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Publié il y a 2 mois - Mise à jour le 17.09.2024 - Sabrina Ranvier - 7 min  - vu 142 fois

LE DOSSIER « En moyenne les offres d’emploi sont satisfaites en 23 jours »

Valérie Issert explique que les métiers en tension varient selon les particularités des différents territoires gardois. 

- Sabrina Ranvier

Entretien avec Valérie Issert, directrice territoriale France Travail Gard-Lozère.

Objectif Gard le magazine : Le Gard fait partie du top 6 des départements* ayant le plus fort taux de chômage. Au premier trimestre, il affichait 10,1 % de chômage alors que la moyenne nationale était de 7,3 %. Pourtant de nombreux employeurs gardois peinent à recruter. Pourquoi ?

Valérie Issert : Il y avait 70 073 demandeurs d’emploi, toutes catégories confondues inscrits dans le Gard fin juin 2024. Même si ce chiffre est toujours haut, il est en baisse. Mais on reste un département plutôt pauvre. Le taux de pauvreté frise les 20 %. On a un public très éloigné de l’emploi, ce qui explique une partie des tensions de recrutement. L’accompagnement et le travail sont plus longs pour les amener aux besoins des entreprises. On ne peut pas avoir en un claquement de doigts un boulanger ou un menuisier formés.

C’est mission impossible de recruter dans le Gard ?

Tous les secteurs sont en tension. Mais difficulté de recrutement ne veut pas dire impossibilité. Nous avons plus de 60 conseillers dédiés à la relation entreprise. On a mis en place des leviers mais qui restent trop méconnus. On utilise par exemple la méthode de recrutement par simulation (MRS) sans CV. On met les demandeurs d’emploi en situation. Une note est mise par l’employeur et les salariés de l’entreprise. On peut utiliser cette MRS pour beaucoup de métiers : employés de restauration, de libre-service, les emplois administratifs…

En combien de temps les offres d’emploi sont-elles satisfaites ?

On a eu 40 000 offres environ sur 12 mois dont 56 % durables. En moyenne, les offres sont satisfaites en 23 jours. Ce qui rend difficile les recrutements, c’est de ne pas avoir connaissance des besoins. On a essayé de constituer des portefeuilles métiers en tension pour former et anticiper. On peut faire des périodes d’immersion en entreprise. Le salarié fait de l’observation. Si cela matche, on peut proposer une préparation opérationnelle à l’emploi. Une formation financée permet au salarié d’acquérir les compétences nécessaires pour occuper l’emploi proposé. Cette formation peut se faire dans l’entreprise. Plus on anticipe un besoin de recrutement, mieux c’est.

De nombreux employeurs estiment que depuis le Covid les gens refusent les horaires décalés, privilégient la qualité de vie… Est-ce plus difficile de recruter aujourd’hui ?

Avant le Covid, en 2019, les employeurs gardois estimaient à 45 % leurs difficultés de recrutement. Aujourd’hui, ce chiffre est de 51 %. L’an dernier, il était à 57 %. Suite à la pandémie, un tiers des personnes inscrites dans les métiers de la restauration ou du bâtiment ont voulu changer de métier. Il y a eu aussi des gens qui exerçaient dans la santé et qui sont venus s’inscrire pour changer de métier. On a le sentiment que c’est derrière nous. Aujourd’hui, ce qui est resté, c’est l’attachement à la qualité de vie au travail. Les mentalités, les critères ont changé. Les entreprises commencent à l’intégrer de plus en plus. Dans le service à la personne par exemple, ils commencent à défrayer, à mettre à disposition des véhicules.

Est-ce que la possibilité de télétravailler fait partie des critères décisifs pour les demandeurs d’emploi ?

Il fait partie de ce qui est regardé au même titre que les autres avantages sociaux. Le salaire n’est pas le premier critère. J’ai l’exemple d’un candidat dont le profil correspondait à deux offres dans le secteur de l’agroalimentaire. Même si une des entreprises le payait mieux, il a choisi l’autre pour ses valeurs sociétales.

*Selon l’Insee, au premier trimestre 2024, les « champions » du chômage sont les Pyrénées-Orientales, l’Aisne, la Seine-Saint-Denis, l’Aude, l’Hérault et le Gard.

Alison Brun-Gimazane, responsable RH et Isabelle Comte, chef de service aide et soin à domicile chez Amaelles Vivadom. • © Amaelles-Vivadom

« Le métier souffre d’une mauvaise image qui est fausse »

Aide à domicile est le métier le plus recherché dans le Gard. 2 625 offres ont été déposées à France Travail entre juin 2023 et juin 2024. Les candidatures ne suivent pas…

Quatre à Nîmes, trois à Bessèges, cinq à Alès… Début septembre, Amaelles-Vivadom recherche une quinzaine de personnes dans le secteur de l’aide et des soins à domicile. Mais Alison Brun-Gimazane, responsable RH, et Isabelle Comte, chef de service aide et soin à domicile, savent très bien qu’elles vont avoir des difficultés à les pourvoir. « Le métier souffre d’une mauvaise image qui est fausse, soufflent-elles. Il est en tension. Cela signifie que les formations au métier, le BEP ASSP, les formations « assistante de vie » ou « compagnon éducatif et social » qui sont des diplômes reconnus, ne font pas le plein ».

