Publié il y a 5 mois - Mise à jour le 24.05.2024 - Louis Valat - 7 min  - vu 864 fois

ALÈS "Touche pas à mon école" : une vibrante cérémonie de remise de la nouvelle brochure, en présence de Mickaëlle Paty

Gilles Roumieux et Mickaëlle Paty aux côtés des élèves auteurs du dernier livret.

- Photo Louis Valat

Ce mercredi 22 mai, Mickaëlle Paty a remis en main propre les brochures intitulées "Touche pas à mon école" aux élèves de troisième ayant contribué à ce projet. Disponible dans quelques librairies alésiennes depuis plusieurs jours, cette publication, parrainée par la sœur de Samuel Paty, aborde les enjeux de l'école républicaine et de la laïcité, en réponse à l'assassinat du professeur Dominique Bernard en octobre dernier. Il s'agit de la troisième brochure de Gilles Roumieux et ses élèves.

Son regard, empreint de courage, de détermination à "rétablir l'honneur de son frère", parfois teinté de frustration face à l'inertie de l'Éducation nationale face à un véritable changement, mais également empreint d'une profonde bienveillance envers Gilles Roumieux, les élèves et leurs parents présents ce mercredi soir, reflétait les nuances d'une soirée pour le moins chargée d'émotion. Hier soir, lors d'une cérémonie tenue dans un lieu confidentiel, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie tragiquement assassiné le 16 octobre 2020, a en effet fait honneur de sa présence. En sa compagnie, Gilles Roumieux, enseignant au collège Jean Racine d'Alès, a dévoilé devant de nombreux élus de la ville, maires de différentes communes voisines, parents et élèves de son collège, sa nouvelle brochure intitulée "Touche pas à mon école" dont Mickaëlle Paty est la marraine et à laquelle elle a apporté une préface. Ce livret, qualifié par son initiateur comme un manifeste pour la "Liberté d'expression, l'égalité de la réception et la fraternité finale", cherche une fois de plus à unir les élèves, quel que soit leur niveau scolaire, leur origine sociale ou d'autres caractéristiques, autour d'un objectif : défendre l'école républicaine et promouvoir la laïcité en toute liberté.

L'engagement d'un professeur de Racine qui veut "rendre libre ses élèves"

Se qualifiant modestement de "petite main de l'Éducation nationale", Gilles Roumieux est un professeur d'histoire-géographie dont l'engagement et le courage continuent en réalité d'inspirer admiration et respect, tant au niveau local qu'à l'échelle nationale. Pour rappel, après l'assassinat de Samuel Paty en 2020, il avait pris soin de donner ouvertement la parole à ses élèves dans une brochure intitulée "Touche pas à mon professeur", un vibrant plaidoyer, qui regroupait paroles et réflexions d'adolescents, qui ne demandaient à ce que de tels actes ne soient jamais reproduits. L'ouvrage a été honoré au plan national par le Prix de l'initiative laïque 2021.

Deux ans plus tard, le 13 octobre 2023, alors qu'il préparait avec ses élèves une nouvelle brochure sur l'égalité homme-femme, après celle, poignante, sur le harcélement scolaire paru quelques mois plus tôt "Touche pas à mon camarade" (relire ici) , une athrocité sans nom le frappe de nouveau. Un nouveau professeur, Dominique Bernard, est assassiné à Arras. Malgré la douleur, ce professeur d'histoire-géographie et EMC trouve la force et la détermination pour se lever et faire, une nouvelle fois, entendre les voix de la République, celles de ses élèves. S'indignant une fois de plus contre ces actes barbares, ils revendiquent avec force les valeurs et l'importance de l'école de la République, à une époque où il juge particulièrement important de le faire : "Aujourd'hui, des personnes courageuses il y en a peu, et si on se résigne, rien ne bougera. Je ne suis qu'un humble professeur qui a pour mission de rendre libre mes élèves et les assassinats terribles de Samuel Paty, puis de Dominique Bernard ont été des blessures intimes pour moi."

