L’INTERVIEW Nicolas Rainville : « Je ne voulais pas faire la saison de trop »
L’arbitre nîmois officiera pour la dernière fois, ce soir, à l’occasion du match de Ligue 2 Auxerre – Concarneau. Nicolas Rainville revient sur 17 ans de carrière, mais il n’en a pas tout à fait fini avec l’arbitrage et il reste un grand supporter de Nîmes Olympique.
Objectif Gard : Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers l’arbitrage ?
Nicolas Rainville : Quand j’étais jeune joueur, aux cheminots nîmois, j’étais mauvais perdant. Et une fois j’ai critiqué un arbitre avec des mots d’un gamin de 15 ans. J’avais été sanctionné et mon père m'a demandé de passer mon diplôme d’arbitre pour que je vois ce qu’ils enduraient. Je me suis pris au jeu et j’ai travaillé dur. Avant, j’estimais que l’arbitre était le puni du football.
Lors de votre carrière, il y a un moment marquant où vous expulsez le Parisien Cavani. Pouvez-vous nous rappeler les faits ?
Cavani marque un but et un joueur lensois m’interpelle pour me prévenir que le Parisien vient de faire son geste de la carabine en direction des supporters sang et or. Un de mes assistants me le confirme. Je mets un carton jaune à Cavani et, au moment où je me tourne, il m’attrape le bras. Alors je sors le carton rouge. Ce n’était pas agressif de sa part, mais on ne touche pas les arbitres.
Et vous vous retrouvez au centre d’une grosse polémique...
Je m’attendais à être très critiqué dans la presse, mais beaucoup de monde m’a soutenu. Je pense à Laurent Blanc, Antoine Kombouaré et dans les médias Vincent Moscato et Luis Fernandez.
"J’ai reçu des cartouches et des petits cercueils"
Alors pourquoi autant de battage ?
Parce que le président de la ligue de football professionnel, qui était à l’époque Frédéric Thiriez, avait déclaré aux dirigeants du PSG : « Désolé pour cet arbitrage catastrophique. » En plus, Pierre Ménès, le journaliste de Canal+ et à l’Équipe, m’avait pointé du doigt.
Que s’est-il passé à partir de ce moment ?
Un tsunami s’est abattu sur moi. J’ai même reçu des colis avec des cartouches et des petits cercueils. En plus, c’était difficile de me défendre car les arbitres n’ont pas le droit de parler à la presse. Le mal était fait et j’ai traîné ce match comme un boulet pendant plusieurs semaines alors que je n’avais rien à me reprocher.
C’est votre pire soirée ?
J’ai pensé cela pendant quelques jours, mais j’ai ensuite appris qu’avec ma femme nous avions conçu notre fils ce soir-là.
"Quand tu vois Messi sortir en pleurant, ça fait quelque chose"
Alors quel est le pire ?
C’était il y a un an pour le fameux Bordeaux – Rodez quand un supporter agresse un joueur aveyronnais. Il n’y a rien à dire sur l’arbitrage, mais ce soir-là mes deux assistants prenaient leur retraite. C’était à la base une grande fête pour eux. Leurs amis et leur familles étaient présentes. Le club de Bordeaux avait même décidé de marquer le coup, mais la fête a été gâchée par un individu.
Vous avez du connaître des ambiances particulièrement chaudes dans les stades ?
Oui, surtout à l’étranger. Je me souviens de la Turquie, la Grèce, la Roumanie, mais surtout en Écosse et en Irlande. J’ai eu une sortie un peu chaude lors d’une demi-finale de Coupe de la Ligue pour un Lorient – Bordeaux. J’ai eu la chance de faire arbitre additionel pour un match de Ligue des Champions à Dortmund. Toujours en C1, j’ai fait un Inter-Tottenham et un Rome-Barcelone. Quand tu vois Umtiti, Piquet, Suarez et Messi sortir en pleurant, ça fait quelque chose. C’est un de mes plus beaux souvenirs.
