FAIT DU SOIR Louis Gallois, ex-PDG d'Airbus : "Alès utilise sa tradition industrielle à bon escient"
L'ex-PDG d'Airbus, ancien patron de la SNCF, était à Alès ce mercredi. Reçu dans le nouveau bâtiment l'Ingénium du Pôle mécanique par les autorités locales et un parterre de chefs d'entreprises, le capitaine d'industrie dit avoir été bluffé par l'écosystème économique local.
"Alès régénère son industrie encore et encore", tel était le thème du séminaire organisé ce mercredi au Pôle mécanique par la Fabrique de l'industrie, un laboratoire d'idées créé en 2011. La presse locale y était conviée et a assisté à cette conférence de plus de deux heures. Deux heures, c'est long. Long comme un dimanche pluvieux. Mais si vous aimez l'économie et que vous voulez vous conforter dans l'idée que la voie de la réindustrialisation est celle que doit emprunter la France, alors cette lecture est faite pour vous.
À la présentation de cette longue séquence, Annick Le Lan, directrice de l'agence de développement Alès Myriapolis, a très vite cédé le micro à Christophe Rivenq. S'il revendique à l'envi "le temps d'avance" qu'aurait Alès, le président de l'Agglo a d'abord fait un petit saut dans le passé en invitant l'assistance - fournie en chefs d'entreprises locaux - à se remémorer quelques "choix politiques forts". Parmi eux, le développement industriel figurait en bonne place.
"En 1995 avec Max Roustan, pour faire d'Alès le pôle industriel de la région Languedoc-Roussillon, nous avons pris deux décisions : créer ce Pôle mécanique et créer une agence de développement, sorte de guichet unique, qui est aujourd’hui Alès Myriapolis", s'est enorgueilli Christophe Rivenq. Ce mercredi, le président d'Alès Agglo, premier ambassadeur de la nouvelle marque territoriale baptisée "Le sud ingénieux", a trouvé des relais de poids pour porter son crédo.
Présent à ses côtés sur l'estrade, Gérard Mirabel, directeur de l'entreprise SNR Cévennes, s'est montré élogieux à l'égard des autorités locales en se souvenant qu'au début de la dernière décennie, alors que sa société se trouvait en pleine expansion, "l’Agglo nous a mis à disposition un bâtiment conforme à nos activités en le remettant aux normes".
Frédéric Burgals, gérant de l'entreprise Dexel basée aux Salles-du-Gardon, a aussi livré un témoignage résolument positif en mentionnant les "60 000 masques commandés par l'Agglo" au moment de l'éclatement de la pandémie en 2020. L'entreprise spécialisée dans la fabrication de matériaux de construction avait alors fait preuve de "réactivité" pour opérer cette reconversion temporaire en adaptant son matériel.
Présent dans l'assistance, Michel d'Ozenay, fondateur de l'entreprise Senfas établie à Méjannes-les-Alès, est peut-être celui qui s'est montré le plus dithyrambique au sujet du territoire. "Aujourd'hui, j'arrive à 40 millions d'euros de chiffre d'affaires et j'ai une centaine de salariés. Si j’en suis là, c’est grâce au territoire", a insisté le patron de ce fleuron de la bio. Avant de donner un exemple concret : "En 2018, j’étais à l’étroit dans mes murs. Avec l’agence Myriapolis, l’Agglo m’a trouvé un terrain de 10 000 m² dans les deux mois. Vraiment, ce territoire est étonnant. Il y a de la compétence partout !"
Maud Sébastien St Mars, directrice de WBI, une usine de production industrialisée de modules à ossature bois destinés à l’habitat (40 millions d'euros de chiffre d'affaires prévisionnel à l'horizon 2024), a expliqué le choix de sa récente implantation à Saint-Privat-des Vieux. "Si on a choisi le bassin d'Alès, c'est parce qu'on est ici sur le deuxième pôle industriel d'Occitanie après Toulouse", a fort justement indiqué la gérante, laquelle a aussi apprécié "le fort potentiel en matière de jeune personnel qualifié". Une référence à peine voilée aux ingénieurs de l'IMT Mines Alès, représentée ce jour par Anne Lichtenberger, directrice de l'incubateur né en 1984.
"Une réglementation trop tatillonne"
Alors que le potentiel industriel du bassin faisait consensus, l'heure était venue d'en identifier les "freins", et les moyens de les surmonter. Christophe Rivenq avait été le premier à mettre les pieds dans le plat : "Aujourd’hui, pour passer de l’idée à la réalisation d’un projet, il peut s'écouler des années. C’est bien joli de vouloir améliorer l’environnement. Bien sûr qu’il faut le faire, mais il faut aussi de temps en temps sacrifier des terrains pour les imperméabiliser."
Une intervention relative à la problématique du foncier et de l'installation de nouvelles entreprises qui n'a pas manqué de faire réagir. À commencer par Alexandre Coulet, dirigeant de S Group, lequel est englué "depuis cinq ans" dans un déménagement vers un terrain plus spacieux en adéquation avec les besoins de son entreprise. Le foncier, un écueil sur lequel a insisté le président de l'Agglo, dénonçant "une réglementation trop tatillonne et des lois mortifères".
