LE DOSSIER Conseillers municipaux, adjoints, maires : « Dans les petites communes, il faut être multitâche »
Guy Manifacier a remplacé le maire démissionnaire de Saint-Sébastien-d’Aigrefeuille en 2016. Entre son mandat, son métier d’enseignant et son engagement comme pompier volontaire, son emploi du temps est millimétré. Il est également vice-président de l'association des maires ruraux du Gard.
Dans la salle du conseil municipal, on entend le cliquetis des aiguilles à tricoter du club de couture de Saint-Sébastien d’Aigrefeuille. Un pas énergique résonne dans l’entrée de la mairie. « C’est monsieur le maire », sourit la secrétaire de mairie. Inutile de lever la tête, elle a reconnu l’allure décidée de Guy Manifacier. Crâne rasé, sourire communicatif, il entre, salue tout le monde. Une oreillette est fixée sur son oreille. Ce quinquagénaire optimise le temps en passant des coups de fil en voiture ou dans son casque de moto quand il va travailler au lycée agricole de Rodilhan, à 60 km de sa commune.
Il faut dire que les messages s’accumulent vite sur son smartphone. Hier, lorsqu’il était en cours, son agent technique lui a envoyé la photo d’un chien qui divaguait. La fourrière l’a récupéré et le propriétaire s’est manifesté. Furieux. « C’est moi qui vais devoir l’appeler. Des insultes et des menaces, j’en ai déjà eu », reconnaît ce père de cinq enfants. Le Covid a, selon lui, rendu les gens « plus agressifs, plus égoïstes ».
Conflits de voisinage
Le matin même, une habitante du village l’a appelé. Elle est hospitalisée à cause d’une fracture et sa voisine lui a envoyé un SMS. Pas pour prendre de ses nouvelles. Son message précisait qu’elle avait un problème avec ses chats et que, si elle ne s’en occupait pas, eux s’en occuperaient…
« La moitié des habitants a mon numéro. Le week-end j’ai minimum une dizaine d’appels », reconnaît-il. Une lettre rédigée par un habitant est posée sur son bureau. Il signale un problème : un chien errant a mordu une de ses brebis et essayé de mordre sa mère de 74 ans. C’est le maire qui devra faire un rappel à la loi en tant qu’officier de police judiciaire. Dans ce village de 500 habitants, il n’y a pas de police municipale. Le maire peut faire appel à un médiateur pour les conflits de voisinage mandaté par le procureur. « J’ai quatre dossiers en cours avec lui, dont un pour une personne qui se plaint du bruit des clims de son voisin, compte le maire. Ce médiateur ou l’éducatrice canine envoyés par l’agglo pour les problèmes de chien nous aident énormément ». Mais, avant de les faire venir, on sollicite d’abord le maire. Un jour, une dame est venue le voir, furieuse, car le chêne du voisin ombrageait sa piscine. « Je lui ai demandé qu’est-ce qu’il t’a dit ton voisin ? Elle m’a répondu : « rien je ne lui ai pas parlé », éclate de rire Guy Manifacier. Il lui a conseillé de le faire. Le problème a été réglé. « On peut passer deux heures à discuter avec un habitant qui ne va pas bien, reconnaît-il. Dans les grandes villes, ils gèrent leur commune comme une entreprise. Nous on fait tout. Cela m’est arrivé de nettoyer les toilettes de la salle communale avant qu’elle ne soit louée. »
Enseignant, maire et pompier
Guy Manifacier entre au conseil municipal en 2014 comme simple conseiller. Cet ingénieur agronome s’investit et, en 2015, lorsque le maire Alain Beaud démissionne pour des problèmes de santé, on lui propose de prendre sa suite. Il met trois mois à répondre. À l’époque, il travaille comme maraîcher élagueur. Avec sa compagne, ils gèrent 7 000 m2 de maraîchage en permaculture. En parallèle, il enseigne au lycée agricole de Rodilhan. Il finit par se laisser convaincre.
