pierre-havez - 5 min  - vu 13020 fois

GRAU-DU-ROI Quatre ans de prison pour la conductrice d'un accident doublement mortel à l’Espiguette

Palais de justice de Nîmes (photo Norman Jardin)

Une jeune femme de 26 ans est condamnée à quatre ans d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, par le tribunal judiciaire de Nîmes pour un terrible accident, sur la route de l’Espiguette il y a trois ans. Dans sa voiture, deux jeunes étaient morts et le troisième souffre toujours de lourdes séquelles causées par la collision.

Mains croisées devant elle, pantalon et chemise noire, tatouages visibles à l’arrière du cou et sur les bras, multiples piercings à l’oreille gauche, Marie-Océane écoute en pleurant le lourd bilan médical de l’accident mortel qu’elle a provoqué, le 4 avril 2019, sur la route de l’Espiguette, au Grau-du-Roi.

Après une soirée arrosée avec trois jeunes collègues, dont un de 17 ans, la jeune femme de 23 ans prend la route de la plage avec eux. Mais vers 23h40, fortement alcoolisée, elle perd le contrôle de sa Golf à 128km/h au lieu de 50, pulvérise la barrière de la piste cyclable d’un côté de la route, puis, après une embardée, vient s’encastrer, de face, dans le mur du mas de l’Espiguette où elle rentrait. À la place du passager avant, Enzo, qui devait se fiancer le lendemain, est mort sur le coup d’une fracture crânienne béante. Derrière, Augustin et Ruben, qui n’étaient pas non plus attachés, doivent être désincarcérés par les secours. Augustin décède à son tour, 8 jours plus tard, de ses graves blessures. Marie-Océane roulait sans assurance, ni contrôle technique.

« Je ne me souviens de rien »

Après un lourd silence, la jeune femme prend la parole. « Je suis profondément désolée, je regrette plus que tout d’avoir pris le volant ce jour-là : je ne pourrai jamais me pardonner, mais je ne pourrai jamais expliquer non plus ce qui s’est passé lors de l’accident », lâche-t-elle faiblement. Le juge reste perplexe à propos de sa consommation d’alcool excessive et de sa conduite dangereuse, ce soir-là. « Je ne me souviens de rien de cette soirée, je sais juste qu’on est sorti boire un verre ensemble et je suppose qu’ensuite je devais les ramener au ranch, avant de rentrer au mas, continue-t-elle, tristement. Je ne vois pas de raison particulière à part la situation très compliquée avec mon ex-compagnon, à cette époque, et l’ambiance festive ce soir-là »

« Un peu rebelle »

Les avocats des familles des victimes reprochent à Marie-Océane d'avoir publié sur les réseaux sociaux, à la sortie de son hospitalisation, des photos provocantes, où elle fait notamment des doigts d’honneur. « J’ai aussi beaucoup souffert de cet accident et bataillé pour m’en sortir, et j’étais relativement contente, en sortant », tente péniblement d’expliquer la jeune conductrice. Le juge creuse un peu sa personnalité. « Vous n’aviez rempli aucune obligation d’assurance ou de contrôle technique, de manière un peu rebelle, car vous ne cautionniez pas ce principe, selon les enquêteurs... », fait remarquer le président Jean-Pierre Bandiera. La jeune femme tique : « Je ne pense pas avoir dit cela, ce sont plutôt des considérations financières », répond-elle, d’une voix blanche.

Devenue agent de la circulation, en Suisse, Marie-Océane songe aujourd’hui à ouvrir une association pour aider les handicapés au contact des chevaux. « J’ai écrit à la prévention routière pour témoigner de ma mauvaise expérience et essayer de faire de la prévention chez les jeunes, mais je n’ai pas eu de réponse », ajoute-t-elle.

