FAIT DU JOUR Qui sont les militants politiques aujourd’hui ?
Pas de temps mort. Tractage, « boîtage »*, porte-à-porte… Jérémie, 32 ans, qui vient de quitter l’Éducation nationale enchaîne les actions pour la France insoumise. Alice, 21 ans, rêve de devenir professeure des écoles. Encartée au Rassemblement national depuis février, elle aussi tracte, remplit les boîtes aux lettres, colle des affiches sans relâche. Lola a 28 ans. Avocate pénaliste, elle plaide partout en France, mais c’est dans le Gard où elle est née qu’elle a décidé de prendre sa carte au PS. Ce choix effectué en fin d’été n’est pas purement sentimental. En s’implantant dans le département où le RN a fait le grand chelem aux Législatives, elle est certaine de ne pas « débattre avec son clone ». Franck Lasalle, grand fan du général de Gaulle, s’est encarté en janvier chez Les Républicains. Six mois plus tard, il s’est retrouvé suppléant aux Législatives. Qu’est-ce qui motive les militants gardois ? Quel est leur quotidien ? D’où viennent-ils ? Une vingtaine d’entre eux se confie à Objectif Gard le magazine.
Quand le vote RN dope le militantisme
Six sur six. Le parti de Marine Le Pen a décroché la totalité des sièges de députés dans le Gard. Il explique avoir enregistré « 800 nouveaux adhérents » entre le 8 et le 30 juin. À l’inverse, les autres mouvements ont vu leurs adhésions grimper pour contrer ce parti.
Coup de tonnerre. Le 9 juin, le RN se place en tête des élections européennes avec 31,37 % des voix. À peine les résultats dévoilés, Emmanuel Macron annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Le chrono est lancé. Le premier tour des Législatives est prévu trois semaines plus tard. La politique envahit tout. On en parle au bureau, au bistrot, on s’écharpe en famille. Le taux de participation au second tour des Législatives atteint 62,96 %. Les gens ont voté. C’est une évidence. Mais se sont-ils engagés pour autant auprès de partis politiques ?
En chiffres
20 %
des Français ont confiance dans les partis politiques selon le baromètre de la confiance du Cevipof paru début 2024. Les associations font mieux avec 65 %, tout comme les syndicats forts de 40 %.
Mobilisation pour le RN
Il n’y a pas de statistiques indépendantes portant sur le militantisme*. Mais, de Gauche à Droite, tous l’admettent, les périodes d’élections sont propices à l’engagement. Yoann Gillet, député RN gardois, reconnaît que son parti a connu une hausse des adhésions pour la présidentielle en 2022, suivie d’ « une forte montée » juste après les Législatives 2022. « En 2024, il en a été de même les semaines qui ont précédé les Européennes, et surtout au lendemain des Européennes où nous sommes arrivés en tête, décortique celui qui est aussi porte-parole du parti au niveau national. Entre le 9 juin au soir et la fin juin, nous avons enregistré dans le Gard 800 nouveaux adhérents ». Selon lui, le département vient de passer « un record historique avec 3 000 adhérents à jour de cotisation ». L’élu observe « une montée importante de nouveaux militants actifs sur le terrain » et constate que « les jeunes représentent environ 50 % » de leurs nouveaux adhérents. « Nous avons toujours été un parti particulièrement jeune, qui fait confiance à la jeunesse et n'hésite pas à lui donner des responsabilités », résume-t-il. Au niveau national, le parti est dirigé par Jordan Bardella qui n’a pas encore atteint les 30 ans et qui est très suivi sur Tik Tok.
Mobilisation contre le RN
« Je suis beaucoup sur les réseaux sociaux et beaucoup de personnes vont vers l’extrême-droite, confirme Matéo Massot, 17 ans. Moi je préfère contrebalancer. Mes arrière-grands-parents ont fui la guerre d’Espagne. Ils ont inculqué des valeurs à ma famille ». La veille de la rentrée, cet élève de terminale a adhéré au PCF avec un ami. « Il y a eu une mobilisation très forte à Gauche avec le danger du RN, confirme Denis Lanoy, responsable du PC à Nîmes. Cela a encouragé à la mobilisation de militants qui étaient un peu en retrait ». Sur Nîmes, le PCF a enregistré « plus de 40 nouvelles adhésions sur 820 adhérents ».
Chez les écologistes, Béatrice Leccia confirme une « forte hausse » des adhérents depuis les dernières Législatives. Au niveau de LFI, Nicolas Pellegrini a senti « une vraie volonté d’action » pendant les Législatives : « On est passé de nos réunions nîmoises où on était chaque semaine entre 20 et 30 à plus d’une cinquantaine. » Il y avait « beaucoup de jeunes et même de très jeunes » dont certains issus des quartiers et de l’immigration. « Il y a une vraie crainte du RN, décrypte-t-il. Depuis la dissolution, beaucoup de gens nous ont rejoints, surtout des jeunes ».