Gardez-vous un bon souvenir de certains grands joueurs ?
Oui, avec Benzema, que j’avais arbitré en finale du championnat de France U19. La première fois que je rentre dans le vestiaire du Real Madrid pour vérifier les équipements, Benzema me reconnait et me salue avec bienveillance. Un peu comme Ribery au Bayern avec qui on a discuté de l’OAC où il avait joué. Et il me dit : « Ce qui me manque le plus à Alès, c’est qu’ils me doivent mon dernier salaire. » À la fin, il m’offre son maillot.
"Tu rentres avec le protocole, le chef de l’État et la Marseillaise"
Vous souvenez-vous de votre premier match en professionnel ?
C’était un Dijon-Ajaccio, pour mes débuts. Je ne fais pas une bonne saison parce que je veux ressembler à ceux qui sont déjà au top comme Bré, Ledentu et Poulat. Mais c’est idiot de copier alors qu’il fallait que je m’appuie sur mes qualités.
Quel est votre plus beau souvenir ?
La finale de la Coupe de France 2013, Bordeaux-Evian Thonon Gaillard. Tu rentres avec le protocole, le chef de l’État et la Marseillaise. J’ai fait une finale de Coupe de la Ligue, mais ça n’avait pas la même saveur que la Coupe de France, devant 80 000 personnes.
Que représente, pour vous, le trophée UNFP du meilleur arbitre de Ligue 2 que vous avez décroché dernièrement ?
Quand on s’est levé, je me suis dit marche lentement car les applaudissements des joueurs et des entraîneurs, tu n’en reverras plus. Ça a de la saveur, parce que ce sont des arbitres qui votent. Après, peut-être qu’ils en avaient marre de me voir et ils me donnent le trophée pour que je parte (rire).
"Je commence à être usé de prendre mon sac tous les matins pour aller m’entraîner"
Pourquoi avoir choisi Auxerre-Concarneau comme dernier match ?
Sur mes derniers matchs, j’ai voulu repasser pas Saint-Étienne parce que nous sommes toujours très bien reçus, comme à Ajaccio et à Auxerre. En 17 ans, il y a des clubs avec qui ça s’est très bien passé, même quand ils ne gagnaient pas. J’ai eu aussi la chance d’aller arbitrer en Nouvelle-Calédonie pour un match de Coupe de France. La direction de l’arbitrage et la CFA ont été vraiment bienveillantes avec moi.
Pour quelle raison décidez-vous d’arrêter ?
Parce que ça fait 17 ans, je commence à être usé de prendre mon sac tous les matins pour aller m’entraîner. Je ne voulais pas faire la saison de trop. Et puis, j’ai un cabinet de kiné à gérer et des responsabilités municipales pendant encore deux ans.
Avez-vous un projet de reconversion dans l’arbitrage ?
La fédération française de football a souhaité m’utiliser différemment. Déjà en tant que VAR et comme formateur des jeunes talents de l’arbitrage. Transmettre me passionne et je serai ravi de le faire.
"Je suis resté supporter de Nîmes Olympique"
Quelle place a Nîmes Olympique dans votre vie ?
Mon père a gagné la Coupe Gambardella avec Nîmes Olympique. Ça fait plus de 15 ans que je suis licencié au club en tant qu’arbitre et que je vis avec les Crocodiles tous les jours à l’entraînement. J’ai gardé plein de contacts avec les joueurs et après la soirée des trophées UNFP, Ripart, Depres, Valls, Paquiez, Mendy, Bobichon, Tchokounté, Valério et plein d’autres m’ont félicité. Je suis resté supporter de Nîmes Olympique.
Avez-vous un regret ?
Il y a des tournants que je n’ai pas pris, mais c’est volontaire. J’ai préféré passer plus de temps avec ma famille et mes amis. Sans ça, je pense que j’aurais pu faire une autre carrière.