L'INTERVIEW David Seve, président de la FDSEA : "Nous sommes passés d'une calamité agricole tous les quatre ans à quatre par an"
Sécheresse, grêle, incendie. Au sortir d'un été très compliqué pour les agriculteurs gardois, David Seve, arboriculteur beaucairois et président de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) du Gard, fait le point sur la situation et explique les enjeux pour les années à venir.
ObjectifGard : Cet été, les agriculteurs ont notamment été confrontés aux aléas climatiques. Quel secteur a été le plus impacté ?
David Seve : On a observé et vécu des choses inhabituelles dues à cette canicule. Les plus impactés sont les éleveurs qui sont souvent sur des terrains un peu plus ingrats et non irrigués. Puis les vignerons. Malgré les efforts de chacun, il y a eu un moment où il n'y avait plus assez d'eau pour tout le monde - la préfecture a choisi de privilégier la population - il a donc fallu arrêter l'irrigation à certains endroits. Et forcément, ça a un impact sur les vendanges. On a eu quelques pluies heureusement, ou malheureusement pour les secteurs touchés par la grêle notamment sur les cantons de Beaucaire et d'Aigues-Mortes où il y a eu pas mal de dégâts.
Ces restrictions très sévères sur les usages de l’eau, les avez-vous comprises ?
Je peux les comprendre, mais si quelqu'un est sacrifié - en l'occurence le monde agricole - il faut qu'il y ait une compensation. Nous avons engagé une procédure pour la reconnaissance en calamité agricole du département pour le secteur de l'élevage. Cela afin que soit débloqués des fonds pour ceux qui ont subi une perte de fourrage. Nous avons rendez-vous avec les services fiscaux pour des dégrèvements de taxes sur le foncier non-bâti pour les sinistrés de la sécheresse, de la grêle mais aussi des incendies.
Est-ce qu'une agriculture est viable dans un tel contexte ?
Nous sommes passés d'une calamité agricole tous les quatre ans à quatre par an. Alors effectivement, tout le monde se pose des questions. Une réflexion doit être menée sur certains sujets. Concernant la sécheresse, par exemple, je ne comprends pas que dans un département comme le Gard, personne n'ait pensé à des retenues collinaires qui, en cas d'épisodes intenses, retiendraient l'eau, éviteraient les inondations et restitueraient l'eau en été. Si demain il n'y a pas de projets collectifs et individuels sur toute la partie non-irriguée du département - ce qui représente les trois quarts du Gard - il ne nous restera rien ou il faudra accepter de ramasser une année sur deux. Personne ne l'acceptera. Heureusement qu'il y a le réseau BRL qui a permis d'irriguer 30 à 40 % du territoire. Sachant tout de même que le Rhône n'est pas une ressource inépuisable.
Les pluies de la mi-août, que vous évoquiez précédemment, ont tout de même permis de sauver les meubles. Mais quel est le bilan concernant les rendements ?
La récolte, dans les vignes par exemple, ne sera pas importante, même si la qualité sera au rendez-vous car il y a eu très peu de maladies. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'au-delà de 38 degrés, la végétation souffre. Elle n'est pas adaptée. Beaucoup commencent à réfléchir à cette question d'adaptation. J'ai moi-même commandé deux hectares de clémentines par exemple. Et je ne suis pas le seul, une centaine d'hectares de clémentines va être plantée cette année dans le Gard. Il y a dix ans en arrière, personne ne l'aurait fait. À l'inverse, les pommiers et les cerisiers commencent à être difficilement adaptables. Après, je veux être un peu optimiste, je pense que des solutions peuvent être mises en place pour faire que les choses changent.
Le consommateur va-t-il, en raison des faibles rendements, payer le prix fort ?
On a eu une envolée du cours des matières premières (engrais, gazole, produits phytosanitaires etc) donc forcément ça va se répercuter sur les prix de vente. Sauf qu'on assiste à un jeu de pirouettes. Il n'y a pas longtemps, un collègue m'a appelé pour me dire que du raisin qui était acheté 1,50 € le kilo à Jonquières-Saint-Vincent était revendu 6,50 € le kilo dans les grandes surfaces. Ce n'est pas dû qu'à l'inflation. Il va falloir que le Gouvernement soit attentif à ça. La loi EGalim a été mise en place, je vois que ce n'est pas optimum, même si certaines enseignes de la grande distribution jouent le jeu. Ça fait 25 ans que je fais du syndicalisme et je ne sais toujours pas comment résoudre ce problème. Et puis, il y a aussi la hausse du coût de l'énergie. Je commence à être sollicité à ce sujet, c'est une première.
Reste un autre sujet, là aussi problématique, la pénurie de main d'oeuvre.
Je ne veux pas stigmatiser et dire que tous les chômeurs sont des fainéants. Je comprends qu'un chômeur à Alès n'ait pas envie de venir travailler à Beaucaire par exemple. Mais je fais un constat simple, sans vouloir faire de politique, ni de polémique : 30 000 personnes au RSA dans le Gard, 50 000 au chômage et on a du mal à trouver 15 000 saisonniers.
N'y a-t-il pas une réflexion à avoir sur les salaires notamment ?
Je me suis posé la question tant qu'il n'y avait que notre secteur qui était touché par cette problématique. Mais aujourd'hui, nous ne sommes plus les seuls. C'est vrai que travailler dans l'agriculture, c'est pénible. Mais chaque métier a ses avantages et ses inconvénients. La question de la rémunération, je l'entends, mais les gens sont payés au SMIC, ils font beaucoup d'heures supplémentaires payées. Chez moi un saisonnier (il tend trois bulletins de salaire, NDLR) est payé 1 500, 1 600 euros par mois et certains plus en fonction de leur expérience. Et il n'y a pas de diplôme demandé, rien que de la motivation. Nous avons demandé et obtenu de la Dirrecte des dérogations collectives pour qu'on puisse monter à 60 heures de travail par semaine afin de pallier cette pénurie de main d'oeuvre. Ce qui permet par ailleurs à ceux qui viennent travailler de faire un maximum d'heures, ce qu'ils souhaitent. Les 35h, ça ne les intéresse pas.
L'an dernier, vous évoquiez l'idée de la création d'un village de saisonniers pour répondre aux problématiques liées au manque de logements, à l'emploi des saisonniers. Où en est ce projet ?
Nous nous sommes rapprochés de Nîmes métropole pour savoir s'il serait possible d'obtenir un terrain pour y installer ce village de saisonniers et y accueillir des personnes d'autres pays ou d'autres régions. Reste à savoir comment et sous quelle forme ce projet sera réalisé.
Terminons sur une note positive. À l'occasion de la rentrée, le ministère de l'Agriculture a publié les derniers chiffres sur l'enseignement agricole. Les effectifs sont en hausse cette année par rapport à 2021 avec 12 500 élèves de plus.
Il faudra toujours nourrir les gens et je pense qu'avec tout ce qui se passe - hausse du coût du transport, l'écologie etc - le local va revenir à la mode, c'est d'ailleurs déjà le cas en fait. La part de la vente directe dans le Gard est de 20 %, ce qui est beaucoup. Aujourd'hui, on retrouve de plus en plus de produits locaux dans les grandes surfaces. Et ça, c'est la victoire des vingt dernières années. Ce n'est pas par philanthropie mais parce que la demande est là, parce que les gens sont devenus consom'acteurs. Après, on en revient à ce que nous disions, il ne faut pas en profiter pour vendre le produit local hors de prix. Mais je pense qu'il y a un vrai avenir pour l'agriculture et l'engouement des jeunes fait plaisir à voir.
Propos recueillis par Stéphanie Marin