FAIT DU JOUR Armée, gendarmerie, police : la double vie des réservistes
Stéphane est chef d’entreprise à Nice. Cent jours par an en moyenne, il enfile un treillis, chausse ses rangers et fonce à Garons au 503e régiment du train. Nicolas, employé au CHU, voulait voir autre chose que du blanc. Six à dix jours par an, il porte le bleu des gendarmes. Hanna, elle, voulait travailler dans l’armée sans être mutée tous les quatre ans. Elle est infirmière de bloc à l’hôpital et réserviste au camp des garrigues. Elle va bientôt pouvoir y passer plus de temps. Son employeur, le CHU de Nîmes, a signé le 29 février une convention avec la garde nationale. Les transports Capelle, Bastide Médical, Nîmes métropole, le CFA d’Alès et l’institut d’Alzon ont fait de même. Lilou et Ilyâs, collégiens, ne peuvent être réservistes. Depuis le 28 février, ils sont « ambassadeurs citoyen défense ». On compte aujourd’hui 17 classes défense dans le Gard. Selon le baromètre de la confiance du Cevipof*, 73 % des Français font confiance à l’armée, alors que seulement 67 % déclarent se fier à l’école…
Enquête
Ces employeurs et collèges qui s’engagent avec l’armée
Six gros employeurs gardois ont signé fin février une convention pour faciliter l’engagement dans la garde nationale de leurs salariés.
Étrange, étrange. Jeudi 29 février, une réunion est organisée dans les locaux du CHU de Nîmes. Aucune blouse blanche à l’horizon. Hanna, infirmière de bloc opératoire et Jonathan, médecin urgentiste, sont vêtus d’un treillis kaki. Nicolas, qui a débuté comme brancardier, porte lui du bleu, le cyan des gendarmes. Sur le polo de Jean-Michel, affecté au PC incendie, on distingue le mot « police ». Ces employés de l’hôpital sont réservistes de la garde nationale. En parallèle de leurs activités professionnelles, ils s’évadent quelques jours par an pour travailler avec les gendarmes, les policiers ou les militaires. La loi autorise les salariés à consacrer dix jours par an à la réserve. Le 29 février, le CHU de Nîmes signe une convention pour autoriser ses salariés à s’absenter 30 jours par an.
Facteur d’attractivité au CHU
« C’est remarquable. Vous êtes des pionniers, s’enthousiasme le général Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général de la garde nationale. Vous allez donner envie à d’autres établissements de le faire ». La garde nationale a été créée en 2016, en réponse aux attentats terroristes. Crise sociale des Gilets jaunes, covid… « Depuis 2015, notre pays connaît des crises qui se superposent, souligne le général. Il y a 80 000 réservistes opérationnels en France. D’ici 2030, l’objectif est d’en avoir 160 000. Cette montée en puissance ne peut se faire sans votre appui ». L’hôpital a dû gérer la pandémie. Michel Prud’homme, président de la Commission médicale d’établissement (CME) estime que s’engager pour la nation permet de redonner un sens, de « créer de l’attractivité pour les plus jeunes ». Bastide médical, transports Capelle, Nîmes métropole, CFA Cévennes formation Alès, institut d’Alzon… En 48h, les 29 février et 1er mars, la garde nationale signe des conventions avec six employeurs gardois. Tous deviennent « partenaire de la défense nationale ». Ils pourront bénéficier d’avantages fiscaux et d’une valorisation au titre de la politique de la responsabilité sociétale de l’entreprise.
Montée en puissance des classes défense
« Nous avons 900 réservistes dans l’armée dans le Gard. Aujourd’hui, les armées auraient du mal à fonctionner de manière optimum sans les réservistes », admet le lieutenant-colonel David Mazel, chef de la Délégation militaire départementale du Gard (DMD). Il faut avoir plus de 17 ans pour pouvoir s’engager. Noé a moins de 16 ans. Mercredi 29 février, il a enfilé une chemise blanche pour aller au collège Ada-Lovelace du Mas de Mingue. Avec quinze autres élèves de 3ème, il est officiellement devenu ce jour-là ambassadeur « citoyenneté défense ». Le lieutenant-colonel Mazel, le sous-préfet Mathias Nieps, le colonel Agrinier du SDIS et Christophe Mauny, Dasen, assistent à la cérémonie. Ces seize collégiens vont raboter leur pause repas le vendredi pour suivre un atelier citoyenneté défense, encadré par deux enseignants d’histoire-géographie. Ils participeront aussi à des sorties les mercredis après-midi : visites de la mairie, de la préfecture, de l’école de police. Tous sont volontaires. « Ce qui m’a motivée c’est en apprendre plus sur mon pays, sur les lois », confie Malak. Ilyâs qui a toujours été attiré par les métiers de l’armée, a été aimanté par les sorties. Lilou, elle, veut découvrir des métiers mais surtout « pouvoir aider les autres ».
