Rares sont les livres d’intérêt. Tantôt trop personnel, tantôt trop pointu, il n’est pas aisé de trouver une lecture qui à la fois puisse vous détendre et vous apprendre quelque chose. Avec ce petit livre de Jean-Jacques Salgon, on a le sentiment d’enquêter sur l’immatériel mué en matériel, ou, plus excitant encore, le matériel qui, au fil des âges, devient immatériel. Les déambulations de ce piéton de Nîmes entraînent le lecteur dans l'Antiquité dont la cité romaine montre encore de nombreux restes fascinants. Le promeneur fait aussi en sorte de déchiffrer ce que le lecteur peine à comprendre.

D’une plume légère et érudite, il parvient à donner vie, à redonner vie à ces histoires du passé. Comment ? En marchant. Tel un philosophe d’école antique, Salgon déambule et décrit largement ce qu’il voit. Il le décrit en le constatant puis s’en approche avec ses vérités historiques. Des vérités qu’il a glanées au fil de sa marche, des vérités qu’il a débusquées entre les lignes d’ouvrages sourcés. Les vestiges imposants, comme les traces les plus ténues le retiennent telle une promesse, telle « la présence vivante d'un héritage ». L'enquête, bientôt, se fait quête, pour celui qui ne se contente pas de traquer, dans le beau livre d'images de ce « paysage humanisé », le passage de l'eau dans un ancien aqueduc désormais en pointillés.

Davantage que des sites remarquables, ce sont des brèches dans le temps qu'en guide scrupuleux il indique. Son érudition est d'autant plus plaisante qu'il y mêle la fantaisie de l'imagination et l'humour de la formulation, ainsi que la tendre nostalgie d'un retour vers l'enfance.

Auteur d'une douzaine de livres, principalement publiés par Verdier et L'Escampette, Jean-Jacques Salgon est écrivain. Il vit entre Nîmes et son Ardèche natale. Scientifique de formation, il a enseigné la physique. Il a séjourné en Algérie, en Côte d'Ivoire, à Paris, à La Rochelle et effectué de nombreux voyages. Les thèmes de la géographie, de la mémoire et de l'altérité sont au cœur de ses livres, la plupart à caractère autobiographique.

Mais, pourquoi a-t-il écrit ce livre ? « Au mois de juin 2020, j'ai appris que la myélodysplasie dont je souffrais depuis quelques années venait d'évoluer vers une leucémie aiguë. » Un passage obligatoire par l’hôpital et un enfermement dans une chambre que l’on imagine bien terne et sans autre histoire que celles que l’on n’ose même plus imaginer.

« Durant les huit mois où se sont poursuivis mes soins, ce qui ne laissait pas de me paraître étrange était que ma maladie et mon isolement fussent les contemporains d'une pandémie qui frappait de plein fouet le monde entier. » L’auteur s’en sortira, finalement, mais au prix d’un fort affaiblissement et d’une perte sèche de douze kilos. Comment remonter la pente ? Justement, en sortant et en prenant enfin le temps de la marche, de la promenade attentive, de l’inspection des résurgences du passé.

« C'est à ce ressuscité que la promenade est apparue comme un bienfait et un provisoire salut. Que soit rendu ici hommage à cette promenade ainsi qu'à toutes les excursions, randonnées ou marches qui ont du reste toujours accompagné ma vie. » Un ouvrage facile à lire, léger, aisément compréhensible. Un livre qui vous permettra d’en savoir un peu plus sur le décor qui, au sens large, est l’écrin de votre vie. Ici, l’auteur fait le choix de l’enquête au service du lecteur.

Dans ces pérégrinations, il vous embarquera sur les traces de l’aqueduc, mais aussi sur des saints tels Gilles ou Vérédème. De la ville à la garrigue, de la plaine du Vistre aux tunnels de Sernhac, d’une tombe médiévale à son ersatz moderne, de légendes en inscriptions, d’analyses en supputations, Jean-Jacques Salgon touche sa vérité et vous l’offre sur un plateau d’argent.

Jean-Jacques Salgon, Le promeneur attentif, Nîmes et alentour. Aux éditions Le temps qui file, 160 pages, 20 euros.