FAIT DU JOUR Cherche boulangers, mécaniciens, aides à domicile…
Ça se lézarde un peu partout. À Nîmes, les trois boulangeries Garcia ferment le mardi à cause d’une pénurie de personnel. « Recruter est un vrai casse-tête chinois, soupire Christophe Hardy, président de l’union des maîtres artisans boulangers du Gard. La nouvelle génération ne veut pas faire plus de 35h hebdomadaire ». Le garage Renault de l’Odéon, qui n’a pas réussi à remplacer deux départs en retraite, ne prend plus de nouveaux clients. Amaelles-Vivadom recherche une quinzaine de personnes dans l’aide et les soins à domicile. Alison Brun-Gimazane, responsable RH dans cette structure, sait que cela va être compliqué. Les formations ne font pas le plein et les offres d’emploi recueillent peu de candidatures. Pourquoi de telles pénuries alors que le Gard a un taux de chômage de 10,1 % ? Changement de mentalités post-covid ? Choc des cultures avec une génération Z qui refuse de faire les mêmes sacrifices que ses parents ?
« Ils préfèrent laisser des places à 2 000 balles par mois pour partir à l’aventure »
8 000 postes sont à pourvoir au niveau national en boulangerie-pâtisserie. Horaires, qualité de vie… Les exigences des candidats ont changé.
Aucune odeur gourmande de pain ne s’évade de la boutique vitrée. On n’entend pas le bruit du boulanger qui glisse des baguettes dans le fournil, ni la voix de la vendeuse enchaînant les commandes. En ce mardi de septembre, la boulangerie Garcia de Castanet est vide. Les trois boutiques de cette enseigne nîmoise sont fermées. La cause ? Une pénurie de personnel. Les clients ont été prévenus par une affichette en juin.
45 personnes travaillent pour Maison Garcia, fondée en 1989. « On recherche trois boulangers et au moins trois pâtissiers. Il nous manque trois vendeuses, deux à temps plein et une à mi-temps », énumère Eva Garcia, vendeuse et fille des propriétaires, interrogée début septembre. Du doigt, elle désigne des croissants, quiches et tartelettes : « On fabrique tout maison et on augmente de plus en plus nos ventes. Comme on ne veut pas faire du surgelé, on a préféré fermer nos trois boulangeries un jour par semaine. » Les boulangeries Garcia sont ouvertes du mercredi au dimanche inclus. « Même si le dimanche est payé 20 % de plus et les jours fériés 50 % de plus, les gens ne veulent plus travailler ces jours-là », constate-t-elle. Même pour les postes de vendeuses qui étaient auparavant « à peu près faciles » à recruter, « cela devient compliqué ». Selon elle, la pandémie a tout chamboulé : « On est au-dessus du Smic, mais, pendant le Covid les gens ont été payés à ne rien faire… »
Les clients ont-ils pesté à cause de ce jour de fermeture supplémentaire ? « Ils ont été compréhensifs. C'est partout pareil », répond la jeune femme. À une centaine de mètres de là, la petite boulangerie Perras, voisine du mini bar-tabac, est fermée depuis avril, date du départ en retraite de sa vendeuse. Le fournil, situé à l’arrière, tourne toujours pour alimenter la grande boulangerie Perras de la route de Sauve ouverte 7 jours sur 7.
Nombreuses offres d'emploi
Dans le cœur historique de Nîmes, une file d’attente s’étire dans la très cintrée rue Fresque. Une fougasse d’Aigues-Mortes, deux pains spéciaux « Fresque »… La vendeuse de la boulangerie Alle jongle avec les commandes. Sourire avenant, pantalon farineux, Frédéric Alle donne un coup de main. Côté fabrication, deux salariés sont partis courant août. L’une était là depuis 5-6 ans, l’autre depuis 3 ans. L’un a déménagé, l’autre a changé d’orientation professionnelle. Le patron peine à les remplacer. « Le gros problème, c’est les jeunes. Ils ne veulent plus de contraintes. Ils préfèrent laisser des places à 2 000 balles par mois pour partir à l’aventure, se lamente-t-il. Plus personne ne veut travailler de nuit, le week-end… » Il ne comprend pas : sa boulangerie est fermée le dimanche, trois semaines par an. La journée de travail commence à 4h et s’arrête quand ils ont terminé : « Ils finissent couramment à 10h-10h30. »
Choc des générations
Beaucoup de boulangers partent à la retraite, selon Christophe Hardy, président de l’union des maîtres artisans boulangers du Gard (UMAB). 8 000 postes sont à pourvoir au niveau national dans la boulangerie-pâtisserie. « Recruter est devenu un vrai casse-tête chinois, soupire-t-il. On a revalorisé quatre fois la grille de rémunération de nos salariés en 2023. L’aspect salarial n’est pas la priorité, c’est les copains, les copines, les jeux vidéo… Ils veulent du temps pour eux, travailler autrement ». Avant la pandémie, la grande majorité des boulangers travaillaient 39 ou 42h par semaine, étalés sur six jours. Terminé. « Ceux qui acceptent cela sont des dinosaures, lance-t-il avec vigueur. La nouvelle génération ne veut pas faire plus de 35h hebdomadaire et ne pas travailler plus de cinq jours par semaine ». Ils réclament deux jours de repos consécutifs, voire même la semaine de 4 jours.
