Publié il y a 1 an - Mise à jour le 24.10.2023 - Thierry Allard - 5 min  - vu 4453 fois

FAIT DU JOUR Le crew de graffeurs nîmois TPA retrace vingt-cinq ans d’histoire urbaine

Le crew TPA en action

- Photo d'archives TPA

Ce sont trois lettres auxquelles les habitants de Valdegour et plus largement de Nîmes sont familiers : TPA. Trois lettres derrière lesquelles se cache un crew de graffeurs historique, qui retrace son histoire, entamée au milieu des années 1990, dans un beau livre publié à la fin du mois.

1995 ou 1996, difficile de savoir à quel moment exactement TPA a été créé. « C’était oral, c’est parti d’un truc de jeunes », explique Zeklo, membre du crew depuis 2007, à l’initiative du projet de livre qui s’apprête à être publié. Trois potes, Astre, le leader, Sfer et Kreo, trois gamins de Valdegour, initient le mouvement, à l’époque du boom des cultures urbaines. « À la base, on faisait de la dégradation pour passer le temps, au quartier on s’ennuyait, puis on a compris qu’on pouvait écrire sur les murs pour que les gens le voient », rejoue Kreo, qui avait 16 ans à l’époque.

Du vandalisme ? « Oui, et une culture », affirme Zeklo, culture qui consiste notamment à « représenter ton quartier, ta ville », abonde Kreo. Les premiers tags TPA fleurissent partout dans le quartier, « et plein de gens viennent se greffer », rembobine Kreo. Bientôt, le dilettantisme du début laisse la place à la passion, et le quartier est trop petit pour eux. « On part dans toute la ville, sur les trains, sur tous les supports, avec tous les styles, toutes les techniques », explique Zeklo.

Quand ils descendent en ville, les gamins de Valdegour sont précédés d’une « réputation de méchants, vu qu’on est de la ZUP Nord, les gens ont peur de nous, affirme Kreo. Alors oui, il y a eu des bagarres, mais on n’a tué personne, et cette réputation nous colle encore à la peau aujourd’hui. » Des bagarres, notamment contre le Chemin-Bas d’Avignon, avec comme vecteur de messages et de provocations la ligne B des bus TCN de l’époque, qui reliait les deux quartiers. « C’était un peu notre métro de New York à nous », s’amuse Kreo.

« Une histoire d’amitié »

Reste que TPA se fait petit à petit une place dans le paysage du graff, et créé des pièces de plus en plus grandes et remarquées. Au point de recruter hors de ses bases. « Au début des années 2000, des membres externes à la ZUP intègrent le groupe, et le groupe de rap se lance en même temps, donc TPA avait un aspect plus grand qu’un simple groupe de graff, ça devient un collectif », développe Kreo, qui participe aussi au groupe de rap de TPA. L’ouverture, dont Zeklo, qui a grandi en Cévennes, est un exemple, pour « apporter du sang neuf, une nouvelle énergie au groupe », affirme-t-il.

Un car "customisé" à l'occasion de la finale de Coupe de France 1996 • Photo d'archives TPA

Le groupe, qui a vu passer une vingtaine de membres actifs et bien plus de membres de passage depuis près de trente ans, en a recruté encore trois nouveaux cette année. « Une histoire d’amitié », affirme Zeklo, alors que TPA se réunit souvent pour passer du bon temps ensemble. « On n’a jamais intégré quelqu’un pour son style, on préfère qu’il soit dans la même vibe que nous », rajoute Kreo.

Un état d’esprit qui perdure donc aujourd’hui, même si les anciens graffent moins aujourd’hui. « Je ne sors plus tous les soirs ni tous les week-ends, mais je continue à faire toutes sortes de supports », dit Kreo, la quarantaine aujourd’hui. Et, s’il continue lui aussi, Zeklo affirme qu’« il y a des choses que je ne ferais plus aujourd’hui. Je n’ai plus envie de nuire aux gens, alors qu’avant, je m’en foutais un peu. » Il faut dire que l’un comme l’autre ont eu affaire avec les tribunaux, et ont déjà été condamnés pour leurs activités, qui restent largement illicites.

« Nîmes reste l’élément central, la toile de fond »

Notamment pour avoir tagué des trains, la SNCF n’appréciant que modérément l’expression artistique sur ses wagons. « Mais on y arrive toujours », sourit Kreo, que l’on découvre passionné de trains peut-être autant que de graff. « Les Michelines, Z2, Inox… On se motivait pour aller dans d’autres régions pour faire un train en particulier. On les collectionnait. On s’est déjà tapés huit heures de route la nuit pour aller jusqu’en Bourgogne faire un train », raconte-t-il, nostalgique de ces longs trajets propices aux moments complices entre amis. « Il y a une vraie culture du train, avec plein de codes. Le livre parle aussi de ce "fétichisme" des supports », note Zeklo.

Les graffeurs ont une passion pour les trains • Photo d'archives TPA

Mais si le crew est déjà allé loin pour taguer, « Nîmes reste l’élément central, la toile de fond », affirme Zeklo. L'ouvrage se veut donc aussi un hommage à la cité des Antonins, et ce dès sa couverture où un crocodile et la couleur rouge figurent en bonne place. Ce livre, dont le projet a démarré pendant le premier confinement, au printemps 2020, lorsque Zeklo commence à collecter des photos et des archives de TPA. « Au début j’ai fait ça pour le plaisir, sans ambition, et petit à petit il y avait tellement de travail accompli qu’on s’est dit que ce serait dommage de garder ça pour nous », rejoue-t-il.

Rejoint dans son projet par Kreo et Polzo, un autre membre du crew, il continue le travail. Elga Dekra, lui aussi membre de TPA, s’occupe de la partie écriture, qui consiste en une retranscription de témoignages, et Sara Gomez, une proche du crew, du graphisme. Le projet sera aussi aidé par l’association Da Storm, et subventionné par la Région Occitanie et par quelques amis, comme les commerces Oldope vintage et Jamais sans couleurs, jouant le rôle de mécènes. « Mais la majorité des fonds, on les a sortis nous », tient à préciser Zeklo.

Une soirée pour la sortie du livre

Le tout donne un beau livre de 308 pages, conçu de manière chronologique, sur la période 1995-2020, qui laisse une grande place aux photos. Un livre voulu « qualitatif, car on sait qu’on ne le fera qu’une fois », affirme Zeklo, édité à 500 exemplaires vendus 50 euros, 65 euros avec un pack avec des objets collector, il compte d’ores et déjà environ 150 précommandes. La sortie officielle est pour ce samedi 28 octobre à partir de 18 heures au Spot, dans le cadre du festival Tout simplement hip-hop.

Une exposition, une installation, un concert de rap avec Kreo et le Marseillais Rager, une tombola avec des lots uniques créés par le crew et des happenings sont au programme de cette soirée dont l’entrée est gratuite.

Mais au fait, ça veut dire quoi TPA ?

Tous ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont grandi à la ZUP Nord dans les années 1990, ont entendu nombre de rumeurs sur la véritable signification de TPA. La version officielle alors ? « "Tous psychopathes associés" pour le graff et "Tu peux apprécier", pour le rap », balance Kreo. Mais ce serait trop simple : « Ce n’est même pas quelqu’un du crew qui a trouvé la définition, mais l’anecdote est dans le livre », glisse Kreo dans un sourire.

Thierry Allard

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