Gilles Roumieux
Gilles Roumieux, professeur d'histoire-géographie au collège Racine pour "Touche pas à mon camarade" en 2023. • Photo Corentin Migoule

Trois années se sont écoulées depuis l'assassinat tragique de Samuel Paty, mais pour Gilles Roumieux, le constat demeure accablant : aucun changement significatif n'a été observé, aucune initiative concrète n'a été prise pour renforcer l'enseignement de la laïcité dans les écoles. Déterminé, il promet de poursuivre son combat aussi longtemps que nécessaire. Bien que se trouvant souvent solitaire, sa voix résonne auprès de nombreux citoyens, surtant dans celle de Mickaëlle, la sœur de Samuel Paty, qui a, d'elle-même pris contact avec Gilles Roumieux suite à son premier livret "Touche pas à mon professeur". "Notre rencontre avec Gilles s'est faite un soir de décembre, en 2020. Je crois qu'il n'était pas prêt à recevoir mon appel. On dit souvent que nous avons tous eu un professeur qui a changé notre vie ; moi, je l'ai rencontré l'année de mes 42 ans. Suite à l'attentat islamiste du 16 octobre 2020 contre mon frère, Samuel, Gilles avait mené un travail de réflexion et d'expression libre sur le fait que l'on puisse porter atteinte à ce qui les construit, les professeurs, et ceux qui les fondent, les valeurs de la République."

"Touche pas à mon école", quarante-huit témoignages d'élèves en réaction aux tragiques événements

Lors de cette cérémonie tenue ce mercredi 22 mai, plusieurs élèves ont en amont de la présentation du nouveau livret, pris la parole pour partager leurs expériences émouvantes issues des brochures précédentes. Alexandre, Abed et Manon ont notamment livré des témoignages, rappelant l'importance de leurs contributions passées. Parmi eux, Alexandre, qui a courageusement partagé son vécu de harcèlement scolaire primaire, a ému l'assemblée, révélant ainsi les douloureux épisodes qu'il avait relatés dans "Touche pas à mon camarade". Également touchant, le discours du père d'Alexandre, exprimant sa gratitude la plus sincère envers le professeur Gilles Roumieux pour l'avoir éclairé lui et l'entiereté de la famille sur les souffrances de son fils, révélées et découvertes dans ce livret. "Je suis fier de lui, et je le soutiens chaque jour. Il n'avait pas su nous en parler auparavant, le projet a donc été un déclic pour lui, comme pour moi. Aujourd'hui, nos échanges sont bien plus ouverts, plus limpides entre nous" a-t-il partagé avec émotion.

Gilles Roumieux et Mickaëlle Paty aux côtés des élèves auteurs du dernier livret. • Photo Louis Valat

Ont suivi les interventions d'Aliya et, enfin, d'Enzo, qui ont présenté le projet initié il y a quelques mois seulement "Touche pas à mon école" par les élèves de Gilles Roumieux, en lisant certains de leurs écrits. Le professeur précise, si certains avaient quelques doutes, n'avoir exercé aucun droit de regard sur le sublime travail effectué par ses élèves. Dans ce livret, Mélyne y exprime notamment son état de choc et son incompréhension face à la cruauté des récents assassinats, écrivant : "J'ai été particulièrement choquée par ce nouvel assassinat, (celui de Dominique Bernard, NDLR), j'en ai fait des cauchemars effrayants. Il m'est impossible d'imaginer la douleur de la famille. Je ne conçois pas une telle cruauté, cela m'est impossible. Ces deux événements sont inconcevables." Cette même brochure appelle également à une réforme de l’image de l’école, comme le souligne Lilou : "L'image de l'école devrait être restaurée en étant plus à l'écoute des adolescents, en les faisant participer et réfléchir aux problèmes de la société, car ce sont eux, les futurs adultes."

La nécessité de ne jamais oublier les victimes de tels actes est un autre point retrouvable dans l'ouvrage, avec Titouan affirmant : "Je trouve qu'assassiner un professeur est d'une violence inouïe, que cela ne devrait jamais avoir lieu dans une République libre et démocratique. Je ne comprends pas comment un homme peut en tuer un autre seulement pour des images présentées en classe. Je pense qu'un hommage doit leur être rendu chaque année en rappelant leur triste sort." Enfin, Lorenzo rappelle lui l'importance de l'école en tant que bastion de la liberté de pensée et d'expression : "Un professeur transmet des connaissances en suivant le programme scolaire, mais aussi prépare les élèves à penser par eux-mêmes. L'école est un lieu de liberté, car tout le monde y a le droit de penser, de s'exprimer librement et de donner son avis." Ces témoignages, réunis dans la brochure parmi quarente-huit au total, forment une véritable tribune pour cette jeunesse, pour une école républicaine plus sécurisée, laïque et respectueuse des droits de chacun.

