FAIT DU SOIR Dans l’Uzège, le mystérieux bourg médiéval de Massargues ressort de terre
Depuis ce lundi, encadrée par trois archéologues confirmés, une équipe de vingt étudiants en archéologie fouille le site de Massargues, au nord de Saint-Quentin-la-Poterie.
Ils seront sur place jusqu’au 5 août pour commencer à faire ressortir de terre le bourg médiéval de Massargues, un site archéologique exceptionnel de trois hectares. Un site tombé dans l’oubli le plus profond, découvert par l’archéologue Samuel Longepierre en 2004. « Mes parents sont de Flaux et quand j’étais gamin je prospectais dans le coin, rejoue-t-il dix-huit ans plus tard. J’étais en thèse et je suis tombé sur ces pierres. »
Depuis, l’archéologue a fini sa thèse, est désormais déployé en Corse pour le compte de l’Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP), et revient cet été fouiller les coins de son enfance sur ses vacances. Et donc plus particulièrement ce coin, lieu d'implantation d'un important bourg médiéval, fondé entre la fin du XIe siècle et le début du XIIe, et disparu à la fin du XIIIe siècle. Pourquoi ce bourg, comparable à celui à l’origine de la ville de Saint-Affrique en Aveyron, a-t-il disparu et n’a pas donné de ville moderne ? Le mystère est épais et les fouilles doivent aider à le percer.
Des fouilles justement, démarrées ce lundi sous la houlette de Samuel Longepierre donc, mais aussi des médiévistes Thomas Leveziel et Lucille Brevet. S’il est encore un peu tôt pour parler de résultats, les premiers éléments intéressants commencent à sortir de terre. « C’est très prometteur, on est en train de confirmer ce qu’on avait vu en 2018 (date de la fouille probatoire autorisée par la Direction régionale des affaires culturelles, ndlr), à savoir un plan urbanistique », explique l’archéologue. De fait, le site est jonché de pierres dressées, des bornes censées délimiter les différentes parcelles de cette ville neuve.
« À l'échelle de la France, il n’y a pas d’équivalent »
On y aperçoit un long linéaire de murs, délimitation du bourg viabilisé. Pour les voir, il a fallu débroussailler finement. Et ce qui en sort, c’est une place sur un banc rocheux, mais aussi un grand nombre d’alignements et ce qui ressemble à des maisons. Ici, une maison à la toiture effondrée, qu’on reconnaît à la quantité de lauzes retrouvées sur place. Là, un mur comprenant « un certain nombre de pierres de taille, et certains murs montés au mortier », souligne Samuel Longepierre, qui ne s’attendait pas à trouver des constructions de cette qualité ici. « Pour de l’habitat médiéval, c’est vraiment soigné », commente-t-il. Le signe, sans doute, de la présence dans ces murs de notables, peut-être des notaires de Massargues, dont la présence est indiquée dans des textes d’époque.
Une grosse part du travail des archéologues est de « confronter les sources écrites et le terrain », note l’archéologue, à la tête d’une véritable enquête historique. Les premières fouilles permettent de dresser une hypothèse : celle de la présence, dans ce bourg, de quartiers plus ou moins huppés. Car un peu plus loin, les maisons sont plus petites, les pierres moins nobles, et même « des endroits avec des bases de murs en terre », ajoute Samuel Longepierre. De quoi en apprendre sur la ville médiévale, car l’exemple de Massargues est unique.
Car, « il y a eu très peu de villes neuves médiévales abandonnées, donc des plans urbanistiques de cette époque-là, on n’en a quasiment pas d’exemple, reprend-il. Ici, on peut vraiment le comprendre, à l'échelle de la France il n’y a pas d’équivalent. C'est un site exceptionnel d’un point de vue scientifique. » Il faut dire que les bourgs médiévaux comparables, comme ceux de Saint-Affrique ou Bagnols-sur-Cèze, ont ensuite mué en villes modernes, et ne sont pas restés en l’état. Contrairement à Massargues, donc.
Le roi de France, principal suspect
Reste désormais à comprendre pourquoi ce bourg a été habité pendant deux siècles, puis abandonné, sans doute brutalement. La piste de l’épidémie de peste est balayée par l’archéologue : les grosses pestes sont intervenues après l’abandon présumé de Massargues et, si la maladie décimait la population, elle ne rayait pas non plus les bourgs de la carte. Celle du manque d’eau pourrait expliquer la disparition du bourg, mais paraît plutôt improbable, l’eau étant un préalable à l’installation des villes neuves.
Reste une piste politique, privilégiée par Samuel Longepierre. Car Massargues était probablement une ville consulaire, comprendre une commune où les bourgeois ont presque tous les droits, et où la population ne dépend pas d’un seigneur. « Les villes consulaires se développent dans la vallée du Rhône au XIIe siècle puis s’étendent, mais le roi de France trouve ça insupportable car il y voit un contrepouvoir », explique l’archéologue.
On en retrouve plusieurs exemples dans le coin : Avignon, Sorgues (Vaucluse), Alès, Beaucaire, Saint-Gilles. La fin du comté de Toulouse et la reprise en main par le roi a pu lui donner l’opportunité de faire rentrer ces villes dans le rang. Des campagnes d’intimidation sont rapportées à Avignon et à Alès, en augmentant les impôts fortement, en plaçant certains bourgeois en prison ou encore carrément en détruisant des habitations, comme à Avignon, où 300 maisons seront démolies sur ordre du roi.
C’est peut-être ce qui est arrivé à Massargues. « Il y a peut-être eu une volonté politique d’effacer l’histoire », avance Samuel Longepierre, dont l'hypothèse n’est pour l’instant pas démentie par les faits. En tout cas, si c’était le but, c’est réussi : le bourg de Massargues est tombé dans l’oubli. « On n'imaginait pas qu'il y avait un tel groupe d’habitations, affirme le maire de Saint-Quentin-la-Poterie, Yvon Bonzi. Mon père avait une vigne à proximité. On disait qu’on allait à Massargues mais on ne savait pas pourquoi. »
Pour remettre Massargues à sa place dans l’histoire du territoire, l’association l'Uzège a soulevé des montagnes. C’est elle qui porte les fouilles, un énorme projet à son échelle, puisque pas moins de 90 000 euros sur trois ans seront nécessaires. Pour les trouver, l’association a pu compter sur la Région, la DRAC, les collectivités territoriales et des mécènes, comme le cabinet Garcin et de nombreux donateurs individuels, mais aussi et surtout sur sa détermination à faire ressortir de terre Massargues. Si tout va bien, les fouilles seront achevées dans six ans. Restera ensuite à voir ce que deviendra ce bourg, tombé dans l’oubli pendant sept siècles.
Thierry ALLARD