L'INTERVIEW Gérard Bazot, président du collectif des Naufragés du Rhône : « Des dégâts répétés, une perspective de ne plus être assurés, mais qui pourrait résister à cela ? »
Après les inondations tragiques survenues le mois dernier dans le département, Gérard Bazot, président du collectif des naufragés du Rhône, remet sur le tapis la proposition de la création d’un statut particulier pour les habitants de la plaine inondable de Vallabrègues. En effet, ces derniers vivent dans une plaine restée sans protection contre les inondations afin de protéger d’autres villes, et se retrouvent aujourd’hui confrontés à la possibilité d’une exclusion par les assurances.
Objectif Gard : La plaine de Vallabrègues est aujourd’hui toujours considérée comme zone inondable, alors que les communes aux alentours bénéficient de protections contre les inondations. Pourquoi ?
Gérard Bazot : C’est une zone qui a toujours été inondable depuis l’Antiquité. Autour de nous, de nombreuses plaines comme la nôtre ont été progressivement protégées depuis 50 ou 70 ans, mais surtout depuis les inondations de 2003. Certains ont même été protégées jusqu’à la crue 1000, c’est-à-dire une crue qui ne surviendrait qu’une fois tous les mille ans. Nous, à Vallabrègues, nous sommes restés à bas niveau de protection pour protéger l’aval, et des villes comme Beaucaire, Tarascon, ou Arles. On nous a expliqué qu’il fallait une zone d’expansion de crue, et qu’il fallait que ce soit nous. A ce jour, nous avons donc une protection crue 20 : potentiellement dans une vie, on est susceptibles de subit 4, peut-être 5 inondations de grande ampleur.
Pourquoi ne pas avoir demandé vous aussi à être protégés de ces inondations ?
On l’a demandé, mais évidemment on nous l’a refusé. Je reconnais que les services de l’État ont étudié notre demande, ils ont étudié une hausse des protections de 40, 70 et 100 centimètres. Mais ils ont refusé en nous disant qu’une protection supérieure à 40 centimètres provoquerait des dégâts sur la rive opposée, vers Aramon et Beaucaire. Alors on a cédé, nous n’obtiendrons pas notre protection au détriment de celle des autres. Les déversoirs ont bien été réhaussés, mais pas pour assurer notre protection. Après les inondations de 2003, il a été observé que la plaine était déjà pleine avant l’arrivée du pic de crue, et ne remplissait donc pas son rôle : le déversoir a donc bien été réhaussé de 40 centimètres, mais pas dans l’objectif d’améliorer notre protection.
Cette situation n’est-elle pas vécue comme une injustice ?
Si, absolument. D’autant que lorsqu’on nous a annoncé que notre plaine resterait inondable, nous avons demandé un retour de solidarité par la création d’une servitude d’inondation. Ce statut particulier avait déjà été évoqué après 2003 : on acceptait de se faire inonder pour protéger d’autres communes, mais en échange nous voulions une compensation pour les différents restes à charge post-inondation. Nous demandions ainsi les mêmes aides que dans les Bouches-du-Rhône, puisque nous sommes dans la même zone et que nous sommes inondés de la même façon. Nous cherchions aussi à compenser le fait que la valeur de nos habitations n’a pas progressé depuis 20 ans malgré le boom immobilier dont ont bénéficié les autres communes. Ou encore les restrictions de construction ou d’extension du bâti que nous subissons, sans parler de la perte de jouissance de nos biens longtemps après la fin d’une inondation ! Ce statut n'existe toujours pas, et notre solidarité se transforme en sacrifice, puisqu’aujourd’hui encore, nous subissons des différences de traitement par rapport aux Bouches-du-Rhône.
Auriez-vous des exemples concrets de ces différences de traitement ?
Le plus flagrant serait les différences dans les Plans particuliers de risque inondation (PPRI). Ils sont obligatoires dans les communes inondables, et décidés par les préfectures. Ils comportent un certain nombre de contraintes, comme l’obligation de s’équiper de protections individuelles, comme un batardeau, une protection pour les portes ou les fenêtres. Un batardeau pour une porte de 90 centimètres de large coûte environ 600 euros. Par exemple, moi j’en ai une dizaine, ça m’a coûté dans les 12 000 euros, en partie subventionnés par le fonds Barnier. La hauteur d’un batardeau se définit par la hauteur de l’entrejambe d’un pompier : il faut que ces derniers puissent les enjamber au besoin pour secourir une personne coincée à l’intérieur. Dans les Bouches-du-Rhône, la hauteur maximale est d’un mètre, dans le Gard de 80 cm. Si deux maisons situées chacune dans un département mais à 200 mètres l’une de l’autre subissent une inondation stabilisée à 90 centimètres, l’une sera inondée et l’autre au sec. C’est complétement incohérent !
Cela a donc un impact financier fort sur les habitants de la plaine.
Oui, d’autant plus que si nous avons l’obligation de nous équiper, de batardeaux ou de salle refuge sur le toit pour les maisons de plain-pied (qui coûtent 50 000 euros) par exemple, les personnes qui vivent à Beaucaire, Tarascon et autres ont été protégées jusqu’à la crue 1000 sans que ça ne leur coûte un euro ! Le plan Rhône qui a suivi les inondations de 2003 a été financé par les fonds européens et ceux de l’État. Alors oui, ils devront sans doute les payer à travers leurs impôts, mais ces impôts, nous les paierons aussi. Donc eux, leur protection ne leur coûte rien, nous nous devons acheter nos protections individuelles, il y a une sacrée différence tout de même.
Et les assurances, comment réagissent-elles à ces inondations répétées ?
Nous avions également demandé avec la création de la servitude, un certain nombre de garanties concernant les assurances, qui pourraient nous exclure de leurs portefeuilles (car pas assez rentables du fait des inondations répétées), et du régime Cas-Nat, l’assurance catastrophes naturelles. Nous étions dans cette plaine avant même que les assurances existent ! Nous sommes la seule plaine qui n’a pas bénéficié d’une protection, et les inondations sont une catastrophe naturelle, nous n’y sommes pour rien. Ce n’est pas comme si nous étions des délinquants de la route ! Et vous connaissez l’adage des assurances : trois inondations égalent un incendie : à partir de trois inondations, votre maison ne vaut plus rien. Et comme ces inondations sont pour nous un événement non seulement répété, mais certain, plusieurs habitants ont déjà été exclus de leurs assurances habitation.
Quelle serait la solution idéale, pour vous ?
Mais il n’y a plus de solution ! Il est déjà trop tard, les choses sont terminées. 1 milliard d’euros a été dépensé pour les travaux dans les différentes communes, on ne reviendra pas dessus. Pour nous, cette perspective n’existe même pas. La seule voie qui s’offre à nous, c’est la création de cette servitude d’inondation, de ce statut particulier qui sous la forme d’une indemnité compenserait les contraintes liées au fait que nous allons être inondés plusieurs fois dans notre vie pour protéger ceux qui ne le seront jamais. Des dégâts répétés, une perspective de ne plus être assuré, mais qui pourrait résister à cela ? Nous posons la question aujourd’hui. Nous ne l’aurions pas posée il y a 10 ans parce que le risque d’exclusion n’était pas aussi grand qu’aujourd’hui. Pourtant, le système français repose sur la solidarité, ce n’est pas notre faute si en une vie nous ne pourrons jamais cotiser les dizaines de milliers d’euros de dégâts provoqués en 2003. Il n’y a plus d’espoir pour nous, la seule voie qu’il nous reste c’est de reprendre cette idée de statut, plusieurs fois refusée par l’État, et de la retravailler d’une autre manière.