NÎMES OLYMPIQUE Alain Garnier, 60 ans après : "Voir les autres lever la Coupe ça fait mal à l’estomac"
Le 7 mai 1961, Nîmes Olympique joue sa deuxième finale de la Coupe de France. Face à Sedan, les Crocodiles de Kader Firoud partent favoris. Pourtant, et à la surprise générale, ce sont les Ardennais qui s’imposent 3-1. Soixante ans plus tard, de sa retraite montpelliéraine, le Nîmois Alain Garnier se souvient de ce match qui lui laisse beaucoup de regrets.
Objectif Gard : Lors de cette saison 1960-61, votre parcours en Coupe est notamment marqué par une mémorable demi-finale à Marseille face à Montpellier. Quel souvenir en gardez-vous ?
Alain Garnier : Je l’ai vécu assis sur la pelouse derrière des buts car je n’avais pas été convoqué pour ce match. L’ambiance était tendue. Les Nîmes – Montpellier ça a toujours été la guerre. Quand nous allions jouer au SOM (NDLR ; Stade Olympique Montpelliérain), c’était la guerre des tranchés, un peu comme Marseille – Paris aujourd’hui. Il y a eu un temps ou la fusion avec Montpellier a été envisagée avec un stade à Gallargues. C’est la source Perrier qui devait mettre de l’argent puis ça ne s’est pas fait.
Cela a-t-il été frustrant de ne pas participer à cette rencontre ?
J’ai été blessé car on ne me disait rien. Alors je suis allé travailler avec mon père. Pour le match suivant comptant pour le championnat, Paul Calabro et la femme de Daniel Charles-Alfred sont venus me voir chez ma mère pour me convaincre de revenir. Je ne voulais pas y aller, ça a fait un esclandre.
Comment avez-vous appris votre participation à ce match ?
En fait, je ne devais pas en être car il était prévu que je parte faire mon service militaire deux jours avant la finale. Mais un jour Henri Bosquet (NDRL : un dirigeant nîmois de l'époque) vient me voir et me dit : "Tu ne pars pas à l’armée car tu joues dimanche, tu te présenteras au bataillon le 8 mai".
« Nous n’étions plus nous-même »
Ce n’est pas trop difficile de trouver le sommeil la veille d’un tel rendez-vous ?
C’était difficile de s’endormir. Les veilles de match, je bouquinais énormément, des trucs faciles qui ne cassent pas la tête. Cependant, je ne lisais pas la presse car certains journalistes ne sont pas très objectifs. Il y en avait un à qui je disais toujours qu’il ne comprenait rien au football. Avec lui ça ne passait pas, il me cherchait un peu.
Comment Nîmes Olympique a-t-il préparé cette rencontre ?
Nous sommes allés à Rueil-Malmaison pour la mise au vert avant ce match mais il n’y avait plus la verve du championnat. Je ne sais pas si c’était la fatigue mais nous n’étions plus nous-même. C’est peut-être le stress. Je me souviens que quelques détails m’avaient perturbé.
Lesquels ?
Avant la finale, des marques sont venues nous voir pour nous donner des équipements, des crampons et un survêtement. J’ai d’ailleurs commencé avec des crampons en caoutchouc que j’ai changé à la mi-temps pour mettre des vissés. Ce sont des détails qui perturbent un peu. Si près du match, ce n’était pas le moment.
« Salaber nous a beaucoup chambré après son but »
Quel souvenir gardez-vous du protocole d’avant-match ?
La Marseillaise, je l’avais déjà entendue et le Général De Gaulle n’était pas là. En revanche j’ai serré la pince au Premier ministre Michel Debré. Ça émeut un peu.
Dans cette rencontre, un ancien Crocodile marque pour Sedan, ce n’était pas trop difficile à encaisser ?
En plus c’est Emilio Salaber qui marque ce but décisif. On connaissait son caractère espagnol, il a chambré après avoir marqué. Ça ne me touchait pas mais d’autres oui. Ça embêtait plus Charles-Alfred.
« Tu vas te faire couper en deux ! »
Vous étiez le seul natif de Nîmes à jouer cette finale, cela avait-il une saveur particulière ?
Nîmes, j’y suis né et mes parents habitaient place de la Calade. C’est là où j’ai commencé à jouer à 10 ans à l’école de football dans les arènes. À 14 ans, en 1955, je suis entré au Nîmes Olympique et j’étais entraîné par Monsieur Rouvière qui était professeur de gymnastique au Lycée Daudet. Il m’avait dit : "Évite de porter le ballon comme quand tu joues avec les jeunes. Avec les vieux qui sont roublards, tu vas te faire couper en deux." Comme j’étais assez adroit, je jouais en une touche de balle.
