Chemise orange et grosses lunettes carrées, Maroine est condamné à deux ans, jeudi 14 avril 2022, par tribunal judiciaire de Nîmes pour avoir mordu jusqu’à l'arracher le lobe de l’oreille de Davy, son patron. Le cuisinier avait déjà été condamné pour des violences en octobre 2018. 

Entre le cuisinier et le patron de ce restaurant de la route d’Avignon, les relations professionnelles s'étaient rapidement transformées en lien d’amitiés, jusqu’à ce qu'ils deviennent amants. Ensemble, ils se voient au hammam, à des soirées libertines ou en soirées échangistes chez des amis.

Chemsex, GHB et 3MMC

Le 23 décembre 2021, au petit matin, ils se retrouvent en petit comité, au domicile du restaurateur. Les fêtards en sont à leur 5^e jour consécutif de « chemsex » : des soirées mélangeant relations homosexuelles et diverses drogues désinhibitrices - GHB, 3MMC - lorsqu’une simple dispute pour un hamburger tombé par terre dégénère entre les deux amants, qui s’empoignent et se tirent les cheveux dans la chambre. En entrant dans la pièce, leurs amis découvrent leur hôte ensanglanté, ainsi qu’un bout d'oreille sur le lit, coupée presque au niveau du cartilage.

« À un moment, il a approché sa tête de la mienne et sa boucle d’oreille s’est accrochée à mon bridge », croit savoir le prévenu, même s’il ne se souvient plus très clairement des faits. La présidente lève les yeux au ciel. « Alors, je ne suis pas légiste, mais ça ce n’est pas possible. Si c’était à cause d’une boucle, l’oreille ne serait pas fendue comme ça. Là, elle paraît comme mâchée… On voit même la trace des dents au niveau du lobe ! », le coupe d’emblée Béatrice Almendros.

« J’espère que je t’ai refilé le Sida ! »

Traumatisé par cette mutilation, le patron a depuis quitté Nîmes pour retourner vivre chez ses parents dans le Vaucluse. « Il revit la scène et n’en dort plus. Il a un choc traumatique très important. », reprend la juge. Le trentenaire essaie de faire bonne figure. « Je suis vraiment quelqu’un de calme, je l’appréciais moi ! C’est terrible que cette situation ait dégénérée », assure-t-il. La magistrate le contredit à nouveau. « Oui, mais vous êtes aussi décrit comme impulsif lorsque vous consommez du Ghb et du 3MMC. Or, il faut pas trop en prendre sinon cela provoque un g-hole pouvant entraîner des convulsions, voire des effets irréversibles, oppose-t-elle. Quand on est surexcité, on n’est plus maître de ce qu’on fait »

Le comportement de Maroine paraît en effet, à ce moment-là, pour le moins étrange. Quand leurs partenaires de soirées viennent séparer les deux amants, ils entendent Maroine hurler « j’espère que je t’ai refilé le Sida ». Puis, alors que ses amis ramassent le bout d’oreille et se préparent à partir à l’hôpital, Maroine se sert un verre, très calmement, presque souriant.

 « Il a également dénoncé des faits de viol »

« Vous faisiez la fête depuis 5 jours, vous aviez dormi combien de temps depuis le début ? », veut savoir la juge. Le jeune hausse des épaules. « Je rentrais et je dormais une heure de temps en temps. », répond-il, l’air distrait. La présidente revient à la violente dispute. « Mais comment voulez-vous que son oreille atteigne votre bridge, qui se trouve en plus sur une dent arrière ? », insiste Béatrice Almendros. « Non, c’est avec sa boucle d’oreille », explique le cuisinier. La juge explique qu’on n’en a pas retrouvée… « Si, elle devait être sur le lit, je l’ai eu en bouche », certifie le jeune homme.

Déjà condamné pour des violences sous l’effet de stupéfiants, le prévenu se rassoit, en soupirant. La procureure reprend gravement.  « La mutilation, c’est l’ablation d’un membre, de manière irréversible. Cette perte est ce qui a le plus traumatisé la victime, alors qu’il a également dénoncé des faits de viol !, commence Véronique Compan. Il y a eu un cocktail explosif : le manque de sommeil, l’absorption massive de drogues, et la jalousie de la relation qui se nouait entre la victime et son nouvel amant. Mais votre réaction est totalement disproportionnée ! » La procureure réclame trois ans d’emprisonnement, dont 18 mois ferme avec mandat de dépôt.

« Ce n’est pas un esprit cannibale »

Son avocat tente de calmer le jeu. « Perdre un lob d’oreille ça fait beaucoup de sang, mais le Parquet se laisse aveugler par ces éclaboussures, débute Carmelo Vialette. Ce n’est pas parce que la victime a saigné, qu’elle aurait toujours raison et que mon client ne dirait que des mensonges. Son patron dépose plainte pour violences le 23, puis, quelques jours plus tard, pour un viol, lors d'un moment de trou noir… Mais alors, c’est curieux qu’il continue à héberger son ami les jours suivants, pendant toute la durée de la fête ! Non, c’est un autre ami qui s’est occupé de lui pendant ce malaise et personne ne l’a touché. Alors quand il jure qu’il porte des boucles d’oreille à clip, je ne le crois pas non plus. »

L’avocat s’appuie sur le pupitre. « Ensuite, lors de la dispute, deux témoins disent que c’est la victime qui a sauté sur mon client, en furie, l’aurait agrippé et lui a arraché les cheveux. S’il ne l’avait pas fait, nous ne serions pas là, et il aurait toujours son oreille. La violence, ce n’est pas mon client qui l’a initiée. Les responsabilités sont partagées, assure Carmelo Vialette. Enfin, l’a-t-il fait intentionnellement ? A-t-il mordu la première chose qui lui passait sous la dent ou l’a-t-il fait par méchanceté ? Ce n’est pas la même chose ! Il explique avoir fermé la bouche sentant son dentier partir et c’est lorsqu’on les sépare que le sang apparaît, ce qui donne du crédit à ses explications. Ce n’était pas voulu, ce n’est pas un esprit cannibale ! »

Maroine est condamné à 24 mois d’emprisonnement, dont la moitié avec sursis. Sa peine sera donc aménageable, sous forme de bracelet électronique.

Pierre Havez