Il lâche le maraîchage, réduit son temps de travail au lycée à 80 %. Responsable de la formation élagage, il peut organiser les plannings. Il enseigne en moyenne deux jours par semaine. Sur son smartphone, son emploi du temps est organisé en code couleur : le bleu c’est la mairie, le jaune le lycée. Le vert apparaît à peine. C’est la couleur dévolue aux activités personnelles. « On a en moyenne une réunion tous les soirs », constate-t-il. Le week-end du 27 janvier est coloré en rouge. Guy Manifacier a assuré 24h de garde chez les pompiers d’Alès. Il a fait sept interventions. Dans la nuit, il a escaladé depuis un balcon pour rejoindre l’appartement d’une mamie qui ne répondait plus. Pompier volontaire, il effectue minimum trois jours de garde par mois.
Travail d’équipe
Pour éviter de se noyer dans les paperasses administratives, il fait appel à l’agence technique départementale, une instance créée par le conseil départemental. Elle aide sur les questions, techniques, juridiques. Les communes cotisent en fonction du nombre d’habitants. « J’ai payé 259 € pour 2023. Chaque fois, j’ai eu une réponse au top », précise-t-il. C’est cette agence qui a rédigé la convention de prêt du broyeur de la commune. Pour faciliter les débroussaillages, la mairie prête gratuitement un gros broyeur aux habitants. Guy Manifacier compte mettre en place un système d’écopâturage avec des brebis et aimerait organiser des coupes de bois pour les particuliers sur des parcelles communales. Un quart de la coupe reviendrait au centre communal d’action sociale… Mais Guy Manifacier le reconnaît, sans son équipe municipale, jamais il ne parviendrait à mettre en place les projets. Le lundi à 18h, il réunit les adjoints. Une semaine sur deux, à 19h, ils enchaînent avec une réunion avec les conseillers. « Cela crée une émulsion, un dynamisme. Il y en a 10 ou 12 qui viennent à chaque fois sur 14 élus », souligne le maire.
Myriam Ouali, grande brune, est sa première adjointe. Ce jeudi, elle va participer avec le maire à une réunion en visio avec des chercheurs pour organiser la future fête de la science. Elle l’aide aussi à préparer la réunion publique du soir où les projets seront présentés à la population. Ici, pas de service protocole, Myriam et Guy déplacent des tables, scotchent des affiches. Un jeune homme en tenue fluo les interrompt. C’est un agent technique. Le maire voulait le titulariser mais la maire du village où il habite l’a débauché. Guy Manifacier va devoir se lancer dans le tri de CV. « Si vraiment cela se passe mal là-bas, tu nous appelles, sourit-il. Tu sais que nous on a une tractopelle, il n’y en a pas là-bas ». Myriam enlève des affiches de concerts : « On a beaucoup de manifestations. Ce n’est pas parce qu’on est petit que l’on doit avoir une culture au rabais. » Elle travaille 39 h par semaine à la CPAM et perçoit 379 € pour son mandat d’adjointe : « Je ne peux pas me mettre à mi-temps. C’est très frustrant car j’ai envie de tout faire. Le gouvernement s’imagine que plus on est petit moins on a besoin, mais c’est faux ».
Pas le temps d’épiloguer, elle vérifie avec le maire le Powerpoint qui sera présenté le soir. La liste est longue : organisation d’un trail patrimonial, modifications simples du PLU, construction d’un terrain multisport et d’un nouveau « refuge aux étoiles »... Ils aborderont aussi une question dont certains ne veulent plus entendre parler : la mine. Saint-Sébastien-d’Aigrefeuille a abrité jusqu’en 1963 une mine de plomb argentifère. Des recherches menées sur le terrain ont relevé des « taux exceptionnels » d’arsenic dans l’eau. Le site est grillagé. Des travaux ont été menés pour réduire la quantité d’eau contaminée sortant du dépôt de stériles et il y a un projet de centrale photovoltaïque. « La mine a apporté une pollution. La meilleure vengeance que l’on peut avoir c’est d’en faire un lieu exemplaire de biodiversité : on va faire un rucher école et un réservoir de biodiversité », annonce le maire. Les recherches ont permis de découvrir des bactéries fixatrices d’arsenic. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement a fait des essais sur la remédiation des sols. « On voudrait mettre en avant pour la fête de la science les 4 et 5 octobre tous les moyens pour dépolluer », s’enthousiasme le maire. Celui qui est vice-président de l’association des maires ruraux du Gard en est persuadé : « Si la culture et les écoles disparaissent, nous villages ruraux, on est morts ».