FAIT DU SOIR À Alès, les oubliés de l'impasse Alsace-Lorraine pestent contre leur bailleur social
En haut du quartier des Cévennes, au n°3 de l'impasse Alsace-Lorraine où vit une vingtaine de personnes, la suspension des travaux, qui devaient être menés par le bailleur social Logis Cévenols pour rénover une résidence jugée vétuste, fait grincer des dents. Alors que plusieurs fissures ont été observées sur les façades, le récent évènement dramatique survenu à Marseille n'a fait que renforcer l'inquiétude des locataires...
À Alès, le quartier des Cévennes est tristement célèbre pour sa "tour de la pharmacie", mais il abrite aussi des résidences où règne une certaine quiétude. Pendant des années, c'était le cas de celle située au n°3 impasse Alsace-Lorraine, située à la frontière avec le quartier de Tamaris, tout près de l'usine Boudon - Cévennes Déchets. Construite en 2000, elle se compose de cinq logements, deux F5 et trois F4, dans lesquels vit une grosse vingtaine d'habitants.
Mais plus de 20 ans après sa construction, la résidence a plutôt mal vieilli à en croire certains locataires, qui dressent un portrait peu reluisant de leur lieu de vie. À l'inverse de ses parents âgés, Nagib Chaiblaine ne vit plus sur place. Mais le médiateur de l'association Espoir pour tous, qui intervient prioritairement sur le quartier des Cévennes en matière de prévention de la délinquance, se présente en tant que "porte-parole" des locataires de l'impasse.
Dossier jaune siglé "Logis Cévenols" en main, le trentenaire se fait l'écho d'une situation qui, en plus de l'agacer, l'inquiète au plus au point. Depuis 2021, il réclame auprès du bailleur social Logis Cévenols des travaux pour rénover la résidence qui, malgré sa situation géographique, a déjà subi "deux inondations en 2002 et 2014". "Quand il pleut, c'est une bassine !", peste Nagib Chaiblaine, qui évoque aussi des fuites d'eau régulières.
"On reçoit le courrier mouillé quand il pleut"
"À chaque épisode cévenol, tout le monde a peur !", martèle le médiateur social. Mais cette inquiétude relative à la montée rapide des eaux en cas de fortes pluies ne constitue pas l'unique récrimination du jeune homme. "Les façades des logements sont toutes noires. C'est tellement mal isolé que l'été il fait très chaud. Dans les chambres sous les toits, c'est une fournaise, mais on ne peut pas aérer car on subit aussi les odeurs de l'usine en face. On a honte d'accueillir des amis ici !"
Sur le parking, l'enrobé bitumineux est en piteux état, tandis que le portail d'entrée, "dessoudé", ne tient que par l'opération du Saint-Esprit. "Certaines boîtes aux lettres sont cassées. On reçoit le courrier mouillé quand il pleut", s'exaspère Mustapha, locataire de la résidence depuis 2017 en provenance des Près-Saint-Jean. "Au début, on était ravis d'être là", lâche le dernier nommé, en situation de handicap. Mais comme ses voisins, le couple a vite déchanté quand il a compris que les travaux n'étaient pas pour tout de suite.
Ces fameux travaux, réclamés par la famille Chaiblaine et son voisinage, auraient été décidés le 10 septembre 2021, à l'occasion d'une réunion de concertation initiée par l'Office public de l'habitat (OPH) d'Alès Agglomération. Quelques mois plus tard, sans nouvelle de cet éventuel chantier, Nagib Chaiblaine, rappelant que "la loi du 13 juillet 2006 impose au bailleur social d'offrir une jouissance paisible au locataire", a pris la plume pour écrire aux Logis Cévenols. Le 11 avril 2022, le directeur général, Philippe Curtil, a lui-même répondu par courrier à la famille Chaiblaine en lui indiquant que, comme il avait été convenu lors de la réunion de concertation, une opération de réhabilitation était en effet prévue sur leur résidence.
Des travaux normalement prévus en 2022
"Les travaux envisagés sont les suivants : réfection de la toiture, ravalement de la façade, résidentialisation de la résidence avec réfection de l'enrobé du parking et mise en place de clôtures", peut-on lire dans cet écrit que nous avons pu consulter, et à l'issue duquel nous apprenons que "la réalisation des travaux est prévue pour le premier semestre 2022". "Ça fait un an et demi et rien n'est fait !", constate avec amertume le fils des époux Chaiblaine.