« Lorsque je suis arrivé en 2020, il y avait 4 classes défense dans le Gard, on en a aujourd’hui 17, constate le lieutenant-colonel Mazel. On est présent dans tout le département. On a ouvert à Saint-Jean-du-Gard, La Grand’Combe, Beaucaire, Vauvert… ». Selon la DMD, ce sont souvent les enseignants et chefs d’établissement qui la sollicitent pour les créer.
Levée de drapeau au collège
Le collège Jules-Verne, qui possède une classe défense depuis trois ans, compte organiser une « semaine défense » au mois d’avril. Installation pendant une journée des véhicules du 4e régiment du matériel de Nîmes dans la cour, conférence de la Division militaire départementale... L'an dernier, entre le 20 et le 24 mars, cet établissement de l’Ouest nîmois a plongé ses élèves dans l’univers de la défense nationale. Tous les matins à 8h, les journées débutaient par une levée des couleurs avec la Marseillaise. « Il y avait beaucoup de solennité. Il n’y a vraiment absolument personne qui a perturbé », se souvient Éric Pascal, principal. Chaque année, une classe de 3e est choisie au hasard pour avoir cette « coloration » sécurité globale. Ses 25 élèves ont une heure bloquée dans leur emploi du temps. Les élèves rencontrent des intervenants issus du monde militaire, mais aussi des pompiers. « Les militaires sont venus présenter tous les métiers de l’armée. Ils ont toujours un super bon accueil ici. L’armée a un côté rassurant », observe le principal.
Côte de confiance élevée dans l’armée
En 2016, année qui a suivi les attentats de Paris, 235 personnes se sont engagées dans l’armée pour les départements du Gard et de la Lozère. L’an dernier, 137 personnes de ces départements dont 13 % de femmes ont signé un contrat d’engagement. Les chiffres sont plus bas que dans la période post-attentat. Ils ont stagné entre 2022 et 2023. Mais, même si les Français ne sautent pas le pas et ne s’engagent pas en masse dans « l’active » c’est-à-dire pour être militaire à 100 %, l’armée bénéficie d’une belle côte de popularité. 73 % des Français ont confiance dans l’armée d’après le dernier baromètre de la confiance politique publié par le Cevipof en janvier 2024. Les militaires sont juste sous les hôpitaux crédités de 75 %, mais les soldats pulvérisent la Justice qui ne récolte que 45 % de confiance.
« C’est normal parce que les gens sont inquiets », observe le général de brigade François-Xavier Poisbeau, secrétaire général adjoint de la garde nationale. « Quand tu passes en tenue à droite ou à gauche, tu es bien accueilli », reconnaît le major Michel, ancien parachutiste reconverti comme conseiller en patrimoine. « Énormément de recruteurs cherchent des anciens militaires car ils savent qu’il y a une rigueur, une exactitude, qu’ils se lèvent le matin. Sur LinkedIn, je suis sollicité, deux ou trois fois par semaine », avoue celui qui est aussi réserviste dans l’armée.
Dans le baromètre du Cevipof, l’armée fait mieux que la police créditée de 70 %. « Si on faisait du maintien de l’ordre, on serait moins bien classé, analyse l’adjudant-chef Vincent, réserviste et ancien de l’armée de l’air. Les gens voient les militaires sur l’opération sentinelle ou nous voient intervenir lors des catastrophes ». Il rappelle aussi que l’armée est apolitique : « Les militaires n’ont pas le droit de grève. Cela permet d’avoir une image neutre. » Les partis politiques figurent au fond du classement : seuls 20 % des Français leur font confiance.
Une gardoise à la garde nationale
« Je voulais vous exprimer toute ma gratitude ». Le 29 février, le général Gaspari (à gauche) rend un hommage appuyé à la Gardoise Françoise Dumas qui les « fait évoluer très vite ». Ancienne présidente de la Commission de la défense et des forces armées à l’Assemblée nationale, la Nîmoise est, depuis 2022, conseillère au secrétariat national de la garde nationale. Elle remercie le CHU et ses réservistes : « Être réserviste, c’est avoir envie de donner un petit plus, c’est apporter ce petit plus. »
Chiffre
Les réservistes de l’armée de terre perçoivent entre 40 et 200 € de solde par jour. Cette solde qui fluctue en fonction du grade peut être inférieure au salaire perçu en entreprise. Les six signataires des conventions gardoises s’engagent à maintenir la rémunération de leurs salariés les jours de réserve.