Or, les salariées les plus anciennes qui sont diplômées, qui ont les compétences, sont en train de partir à la retraite. Amaelles-Vivadom peut former les personnes en interne à condition qu’elles aient les savoir-être indispensables pour s’occuper de personnes dépendantes. Mais, selon elles, les offres déposées sur les sites d’emploi recueillent peu de candidatures, peu avec le savoir-être et peu de candidats souhaitent rester dans la branche. « Les gens ne veulent pas s’engager sur un CDI et préfèrent papillonner, ce qui les empêche de cumuler l’ancienneté qui leur permettrait d’avoir un meilleur salaire ».

Tensions accentuées après la pandémie

Les difficultés de recrutement ont commencé avant le Covid puis se sont accentuées. En 2021, un accord de branche a permis de revaloriser les salaires. « Mais cela ne suffit pas », observe Alison Brun-Gimazane. « On a mis en place un compte épargne-temps. On travaille beaucoup sur les plannings. On a fait beaucoup d’efforts pour qu’ils ne travaillent qu’un week-end sur 3 ou 4, et 2 ou 3 soirs maximum par semaine », indiquent-elles. Mais certaines « voudraient que l’on serve les repas plus tôt pour être chez elles à 19h ! »

Les aides à domicile doivent avoir une voiture pour se rendre au domicile des gens. Toutes les heures ou toutes les deux heures, elles changent de personnes et doivent à chaque fois s’adapter. L’association veille à déterminer des secteurs bien délimités pour que les aides à domicile n’avalent pas les kilomètres. Mais ce n’est pas évident de trouver des personnes véhiculées. L’association peut dépanner une salariée ayant sa voiture en panne, mais elle ne peut pas lui fournir un véhicule de service.

Difficulté à recruter des aides-soignants

Elle a réussi à avoir une flotte de véhicules pour les infirmières et aides-soignantes mais ne peut aller au-delà. D’ailleurs, malgré la voiture de service, il y a quand même des tensions dans le recrutement des aides-soignantes. Leur journée de travail est hachée : elles travaillent entre 7h et 12h30 puis entre 16h30 et 19h30. Des tensions commencent même à apparaître pour les éducateurs de jeunes enfants. Que faire ? Il faut intervenir dans les écoles pour casser les clichés, répond Alison Brun-Gimazane. Avec Bonjour 30, autre association du secteur, ils travaillent sur la mise en place d’une université du domicile pour former les gens : « On se rend compte que l’on a de plus en plus besoin de personnes pointues capables d’utiliser le matériel technique, de s’adapter au handicap psychique, moteur… » Ils aimeraient, dans l’idéal, la créer en 2025.

Éric Vaissière, proviseur du lycée Jean-Baptiste-Dumas à Alès.  • © François Desmeures

Une nouvelle option « ambition santé » à Jean-Baptiste-Dumas

Elle est proposée dans trois lycées de l’académie : Alès, Mende et Limoux. Leur point commun : ces zones rurales ont un déficit médical.

Comment lutter contre les déserts médicaux ? Le lycée Jean-Baptiste-Dumas d’Alès propose cette année une option « ambition études santé ». Elle est ouverte aux élèves de voie générale vivant en milieu rural et déficitaire en démographie médicale. « L’idée est d’emmener les jeunes de première et de terminale vers des métiers de la santé qu’ils ne connaissent peut-être pas comme radiologue par exemple », explique Éric Vaissière, le proviseur. Le but est de présenter toute la palette des métiers et de proposer une mise à niveau en physique, SVT, pour ceux qui veulent s’engager dans ces métiers. « On a un problème de mobilité. Les élèves ne veulent pas forcément quitter la région », observe-t-il. Le pari est que certains iront peut-être se former ailleurs, mais reviendront exercer en Cévennes. Cette option ambition santé, déjà testée l’an dernier dans l’académie de Toulouse, est construite en lien avec l’université de Montpellier et développée en partenariat avec les hôpitaux et les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI).

Pour désenclaver les territoires et proposer une offre de formation de proximité, le CHU de Nîmes a ouvert, en 2021 au Vigan, une antenne de son IFSI et de son institut de formation des aides-soignants. La première promotion a été diplômée en juin. « Pas mal se sont tournés vers l’hôpital du Vigan, constate Sylvie Arnal, la maire du Vigan. Certains sont allés travailler dans un Ehpad ou font du remplacement d’infirmières libérales du secteur ».

Les pharmaciens, métier en tension

La pénurie de généralistes, de pédiatres, d’infirmières ? Connu et archiconnu. Un autre métier de la santé figure en neuvième position du top 10 national des métiers pour lequel le recrutement est difficile : pharmacien. Éric José, président du syndicat des pharmaciens du Gard, a été diplômé en 1990. Ils étaient 190 dans sa promotion : « En 2023, on a des promotions de 200 étudiants à l’université de Montpellier. Seuls 70 d’entre eux se dirigent vers la branche officinale de la pharmacie. » Il ne comprend pas que le nombre de diplômés n’évolue pas alors que la population vieillit et que les soins sont plus importants. La profession a de nouvelles missions : vaccination, tests antigéniques, pour les angines et les infections urinaires. « C’est bien mais cela prend du temps. Sans personnel, c’est compliqué de le faire », complète-t-il. Or, la pyramide des âges des pharmaciens vieillit et les jeunes pharmaciens boudent les zones rurales. Certains font des « investissements énormes » pour acquérir une pharmacie et ont de plus en plus de difficultés à les rentabiliser. « La sécurité sociale a baissé les prix de manière autoritaire et les gens rognent sur tout actuellement », analyse ce professionnel. La pharmacie alésienne d’Avéjan, tenue par un trentenaire, a été placée en liquidation judiciaire cet été.

Sabrina Ranvier

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