Son fils tatoué sur l’épaule

« Depuis l’accident, Ruben a beaucoup de troubles du comportement, il est devenu sourd d’une oreille, a des pertes d’équilibre, il ne peut plus monter à cheval, ni passer le permis : son avenir est limité », témoigne la mère de l’autre survivant, Ruben. « Je partageais toutes mes passions avec mon fils, ça fait trois ans que je prends des antidépresseurs alors que je n’ai jamais pris de traitement, ma vie est détruite, je suis perdu », déclare la voix brisée le père d’Augustin, montrant l’épaule sur laquelle il a fait tatouer le nom de son fils.

L’avocat des familles des deux cousins, Enzo et Augustin, poursuit : « Ils vivent ensemble, en famille, au ranch, avec la même passion du cheval. Et au petit matin, on leur a annoncé que pour Enzo c’était trop tard, pointe Guillaume Fourrier. Aujourd’hui, leurs yeux sont rougis, mais ils attendent avec impatience que la Justice passe et sévèrement. Car sa désinvolture et son égoïsme ont été dramatiques : on peut aimer la vitesse, mais on ne peut pas tuer impunément deux jeunes garçons en faisant un ou deux ans de prison, alors qu’eux sont privés d’un fils ou d’un frère. Ils vont repartir avec leur peine et l’espoir d’une sanction à la mesure de leur détresse. »

« Ne pas confondre justice et vengeance »

Le procureur prend la parole pour tempérer un peu ses ardeurs : « Dans ces histoires terribles d’accident de la route, il est rare que quiconque sorte satisfait de l’audience. La Justice n’a rien à proposer pour apaiser votre souffrance, explique Stéphane Bertrand. Ici, la conductrice n’a commis que des mauvais choix : c’est en conscience qu’elle conduit un véhicule non conforme, non assuré, après avoir bu, et à grande vitesse… Ce qui est arrivé n’a rien d’accidentel, l’issue en était quasiment écrite… » Le magistrat marque un temps de silence. « Mais il ne faut pas confondre justice et vengeance. Votre peine, aussi exemplaire soit-elle, n’apaisera pas les victimes. Cela ne va pas leur plaire, mais ce soir-là, tout le monde aurait dû rentrer à pied, après avoir bu. Mais au contraire, l’avoir vu boire, elle, ne les a pas empêchés de monter ensuite dans sa voiture ! », conclut Stéphane Bertrand, en requérant deux ans d’emprisonnement contre Marie-Océane et l’annulation de son permis de conduire.

« Elle aurait dû dire stop ! »

L’avocat de Marie-Océane dévoile quelques pans oubliés de la soirée : « Elle n’était pas à l’origine de cette soirée, elle était en pleine séparation et perturbée, et les trois garçons ont insisté pour faire cette soirée avec elle. L’avant-veille, elle avait reçu 38 appels de l’un des trois, commence Louis-Alain Lemaire. Ensuite, ils vont prendre l’apéritif, l’ambiance est festive, ils dansent. Et puis, dans la voiture, ils continuent à rire et à écouter de la musique très fort. Là, elle aurait dû dire stop ! Ou dire à tout le monde de mettre sa ceinture. Mais elle roule trop vite et perd la maitrise de sa voiture. Alors ne disons pas que c’est pour son plaisir ! Il y a à ce moment-là une communion de fête. Mais c’est elle qui est au volant… »

En 2021, Marie-Océane a repris le volant pour son travail, et a eu un nouvel accident, seule, en raison d’une crise d’épilepsie, selon un médecin, posant la question d’un premier malaise ayant pu provoquer le drame de l’Espiguette. « Elle a souffert elle-aussi : sourde d’une oreille, un visage asymétrique et des crises d’épilepsie qui ont causé un accident ultérieur, poursuit son avocat. Elle est tellement touchée par cet accident et par sa rééducation auprès de victimes d’accidents de la route, qu’elle a eu l’idée de ce centre d’aide aux handicapés, ça montre la conscience qu’elle a eu de cet accident. Elle ne peut faire revivre ces garçons, mais essaye d’apporter, peut-être un peu de soulagement aux autres. » Marie Océane est condamnée à quatre ans d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, et l'interdiction de repasser son permis pendant 8 ans.

Pierre Havez

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