Au PS gardois, Pierre Jaumain a enregistré une centaine d’adhérents de plus depuis le début d’année, ce qui permet d’atteindre les 550 à 600 adhérents. Quelques anciens militants qui « s’étaient écartés » il y a plus de dix ans ont eu envie de revenir. « Le Gard est un laboratoire du RN et de la précarité », décrit Nicolas, 39 ans. Ce directeur d’une association de lutte contre les exclusions, avait tenté l’aventure PS à la trentaine, séduit par le revenu universel porté par Benoît Hamon. Il participe à des réunions de section, des meetings, se frotte au tractage. Le résultat de son poulain aux présidentielles 6,36% n'est pas glorieux. En section, on débat de questions statutaires, de courants : « La moyenne d’âge était 60 ans bien tassés. »
La « polarisation de plus en plus forte entre LFI et l’extrême-droite », « la précarisation affolante », le « détricotage » provoqué par les politiques d’Emmanuel Macron le poussent à revenir en 2023. Il rêve d’apporter son expertise dans des espaces de « nuance et d’innovation », loin « du bruit et de la fureur ». Pierre Jaumain estime que la candidature PS-Place publique autour de Raphaël Glucksmann pour les Européennes a été une « locomotive ». Elle a aussi fait exploser le mouvement Place publique dans le Gard. Alain Boutault, de Place publique, se souvient que lorsqu’il est arrivé à Nîmes début 2022, il a découvert « 8 ou 9 adhérents un peu perdus ». Il en décompte aujourd’hui environ 150 adhérents.
Différence local/national
La séquence « dissolution-élections-galère à former un gouvernement » a-t-elle eu un impact sur Renaissance ? Valérie Rouverand, responsable du parti d’Emmanuel Macron dans le Gard, indique qu’il fédère 350 adhérents et 1 200 sympathisants. Elle se souvient que pendant les Législatives, « il y avait beaucoup de volontaires pour tracter, coller » et assure que « chaque semaine », des gens adhérent. « C’est incroyable ce que les militants m’ont apporté, appuie-t-elle. On a une force militante que je vais entretenir avec les municipales qui arrivent ».
Arrivés quatrième en nombre de sièges au scrutin des Législatives, les Républicains ont vu un des leurs, Michel Barnier, obtenir le maroquin de Premier ministre le 5 septembre. De quoi galvaniser les troupes ? Pas vraiment selon Richard Tibérino, responsable gardois du parti : « On avait 4 000 adhérents à jour dans les années 2006-2007-2008, en période Sarkozy. En 2023, on devait être 700 à la louche. Fillon, Pécresse, cela nous a plombés ». Aujourd’hui combien sont-ils exactement ? Difficile à dire, il a récupéré le fichier des adhérents fin octobre. Tout a été perturbé à cause du départ d’Éric Ciotti, le président du parti, en plein cœur des Législatives. « Quelques vieux militants l’ont suivi, admet-il. Localement, ils sont toujours fidèles mais, au niveau national, ils nous en veulent qu’on l’ait condamné ». Les LR font aussi face à une moyenne d’âge tournant « autour de 60-80 ans ». Clément Stevant, 23 ans, a été investi responsable des jeunes Républicains en janvier : « On a une trentaine de jeunes qui ont entre 18 et 30 ans. Tous les mois, je contacte les nouveaux jeunes qui ont adhéré », précise celui qui a été candidat dans la 6e circonscription aux Législatives. Il organise des ateliers de formation, des rencontres avec des élus.
Séduire les jeunes
Cyprien Auberge reconnaît, qu’à Renaissance, les adhérents ont entre 20 et 80 ans mais que « la tranche la plus représentée, ce sont les retraités ». Mais il assure que cela évolue et qu’une bonne dizaine de jeunes actifs est venue les rejoindre sur les deux campagnes, Européennes et Législatives.
Nicolas, revenu au PS après sept ans d’absence, constate que la pyramide des âges a rajeuni. Pierre Jaumain évalue la moyenne d’âge aux environs de 50 ans et admet que « l’apport des jeunes est trop modeste ». Les jeunes venus prêter main forte à LFI lors des élections sont-ils toujours là ? « Des gens sont restés. Certains ont le sentiment du devoir accompli car le RN n’a pas gagné », répond Nicolas Pellegrini. La nomination de Michel Barnier en a motivé certains à se mobiliser encore plus, à faire du porte-à-porte pour demander la destitution du président. Mais Nicolas Pellegrini reconnaît que « les moins motivés ont reçu un coup de massue » et il craint une « crise démocratique ».
Les derniers mois ont déconcerté à Droite
Thierry Collet, cadre cheminot retraité, affiche 15 ans de militantisme. Lui s’est engagé en 2006 derrière Nicolas Sarkozy. « Sarko m’a profondément déçu. Je suis parti à la présidentielle chez Zemmour pour taper du poing sur la table ». Il n’a pas donné suite : « Il y avait des gens très bien, d’autres qui ne me plaisaient pas. » « À fond pour l’union des Droites », il aimerait s’engager mais « aucun parti ne lui convient ».
*Les nombres d’adhérents ont été délivrés par chacun des partis sollicités. LFI n’est pas en mesure de fournir le nombre d'adhérents ayant payé leur cotisation car ce n’est pas un parti politique, mais un mouvement où on ne paie pas d’adhésion.