Pas de difficultés de formation
Une quarantaine de personnes obtient chaque année un CAP boulangerie au centre de formation des apprentis de la chambre des métiers de Nîmes. Parmi eux, une bonne vingtaine poursuit vers des diplômes supérieurs. Sophie Hettiger, la directrice, n’a aucun problème à remplir ses promotions mais le profil des candidats a évolué : « La majorité d’apprentis n’est pas sortie de la classe de troisième. De plus en plus d’apprentis qui entrent en CAP (toutes filières confondues) ont le bac et plus que le bac. C’est un métier qui est toujours attractif mais plutôt pour des personnes plus âgées. »
Selon elle, le rapport au travail avait déjà changé avant la pandémie : « La jeune génération, vous ne la coachez pas comme il y a 15 ans. Elle veut des horaires un peu plus assurés. Elle a besoin d’un cadre. Si cela ne lui plait pas, elle le dit. C’est une génération moins tolérante si on lui parle mal, si on ne la considère pas un minimum. » Hors de question de rester chez le même patron toute leur vie : « Les jeunes gens ont besoin de prendre de l’expérience ailleurs. »
Concurrence
Face à la pénurie, la concurrence est rude. « On se fait énormément piquer de salariés par les chaînes de boulangeries. Elles travaillent avec des emplois postés, elles respectent énormément le temps de travail. Elles ne sont pas ouvertes le dimanche », développe Christophe Hardy. Les boulangers compétents peuvent poser leurs exigences : « Un salarié en boulangerie qui fait de la fabrication une quarantaine d’heures par semaine peut toucher 2 400 € net par mois. » Les vendeuses ou vendeurs gagnent un peu plus que le Smic. Mais là aussi les recrutements sont problématiques. Selon Christophe Hardy, les candidats boudent un métier les obligeant à côtoyer une clientèle de plus en plus agressive : « Les gens exacerbent leurs mots dans les commerces de proximité. » Et ceux qui postulent ne satisfont pas forcément les employeurs à cause « de problèmes de savoir-être ».
Comment motiver les candidats ? Frédéric Alle, le boulanger de la rue Fresque, estime que si l’économie était florissante, il pourrait proposer un jour de congé supplémentaire. Impossible actuellement. « Il y a un vrai problème de pouvoir d’achat », observe-t-il. Plutôt que d’acheter un sandwich, des clients achètent une baguette et lui demandent de la couper en deux. Puis ils vont chercher du jambon à la supérette. « Une famille avec quatre enfants est venue la semaine dernière acheter deux pains au chocolat. Ils les ont coupés pour donner une moitié à chaque enfant ».
Où sont les mécaniciens auto ?
« Vous êtes cliente du garage ? Non ? Je suis désolé, nous ne pouvons pas prendre votre voiture, nous sommes en pénurie de main d’œuvre ». Cette phrase, Alain Legros la répète souvent. Le garage de l’Odéon, à Nîmes, a été créé par son père en 1952. Deux mécaniciens sont partis en retraite après la pandémie. Ils ont depuis testé d’autres mécanos. En vain. « Avant, on trouvait le personnel très facilement. Depuis le Covid, on se demande où sont passés les gens. C’est catastrophique. Trop de gens ne sont pas formés ». Dans le département, les "ouvriers mécaniciens de véhicule" figurent en deuxième position du classement des professions où le taux de difficulté à recruter est le plus élevé. Ils se placent après "les ouvriers qualifiés de l’extraction et des travaux publics". Dans le palmarès, on trouve aussi les assistants maternels-auxiliaire de puériculture, les ouvriers en électricité du bâtiment et les agriculteurs.