"Quelque chose à Alès que je ne retrouve pas partout"
L'élue écologiste qu'est la conseillère régionale Aurélie Genolher était aux premières loges et n'en a pas raté une miette. "Je suis une élue écologiste mais une élue du concret et du faire. Le changement climatique est bien là. C’est tous ensemble qu’on pourra démontrer qu’avec des actions on peut arriver à faire de grandes choses", a résumé la dernière nommée, préférant "la mesure" à "l'extrémisme".
"Aujourd’hui, chez Alès Myriapolis, il nous reste quatre hectares de foncier à attribuer dans des zones d'activités économiques pour plus de 17 hectares de demandes. Trouver de nouveaux terrains est donc un enjeu fort", a enfoncé Annick Le Lan entre deux passages de plat. Invité d'honneur de cette conférence bercée par le son des voitures de course en pleine session de roulage sur la piste vitesse du Pôle mécanique, Louis Gallois a été tout ouïe.
À 78 ans, l'ex-PDG d'Airbus, ancien président de la SNCF et jusqu'à l'an dernier président du conseil de surveillance de PSA Peugeot-Citroën, a livré sa vision du bassin alésien, avant d'apporter à l'assistance son éclairage en matière d'industrie. "Ce que j’ai écouté est tout à fait passionnant. Je sens qu’il se passe quelque chose à Alès que je ne retrouve pas partout ailleurs. Il y a un consensus dynamique des acteurs pour engager Alès dans la voie du développement économique. Alès a subi des épreuves mais n’est pas tombée dans une posture victimaire", a conclu le président de la Fabrique de l'industrie.
Et aussi... trois questions à Louis Gallois, président de la Fabrique de l'industrie :
- Ce séminaire alésien ponctué de plusieurs visites d'entreprises touche à sa fin. Quels enseignements en tirez-vous ?
Ce que j'ai vu ne m'a pas surpris. Il y a cinq ans quand je suis venu pour la première fois à Alès, j'avais déjà senti le dynamisme local et l'esprit de coopération qui règne entre les acteurs. J'ai retrouvé cela avec une plus grande maturité et une organisation qui a beaucoup progressé. Alès a beaucoup d'atouts. Elle en a un qui aurait pu être un inconvénient, c'est qu'elle a une très grande tradition industrielle. Ça peut paralyser car on peut avoir envie de revenir à ce qu'on a connu. C'est le rêve du retour à l'âge d'or. Ce n'est pas la carte qu'Alès a jouée. Alès utilise cette tradition industrielle à bon escient. L'école des Mines est un autre atout que je n'ai pas trouvé ailleurs. Enfin, il y a un atout dont je n'ai pas parlé lors de la conférence, c'est le climat ! Les gens sont tentés d'aller à Alès. C'est une ville à taille humaine plus épargnée par les embouteillages que Montpellier. Et en plus il y un arrière-pays magnifique, ce sont les Cévennes qui sont à deux pas.
- Le président d'Alès Agglo, Christophe Rivenq, a trouvé en vous une oreille attentive lorsqu'il s'est agi d'houspiller une "règlementation trop tatillonne et des lois mortifères" au sujet de l'installation d'entreprises, en lien avec la problématique du foncier. Pourquoi êtes-vous d'accord avec ses propos ?
Le foncier est un problème absolument majeur. Il va falloir surmonter cet obstacle. Comment voulez-vous réindustrialiser un pays si on ne peut pas y installer des usines ? Il faut mesurer les choses. Le développement d'Alès, le fait d'offrir du travail et des activités intéréssantes à des Alésiens n'a-t-il pas un prix ? J'ai beaucoup de respect pour les champs de luzerne, mais il faut mettre en balance cela avec l'importance que ça revêt pour l'Homme. Un pays qui ne construit plus est un pays qui s'arrête. Il faut un assouplissement règlementaire. Car l'industrie n'est pas l'ennemie de l'environnement. Je pense même qu'il n'y aura pas de transition énergétique si l'industrie n'est pas là pour la soutenir. L’industrie, c’est 20 % des problèmes, mais c’est 100 % des solutions. Le véhicule électrique, c’est l’industrie. Le nucléaire, c’est l’industrie. Le recyclage des déchets, c’est l’industrie. L’industrie est partout. Elle est au service de l’environnement.
- Au cours de la conférence, vous avez parlé de l'année 2023 comme "une épreuve de vérité" pour l'industrie. En quoi peut-elle constituer un point de bascule pour l'avenir de la France ?
Avec la crise de l'énergie, la facture énergétique va être extrêmement élevée en 2023 pour les entreprises. Ça va ponctionner considérablement leurs capacités financières. Certaines entreprises s'en accommoderont. D'autres auront plus de difficultés, voire carrément couleront. Je pense que l'État doit réfléchir à comment les aider à surmonter ces difficultés, surtout quand on voit comment s'y prennent les Américains avec un gigantesque plan en faveur de l'industrie et de l'environnement. Idem pour les Allemands avec leur plan à 200 milliards d'euros dont une très large part est consacrée à la protection des entreprises. Chez nous, on voit malgré tout qu'il y a plus d'usines qui se créent que d'usines qui se ferment. Les exportations ont augmenté de 20 %. Il ne faudrait pas tout casser à cause d'une mauvaise année 2023.