Car le temps presse d'après le trentenaire, tandis que l'apparition de fissures sur les façades de la résidence n'a fait que renforcer l'impression générale de vétusté. D'ailleurs, au n°3 de l'impasse Alsace-Lorraine, la récente actualité marseillaise avec le dramatique effondrement d'un immeuble qui a fait 8 morts est dans toutes les têtes. "Ça fait peur !", clame l'intervenant de l'association Espoir pour tous.
Loin d'ignorer les doléances des locataires, la gestionnaire de patrimoine des Logis Cévenols leur a rendu visite ce jeudi 20 avril. "Elle a compris qu'il y avait le feu", rapporte Nagib Chaiblaine, qui se souvient que le ton est parfois monté au cours de l'échange tant la colère gronde dans les rangs des habitants. "À chaque fois qu'elle vient, elle dit "oui oui oui", mais rien ne se passe", fulmine l'épouse de Mustapha.
À l'arrêt dans l'attente des conclusions d'une étude
"Les gens sont dépités ! Les oubliés de l'impasse sont dans l'impasse", résume Nagib Chaiblaine, avec une formule spontanée qui donne pourtant l'impression d'avoir été préparée. Mais pourquoi une telle inaction du bailleur social qui s'est pourtant, dès fin 2021, engagé à entreprendre des travaux ? En février 2022, la société Abe Sol a été mandatée par les Logis Cévenols afin de réaliser des sondages de sol au niveau du parking commun.
Cette initiative faisait suite à une visite sur site au cours de laquelle "l'enrobé du parking fortement dégradé" et "des fissurations sur plusieurs maisons" ont été observés. Le rapport d'intervention préconisait alors de réaliser des investigations complémentaires, ce qui a conduit à la suspension des travaux de réhabilitation de la résidence "jusqu'aux résultats finaux de cette étude".
Relancée par la famille Chaiblaine qui s'impatientait, la gestionnaire de patrimoine lui a répondu par une missive datée du 17 février 2023, laquelle mentionne que "la maîtrise d'ouvrage met tout en œuvre pour la réalisation des travaux, mais des contraintes techniques retardent leur mise en œuvre". Des éléments de langage dont ne se satisfait pas le porte-parole des locataires. "On n'a pas de visibilité. Il faut que ça avance !", maugrée-t-il, tout en assurant que "les conditions de vie dégradées" dans la résidence ont "fait partir d'anciens locataires".
Pas de délai précis pour une reprise des travaux
Contacté ce mardi matin après plusieurs tentatives infructueuses en fin de semaine dernière, le bailleur social admet ne pas avoir de délai précis à communiquer en ce qui a trait aux travaux de réhabilitation. "On attend les conclusions des analyses techniques complémentaires. C'est en cours. C'est un problème qui demande un degré d'expertise technique très poussé. Après ça, on pourra déterminer quelles solutions mettre en application. C'est un dossier un peu long, mais on n'a pas abandonné les locataires", promet le directeur adjoint, Cédric Veyrenc, qui s'est chargé de nous répondre en l'absence du directeur général, Philippe Curtil.
S'il assure qu'il ne s'agit pas d'une suggestion, mais d'un simple rappel, le directeur adjoint glisse un message à l'attention des locataires, en leur indiquant qu'ils ont "aussi la possibilité de formuler des demandes de mutation qui seront étudiées par la CAF, souveraine en matière d'attribution des logements". Mécontent du sort réservé à ses parents, Nagib Chaiblaine y a longtemps songé, avant de sauter le pas en formulant sa demande.
La réponse a été jugée "irrespectueuse" par la famille. "Ils voulaient nous envoyer à Tamaris au rez-de-chaussée de l'immeuble dont le toit s'est effondré il y a deux ans pendant la tornade", raconte le trentenaire. De son côté, le bailleur social, par l'intermédiaire de son directeur adjoint, loue les qualités en matière de communication de son service "proximité" qui s'efforce "d'apporter une réponse à chacune des demandes des locataires".
Vers une manifestation de protestation ?
En guise d'exemple, à la demande des locataires qui suspectaient un temps la présence d'amiante dans la résidence, un prélèvement "par précaution" a été opéré, tandis que le directeur des Logis Cévenols avait déjà levé le doute en rappelant que la résidence a été construite après "la règlementation amiante qui s'applique pour tous les logements construits avant 1997".
Si le maintien d'un dialogue régulier et courtois est apprécié, il ne pèse pas lourd aux yeux des locataires qui perdent patience. "On se demande si on ne va pas bloquer les loyers ou saisir la justice", échafaudait le porte-parole lors de notre venue sur site vendredi dernier. En plus du recours à la médiatisation de l'affaire dans la presse locale, une manifestation devant les locaux des Logis Cévenols pour faire entendre le mécontentement était également dans les tuyaux.