Quel était votre poste à cette époque ?
Mon vrai poste c’était milieu de terrain mais Kader Firoud me faisait jouer latéral droit à domicile et allier-droit à l’extérieur. C’est à ce dernier poste que j’ai participé à la finale, avec le numéro 7.
Quel a été le discours de Kader Firoud à la pause, vous étiez alors menés 1-0 ?
Je ne m’en souviens pas précisément mais il avait des expressions qui piquaient un peu l’amour propre. Mais il pouvait me le répéter 50 fois, ça ne changeait rien car je savais ce que j’avais à faire.
«Sedan, c’était des bucherons brut de décoffrage »
Parlez nous de Sedan votre adversaire.
Sedan avait moins de potentiel que nous, c’était des bucherons brut de décoffrage, notre jeu était un peu plus élaboré. Mais les Ardennais étaient bien menés par Louis Dugauguez, leur entraîneur.
Qu’a t-il manqué au NO pour remporter cette Coupe de France ?
Il n’a pas manqué grand-chose car au début du match ça tournait bien. Après quand vous prenez un but, vous doutez et tout le monde veut en faire un peu plus et on passe à travers. Mais si le match s’était joué au stade Jean-Bouin, cela aurait été différent.
« Face à la grande butte, nous devenions alors des compresseurs »
Pourquoi ?
Dans notre stade et devant nos supporters, quand nous étions menés au score, nous jouions la seconde période face à la grande butte, nous devenions alors des compresseurs.
Comment s’est passé l’après-match ?
Au moment de la remise de la Coupe, nous étions déjà dans les vestiaires. Voir les autres lever la coupe ça fait mal à l’estomac. Ça amène une haine envers soi-même en se disant que l’on aurait pu en faire plus. On cherche des explications, on se pose des questions. Il n’y pas eu d’engueulade car c’étaient des gars murs, d’un certain âge. Kader n’a rien dit du tout. En revanche, aux entraînements suivant ils ont dû laver leur linge sale.
« Monaco voulait m’acheter, mais personne ne me l’a dit »
Et pour vous ?
Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, je suis directement parti pour 19 mois de service militaire dont sept en Algérie. Le seule question que je me suis posé c’est quel métro devrais-je prendre.
Vous avez passé 10 ans chez les Crocodiles. Avez-vous eu la possibilité de jouer ailleurs pendant cette période ?
Il y a eu des propositions de Monaco qui voulait m’acheter mais personne ne me l’a dit. Et Nîmes s’est dépêché de me faire signer pro. J’ai aussi joué en équipe de France Espoirs, Amateurs et Militaire, B et comme remplaçant chez les A.
« Mon père a dit à Roszak : "Fait comme si c’était ton fils, tu le surveilles"
Est-il facile d’intégrer cette équipe pour un jeune joueur ?
La première fois que j’ai joué avec les pros, mon père m’a accompagné à la gare et il a dit à Roszak : "Fait comme si c’était ton fils, tu le surveilles". C’était tous mes copains. Le plus compliqué c’était Bettache car il ne parlait jamais, il ne jouait pas aux cartes.
Y avait-il une bonne ambiance ?
Le club était dirigé comme une famille, parfois seulement 14 joueurs étaient utilisés pour une saison. Les mercredis, on partait à la manade Ricard aux Saintes-Maries-de-la-Mer : on mangeait ensemble, on faisait du cheval, on jouait aux boules. Parfois, nos enfants et nos femmes nous rejoignaient. Il y avait une bonne ambiance. Nous étions bien reçus dans les villages, nous étions le club fanion de la Région.
Propos recueillis par Norman Jardin
Sa bio : Alain Garnier, né le 6 octobre 1941 à Nîmes. Poste : Milieu de terrain mais utilisé dans le couloir droit comme arrière ou ailier. Formé au club. Premier match : le 24 septembre 1960 (Rouen – Nîmes 2-1) mais il fait une apparition en juin 1960 lors d’un match amical en Suisse (Servette Genève - Nîmes, 5-2). International Juniors, Espoirs, Amateurs, Militaires, B et A (2 fois remplaçants). Parcours professionnel : Nîmes Olympique (1960-70), Montpellier-Littoral (1970-71) et FC Rouen (1971-72).