FAIT DU SOIR Face à la sécheresse, des éleveurs de brebis contraints de vendre leurs bêtes
« Pour moi c’est du jamais vu. » À 62 ans dont 25 d’élevage de brebis à Lussan, Luc Hincelin a un peu de recul pour analyser le caractère exceptionnel de la sècheresse de cet été.
Car plus que les fortes températures de l’été, « avant, on n’a pas eu d’eau au printemps, en tout cas pas depuis avril », souligne-t-il. Résultat : sans les pluies de printemps, la végétation était déjà sèche au début de l’été. Et ce alors que « dans nos garrigues, l’herbe ne pousse qu’au printemps », précise-t-il.
« Chaque année je plante une dizaine d’hectares de sorgho fourrager en prévision du mois d’août, mais cette année il n’a pas germé, ou alors séché sur pied tout de suite », reprend Luc Hincelin. Quant aux pâturages habituels, « je les retrouve plus abîmés qu’il y a dix mois quand je les ai laissés », note l’éleveur. La faute à un réchauffement climatique bien palpable : « ça fait quelques années qu’on s’aperçoit de l’évolution, il y a des plantes qui ont disparu », affirme-t-il.
De ce fait, vu que l’été est pour l’heure on ne peut plus sec, l’éleveur manque d’herbe pour ses bêtes, « et le fourrage est hors de prix, il y a une spéculation inadmissible sur le foin, sachant qu’on n’en trouve pas beaucoup », poursuit Luc Hincelin qui précise : « Un camion de 12 tonnes de fourrage a pris 900 euros, passant de 1 500 à 2 400 euros. » Et ce alors que les 430 bêtes de Luc Hincelin mangent une tonne de foin par jour. Un sacré manque à gagner, à conjuguer aux autres hausses du gazole non-routier, de l’azote ou encore des aliments granulés, qui ont tous vu leurs prix doubler voire tripler.
Alors l’éleveur a dû se résoudre à prendre une décision difficile : vendre plus de bêtes que d’habitude. « J’en vends chaque année, mais pas autant, je vais vendre un tiers de mon cheptel, pour en nourrir 300, il faut en vendre 100 », affirme Luc Hincelin, qui a mis ses bêtes sur Le Bon Coin. Et il est loin d’être le seul à devoir se séparer de bêtes.
« On se prend le réchauffement climatique plein pot »
À une quarantaine de kilomètres de là, Rafael Bordary, 17 ans, élève une quinzaine de brebis et agneaux à Montfaucon, près de Roquemaure. Le jeune homme, qui a démarré son élevage à l’âge de 15 ans et qui suit en parallèle des études en gestion d’exploitation agricole à Vézénobres, vient de mettre lui aussi une partie de ses bêtes sur Le Bon Coin, « à contre-coeur », dit-il.
« J’en ai 15 en comptant les agneaux, je ne vais en garder que 7, car l’herbe c’est très compliqué », explique-t-il. Si son élevage est plus petit que celui de Luc Hincelin, le problème reste le même : le manque d’herbe et la hausse du prix du fourrage. « J’ai rentré deux bottes de 350 kilos, j’en ai pour 100 euros, l’année dernière c’était 50 euros, et ça part vite », précise le jeune éleveur, qui estime « (se) prendre le réchauffement climatique plein pot. »
Rafael Bordary a connu son premier été d’éleveur l’année dernière, « et c’était vert, aujourd’hui c’est sec que ça n’en peut plus », dit-il en montrant les pâturages habituels de ses bêtes, tout jaunes. Lui non plus n’a pas eu l’herbe du printemps, et est contraint de nourrir ses bêtes au foin. « Je ne voulais pas leur en donner, ce n’est pas ma vision de l’élevage, je veux avoir mes brebis dehors, qui mangent de l’herbe toute l’année », regrette-t-il.
Lui aussi doit donc vendre des bêtes pour acheter du foin permettant de nourrir les bêtes restantes. Et encore, « le marché est en baisse, car beaucoup d’éleveurs vendent », ajoute le jeune éleveur. Le ciel, désespérément limpide, devrait s’assombrir à partir de dimanche, avec des orages que le jeune éleveur attend avec l’espoir de voir l’herbe de ses pâturages reprendre des couleurs.
Luc Hincelin espère quant à lui que la pluie durera « quelques jours, sinon l’herbe sèche va pourrir », et il l’affirme : « aujourd’hui le mal est fait, la sècheresse s’arrêtera quand on aura pris 100 mm de pluie à l’automne. » L’éleveur, ancien élu à la Chambre d’agriculture, appelle les autorités à l’aide. « Je demande le quoi qu’il en coûte pour les éleveurs, on a su trouver de l’argent il y a deux ans pour les restaurateurs, pour nous c’est maintenant, car avec les hausses de charges que nous subissons sans pouvoir les répercuter aux clients, les trésoreries des éleveurs sont basses. »
À Montfaucon, à quelques encablures du Rhône, Rafael Bordary rêve de voir un système d’irrigation avec l’eau du fleuve venir au secours aux agriculteurs et éleveurs du Gard rhodanien. Car en l’état actuel des choses, « je me pose des questions, très fort, souffle-t-il. Si je veux pouvoir faire mon métier, ma passion, je pense que je ne vais pas pouvoir rester là. »
Thierry ALLARD