Mickaëlle Paty, marraine du projet

À son tour, dans un instant de solennité perceptible à travers le silence respectueux dans l'assemblée, Mickaëlle Paty a pris la parole, pour une intervention attendue. "Il y a désormais toutes ces voix qui s'élèvent et nous élèvent. Elles ne le sont que grâce à l'abnégation et au courage de l'un de leurs professeurs, monsieur Gilles Roumieux, à qui je voue une totale admiration et le plus grand respect."

Gilles Roumieux, ému auprès de Mickaëlle Paty, ce mercredi soir. • Photo Louis Valat

Plus tôt dans l'après-midi, Mickaëlle Paty dont le frère a horriblement était assassiné dans une école de la commune d'Éragny-sur-Oise avait vivement critiqué l'absence de réponse adéquate de la part des autorités face aux attaques répétées visant l'école républicaine. C'est dans ce contexte que s'explique son engagement total envers l'initiative portée par Gilles Roumieux et ses élèves de troisième au collège Jean Racine à Alès "L'école est le lieu où l'on doit commencer à enseigner la laïcité, mais cela doit continuer au-delà. Nous avons vu des campagnes nationales pour les maux de dos, je pense que l'on devrait en faire autant pour la laïcité."

"En termes d'actions, on est vraiment en dessous de ce qu'il faudrait faire. Ce qu'il faut comprendre, c'est que pour mon frère Samuel, à l'époque, au nom du 'pas de vague', pour minimiser une campagne islamiste, on lui a reproché un problème pédagogique, une erreur. Le 'pas de vague' est toujours là. Ils disent qu'il n'est plus là, qu'il faut faire la guerre, mais il n'y a pas d'actes, leurs mots ne sont jamais suivis d'actions."

Mickaëlle Paty, sœur de Samuel et auteure de la préface de "Touche pas à mon école".

Enfin, avant la remise finale en mains propres des brochures aux élèves, le professeur d'Histoire-géographie, Gilles Roumieux, a remercié Mickaëlle Paty pour sa présence. "J'avoue mon émotion. Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est pour la mémoire de Samuel Paty et Dominique Bernard, deux professeurs assassinés par des islamistes parce qu'ils représentaient et incarnaient les valeurs de l'école républicaine. "Touche pas à mon école" est une mise en lumière du rôle fondamental de l'école. En étant parmi nous, Mickaëlle Paty poursuit l'œuvre de son frère, tant elle est imprégnée du sens de l'école laïque qui construit, qui émancipe, qui rend libre. Un attachement viscéral à la liberté et à la justice pour l'avenir de la jeunesse."

Pour la remercier d'être venue et saluer son courage, quelques élèves ont offert à Mickaëlle Paty des cadeaux, dont un bouquet de fleurs • Photo Louis Valat

Gilles Roumieux a annoncé qu'il s'agissait de leur première rencontre en personne, bien qu'ils semblent échanger régulièrement sur des sujets d'actualité via WhatsApp. Il l'a également invitée à revenir dans la sous-préfecture du Gard, peut-être pour l'inauguration d'un espace en l'honneur de son frère, Samuel Paty, dans la ville d'Alès. Gilles Roumieux nourrit cet espoir, et les applaudissements qui ont suivi son appel ont démontré le soutien à cette idée. L'appel est en tout cas lancé.

DERNIÈRE MINUTE

Face au silence du gouvernement, Mickaëlle Paty attaque l'État en justice. Lors de sa venue à Alès ce mercredi 22 mai, la sœur de Samuel avait fait part de son agacement face au manque de réaction du gouvernement suite à l'assassinat de son frère, le 16 octobre 2020. Ce vendredi 24 mai, Carine Chaix, son avocate, a confirmé que le délai de deux mois laissé au gouvernement pour reconnaître la responsabilité de l'État dans la mort de Samuel Paty a été dépassé. "Dans un État de droit, la place est maintenant au temps judiciaire qui ne se soucie pas d'un quelconque agenda", a déclaré l'avocate.

Louis Valat

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