FAIT DU JOUR Rencontre avec Jacques de Crussol, duc d’Uzès
Restaurer le patrimoine familial, vivre avec son temps et préparer la transmission. Un pied dans le passé, un autre dans le présent, et le regard tourné vers l’avenir, le duc d’Uzès s’occupe de son château, surnommé le "Duché", qui trône en plein centre-ville. Lui, comme sa grand-mère auparavant, a beaucoup œuvré à rénover ce lieu et à lui rendre ses souvenirs égarés. Jacques de Crussol a encore de nombreux projets pour reconstituer l’histoire familiale qui continue de s’écrire à travers les siècles.
Le mistral souffle fort le jour où nous rencontrons Jacques de Crussol, le 17e duc d’Uzès. Le drapeau rouge et bleu, aux couleurs de la Maison, hissé en haut de la tour Bermonde, flotte dans le ciel azur. « Cela permet aux Uzétiens de voir d’où vient le vent », glisse avec un sourire le Duc. Il aimerait venir plus souvent à Uzès. Il essaie d’être au moins une fois par mois au château, surnommé le “Duché”. Un château de ville qui, à sa connaissance, est le seul à appartenir à sa famille et pas à une commune. Pourtant, ses ancêtres ont perdu puis racheté par deux fois les pierres. Une première en 1824 alors que l’édifice avait été saisi par l’État à la Révolution. Une seconde alors que la famille, ruinée, est contrainte de vendre.
C’était sans compter sur la détermination de la grand-mère de Jacques de Crussol, Marie-Louise Béziers, qui tenait un salon parisien, et qui est devenue par mariage la marquise de Crussol. Elle a pris les choses en main et a par la suite racheté le château, qui a hébergé une école pendant plusieurs années. Elle serait aussi allée “embêter” André Malraux, le ministre des Affaires culturelles – qui fréquentait son salon- pour s’assurer qu’Uzès ait son secteur sauvegardé. Elle a gain de cause dans les années 60. Le centre historique d’Uzès renaît petit à petit grâce à d’importants travaux. L’activité économique repartant, la marquise de Crussol aurait demandé à André Malraux de venir, mais celui-ci aurait décliné arguant « qu’Uzès, c’est plus loin que la Chine ». Qu’importe, la dynamique est lancée.
Parallèlement, la marquise de Crussol rénove le château familial, vidé de ses biens, fortement abîmé lors de la location à l’Éducation nationale. Beaucoup de sols avaient été bétonnés. L’actuel duc se souvient encore des premiers instants passés avec sa grand-mère à Uzès alors qu'il était encore enfant. Il ne venait que l’été pour éviter les pannes de chauffage. Mais déjà, il nouait ses premiers liens avec la ville gardoise. « Le château était en mauvais état mais ma grand-mère a réussi à le réancrer dans la famille », se remémore-t-il. Déjà, elle avait décidé d’ouvrir le duché au public.
En quête de la “mémoire familiale”
Il y a trente ans environ, Jacques de Crussol a pris le relais de sa grand-mère continuant de redonner l’éclat à ce lieu qui appartient à la même famille depuis 900 ans. « Il y a beaucoup de choses à faire, mais on a bien avancé. On s’est occupé de toutes les structures : toiture, fenêtres, chauffage, assainissement, électricité aux normes... On a aussi racheté des archives, des objets, j’en ai fait restaurer », liste le duc d’Uzès. Il ne mène pas un travail de décorateur, mais une quête de la « mémoire familiale ». Les investissements se chiffrent à plusieurs millions d’euros et en nombreuses heures de travail.
