FAIT DU JOUR Loin du budget de celui d'Alès, l'abattoir du Vigan poursuit son activité, pour et par les éleveurs
Repris en 2018 sous forme de coopérative, l'abattoir du Vigan est tenu par des éleveurs qui se transforment en tâcherons le temps de l'abattage, une fois par semaine, et de la découpe un autre jour. Loin des rythmes d'abattage d'Alès, financièrement à l'équilibre, il permet de conserver des élevages paysans autour du Vigan qui pratiquent la vente en circuit court.
Quelque part, c'est un modèle local de subsistance locale. En mai 2018, les éleveurs de la nouvelle société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) effectuaient leur premier abattage dans leur outil repris à la Communauté de communes, qui reste propriétaire des murs. Après deux ans de turbulences, suite à une vidéo de l'association L214, et un abandon de l'outil par la Communauté de communes, le modèle a complètement changé.
Aujourd'hui, les abatteurs ne sont plus des salariés payés au Smic mais des éleveurs, qui savent qui ils abattent et ne risquent pas de négliger ou de maltraiter le fruit de leurs efforts des mois et années précédentes. "Tous les investissements allaient partir en pure perte", argumente encore Stéphane Thiry, éleveur de bovins à Bez-et-Esparon. Avec le fichier de tous les utilisateurs de l'époque, et l'aide du dernier directeur de la structure pour une étude, "on a mis en place les marchés", rembobine Stéphane Thiry. Et capté des éleveurs du Gard, de l'Hérault, de l'Aveyron et de la Lozère, pour se faire une place entre les abattoirs d'Alès, Pézenas, Saint-Affrique ou Rodez.
Seuls les éleveurs viennent abattre
"Aujourd'hui, on compte une trentaine d'utilisateurs réguliers, poursuit Stéphane Thiry, qui viennent abattre des bovins, ovins, caprins et porcins." L'abattage a lieu une fois par semaine, le mardi matin dès 6 heures. Le mercredi, la matinée est dédiée au nettoyage et à la partie administrative ; le jeudi, à la découpe des carcasses. "Seuls des éleveurs participent." Ce qui n'est pas, parfois, sans difficulté. "Il faut arriver à motiver les gens, en fonction de la charge de travail." Mais Stéphane Thiry constate que les nouveaux éleveurs existent, "viennent, s'installent, et veulent rejoindre l'équipe". L'équipement abattoir reste tout de même ouvert à tout un chacun, y compris des particuliers qui auraient une bête à abattre. "C'est un service public, rappelle l'éleveur de bovins. On est à l'équilibre financier mais c'est très fragile."
Dès sa fondation, le projet reposait sur la vente directe, en circuit court. La Boucherie de la Ferme, quartier Saint-Éloi, à Montpellier, en est l'émanation, quand les colis ne sont pas vendus par les éleveurs eux-mêmes. Ce mardi, en plus de Stéphane Thiry, Marc Delpuech, Daniel Berthy, Dominique Barral, Isabelle Alary, Adrien Pelissier et Jamie Wellard officiaient, de la mise à mort à la découpe. Si le rythme est soutenu, entre éleveurs on s'accorde aussi une pause, vers 10 heures, pour faire retomber la pression et casser la graine, quatre heures après avoir commencé.
"On a tous dû apprendre un nouveau métier"
Parce que la première contrainte pour les éleveurs, lors de la relance de l'abattoir, c'est "qu'on a tous dû apprendre un nouveau métier. Et le plus difficile à apprendre, c'est la mise à mort." Une mort qui intervient car l'animal est saigné, après étourdissement par choc électrique, sous les yeux des services vétérinaires de la Direction générale de la protection des personnes. Considéré comme une extension de l'exploitation, l'abattoir n'est donc pas tenu de verser des salaires aux éleveurs qui abattent, mais une indemnisation. Pour un agneau tué, les ouvriers de la matinée touchent royalement 7 €, à diviser en... sept. Une quinzaine déleveurs-tâcherons se relaient.
Avec un chiffre d'affaires de 124 000 €, l'abattoir aimerait réaliser de nouveaux investissements mais ne peut pas se le permettre. "On n'a pas de fonds de roulement et les charges sont élevées." Les coopérateurs continuent de verser un loyer au Pays viganais. L'équarissage est un coût supplémentaire. Et celui de l'énergie s'est ajouté aux hausses. Heureusement, l'abattoir était en contrat avec un fournisseur alternatif, Énergie d'ici, qui n'a que modérément augmenté ses prix. "Mais on calcule tout pour ne pas trop consommer, souligne Stéphane Thiry. Sachant que nos équipements sont très énergivores."
"Ce qui fait vivre un abattoir, ce n'est pas l'abattage"
"Ce qui fait vivre un abattoir, ce n'est pas l'abattage, enchaîne Stéphane Thiry. Les grossistes ont fait baisser les prix le plus bas possible et le chainon qui souffre le plus, dans ce système, ce sont les abattoirs." L'éleveur parle ici de ceux qui disposent d'ouvriers, mal payés puisque faisant partie intégrante de cette chaîne. "J'ai visité les abattoirs d'Antrenas, en Lozère. Les travailleurs sont de seize ou dix-sept origines différentes. Parce que tous les produits agricoles, on ne les paie au prix de revient. Si le circuit était normalement organisé, réfléchit Stéphane Thiry, on ne devrait pas avoir à faire ce travail. Aujourd'hui, des gars sont ici alors qu'ils devraient s'occuper de leurs bêtes. Certes, on est contents parce qu'on est sur la filière de bout en bout. Mais je préfèrerais quand même ne pas être ici. On a été obligés parce qu'il y a eu désengagement des institutions. Mais il faudrait un meilleur maillage des abattoirs sur le territoire."
Quand Alès passe près de 4000 tonnes de viande par an, quatre jours par semaine, l'abattoir du Vigan en fait 90 tonnes, un jour par semaine. Mais pratique la découpe sur place, a contrario d'Alès. "En tant que producteurs, on a moins de possibilités d'économies d'échelle. Souvent, les gens s'étonnent que notre viande soit plus chère alors que nous sommes producteurs." C'est oublier un peu vite que les bovins, bio, de Stéphane Thiry, comme les bêtes de ses collègues, s'engraissent à l'herbe locale, loin des céréales des engraisseurs italiens et surtout en toute liberté. "On a une viande honnête, de qualité", insiste Stéphane Thiry, abattue par un éleveur conscient du travail en amont. Si le modèle est vertueux, il reste économiquement fragile mais paraît plus proche des attentes du consommateur moderne, et plus respectueux de l'environnement, à tous les niveaux.