Il a récupéré et acquis une centaine de tableaux, représentant ses ancêtres. « Je manque de place », insiste le Duc, en désignant les murs chargés de portraits. Chaque objet est relié au passé ou au présent de cette maison. Reconstituer la mosaïque familiale n’est pas simple. Cela tient très à cœur au duc d’Uzès qui prône la continuité. Loin d’appréhender son titre de souverain comme anachronique, il constate : « Regardez le succès des magazines sur la monarchie anglaise. Les monarques font rêver et on a besoin de rêve. On est des témoins vivants de notre histoire collective. La noblesse, c’est du sang, de l’humain, de père en fils sur plusieurs siècles. C’est finalement assez actuel car aujourd’hui, on a besoin de repères. Comme Uzès, ce qui fait aussi son succès aujourd’hui, c’est son passé. » Il a conscience d’être une “curiosité” à une époque « où les vieilles familles ont plutôt tendance à s’appauvrir et à perdre leurs souvenirs. »
Un monument ouvert toute l’année
Il partage sa vie entre Paris, l’étranger, son épouse et ses deux garçons, Charles et Louis, et Uzès. Il est devenu duc d’Uzès en 2001 après la mort de son père. « Quand vous avez une entreprise, vous investissez, la société prend de la valeur et vous revendez. Pour le château, je ne peux pas revendre, je dois le transmettre. Il faut gérer l’activité avec prudence, en bon père de famille », pointe-t-il. À son décès, ce patrimoine reviendra à son aîné Charles, actuel duc de Crussol qui deviendra alors le 18e duc d’Uzès. En attendant, Jacques de Crussol essaie de partager de beaux moments ici, afin que sa famille ait envie d’y revenir : « Quand on a une maison comme cela, il faut la moderniser pour que l'on puisse y vivre dedans. Si les jeunes viennent et n’ont pas internet, ils sont frustrés. » Et d’ajouter : « On investit pour s’adapter au monde d’aujourd’hui, et que le rêve que nous essayons de donner, perdure. » Le Duc garde un pied dans le passé, un autre dans le présent et le regard rivé sur le futur. « Il ne faut pas faire de grand écart », rebondit-il.
Le Duché est aussi un site qui accueille 35 évènements en 2024 et se visite toute l’année. « En jours d’ouverture, on est au-dessus du Château de Versailles », se satisfait le Duc. Le public peut arpenter les différents espaces et gravir les 135 marches abruptes de la tour Bermonde qui offre un panorama imprenable sur la ville et ses environs. On peut même voir le mont Bouquet ou le Ventoux. Certains groupes ont le privilège de découvrir l’incroyable maquette ferroviaire et ses trains électriques qui remplissent toute une salle. Commencé il y a dix ans, ce projet était au départ destiné au fils cadet du Duc. Jacques de Crussol espère aussi ouvrir une salle présentant une trentaine de costumes familiaux ou qui ont appartenu au personnel, puis une pièce dédiée aux jouets de la famille. Mais il n’est pas toujours facile de conserver l’équilibre entre la fréquentation et la préservation du site. « Les salles sont petites, nous avons des sols qui s’abiment. L’entrée est un peu plus chère en moyenne, mais tous les samedis, c’est moitié prix », rappelle-t-il. Le ticket permet d’entrer dans le plus ancien duché pairie subsistant de France. Tout de même.
La marquise de Crussol aura une place à son nom
Le 26 avril, seront inaugurés les travaux de la place du Duché. Le même jour, le nom de la marquise de Crussol sera donné à une place, proche de la place aux Herbes. Un bel hommage à cette femme qui a beaucoup œuvré pour Uzès et qui a repris en main le Duché. Elle qui faisait partie de la branche cadette de la Maison fut aussi pendant plusieurs années l’égérie de Daladier et a tenu un salon politique. C’est ainsi qu’elle a connu André Malraux et a réussi à obtenir un des secteurs sauvegardés pour Uzès. Celle qui était surnommée la “Marquise rouge” est décédée à l’âge de 87 ans, en 1991.
Tarifs
Adulte : 22 €, 11 € le samedi. Donjon seul : 14 €. Gratuit pour les moins de 7 ans.
Un peu d’histoire
Le Duché d’Uzès est une imposante construction en plein cœur de la ville d’Uzès. Les visiteurs peuvent découvrir la tour Bermonde édifiée au XIIe siècle mais aussi admirer la remarquable façade Renaissance du XVIe siècle, où les trois ordres classiques de l’architecture se superposent : ionique, dorique et corinthien.
La Maison de Crussol est basée à l’origine face à Valence, sur un éperon rocheux. Elle est arrivée à Uzès en 1486 lorsque Jacques, baron de Crussol s'est allié avec la Maison d'Uzès dont la seule descendante est Simone, fille unique du vicomte d'Uzès et dernière représentante directe. La vicomté d'Uzès est érigée en duché en 1565 et en pairie en 1572 par Charles IX.
Actuellement, Jacques de Crussol d'Uzès est le 17ème duc d'Uzès. Le titre ducal appartient au chef de famille et revient au fils ainé.
Le saviez-vous ?
• Jacques de Crussol a fait une maîtrise de droit à Assas et un MBA à l’université Columbia à New York.
• La duchesse d'Uzès, née Rochechouart de Mortemart, qui est l’arrière-arrière-grand-mère de l’actuel duc d’Uzès, aurait été la première femme en France à décrocher le permis de conduire... et aussi à écoper d’une amende pour excès de vitesse en 1889.