FAIT DU JOUR Latifa Ibn Ziaten aux lycéens d’Uzès : « Travaillez pour la paix »
Le 11 mars 2012, vers 16 heures, près d’un gymnase de la cité de l’Hers, à Toulouse, Imad Ibn Ziaten devenait la première victime du terroriste Mohammed Merah, qui en fera six autres, dont trois enfants au sein de l’école juive de la ville rose. Depuis, Latifa Ibn Ziaten, sa mère, sillonne la France pour porter un message de paix. Elle était au lycée polyvalent Charles-Gide d’Uzès ce mardi matin.
Une rencontre co-organisée par l’association Primavera et la radio associative Fuze, déroulée en deux temps, lundi soir au cinéma le Capitole, puis ce mardi matin directement du lycée, à la rencontre d’une classe de Seconde et d’une autre de Terminale spécialité Histoire-géographie. Le tout dans le cadre d’un travail pédagogique, alors que la menace terroriste est remontée d’un cran ces dernières semaines.
Souvent qualifiée de « mère courage », Latifa Ibn Ziaten « a su transformer la souffrance d’une mère en force pour la République », soulignera le proviseur du lycée Samir Ziane. Car, au-delà de la « colère » qu’elle dit avoir ressenti immédiatement après l’assassinat de son fils, tué parce que militaire « pour toucher l’État », dit-elle, Latifa Ibn Ziaten a cherché à comprendre. « Il fallait que j’aille sur place, Imad était plus qu’un fils, c’était un ami, un confident, il est parti à cause de la haine de ce jeune », rejoue-t-elle, devant des élèves émus.
« Il y en a beaucoup qui sont morts, et d’autres en prison »
Las, sur place, « je n’ai trouvé qu’une trace de sang », souffle cette mère de cinq enfants, dont un manque à l’appel. Alors elle se met en tête de chercher « qui l’a tué et pourquoi », et trouvera en Mohammed Merah « un jeune homme livré à lui-même », abandonné par son père, placé de foyer en foyer, tombé dans la délinquance puis dans le terrorisme islamiste, le changeant en « une machine à tuer », selon les termes de Latifa Ibn Ziaten. Alors elle se met en tête d’aller à la rencontre des jeunes pour les sensibiliser au « piège de la haine, il y en a beaucoup qui sont morts, et d’autres en prison. »
Convaincue qu’il faut « tendre la main », Latifa Ibn Ziaten a, par le biais de l’association qu’elle a monté, outre la sensibilisation, créé un centre au Maroc et bientôt un autre en France « pour travailler avec les parents sur l’éducation. » Un travail inlassable pour contrer un discours qui veut que Mohammed Merah serait un martyr. « Les martyrs c’est nos enfants, lui, c’était un assassin », tonne-t-elle, la colère à peine contenue, intacte même onze ans après.
Car si Latifa Ibn Ziaten a mis son histoire au service d’une juste cause, la douleur est toujours présente, et affleure au fil des questions posées par les lycéens. Le souvenir de ce retour précipité de Turquie, où elle se trouvait avec son mari à l’occasion d’un voyage offert justement par Imad, quand son « instinct de mère » lui a donné un sombre pressentiment alors que les faits se déroulaient, au commissaire de police qui, au lendemain du décès de son fils, soupçonne un règlement de compte sur fond de trafic de drogue et « humilie » la famille endeuillée.
« On ne peut pas dire que tout ça ne sert à rien »
Puis le travail avec Samuel Sandler, le père de Jonathan Sandler et le grand-père de Gabriel et Arié Sandler, trois des quatre victimes de Merah au sein de l’école juive d’Ozar Hatorah. Un homme dévasté : « Vous voyez à quel point la haine peut faire mal », ajoute-t-elle. Aussi le combat pour faire reconnaître que son fils est mort pour le service de la Nation. « Je n’ai pas baissé les bras, ce que j’ai fait pour mon fils, je l’ai fait pour les autres soldats, mon fils est mort car il était militaire, il est mort pour la France », martèle-t-elle. Depuis, les militaires et policiers tués en raison de leurs fonctions peuvent être reconnus morts pour le service de la Nation.
Les menaces aussi, liées à ses activités. « Oui, je suis beaucoup menacée, répond-elle à une élève. Mais je n’en ai pas peur. On n’est pas à l’abri, mais c’est le destin. » À la question d’une autre élève, qui en substance demandait si elle n’avait pas parfois l’impression que son combat était vain, Latifa Ibn Ziaten répondra qu’« on ne peut pas dire que tout ça ne sert à rien, il faut parler pour la paix. »
La paix, justement, à l’heure où les conflits armés ressurgissent, notamment en Israël et dans la bande de Gaza. « Que peut faire la jeunesse pour la paix, pour lutter contre la haine ? », demandera une élève. « C’est à vous de relayer un message de paix, de travailler pour la paix, répondra Latifa Ibn Ziaten. La paix, il faut travailler dur pour l’avoir, il faut aller vers les autres. La haine, c’est facile. » Elle conclura son intervention en conseillant aux élèves : « Respectez-vous, respectez les gens autour de vous, et surtout démarrez votre moteur, car c’est votre avenir. »
Les échanges continueront brièvement ensuite avec les élèves, Latifa Ibn Ziaten ayant un train pour Marseille, où elle devait donner une nouvelle intervention. Ils se prolongeront dans les classes, notamment avec la venue prochaine du président de Primavera, le journaliste Vincent Nouzille, auteur d’un documentaire sur les attentats du 13 novembre 2015. Avec le même but, résumé par Vincent Nouzille : « Comprendre ce qu’il s’est passé, pour ne pas que ça se reproduise. »
Les tueries de Toulouse et Montauban
Après le meurtre du sous-officier Imad Ibn Ziaten le 11 mars 2012, Mohammed Merah tuera deux autres militaires, Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad et le caporal Abel Chennouf, le 15 mars 2012 à Montauban. Un troisième militaire, le caporal Loïc Liber, est grièvement blessé ce jour-là. Puis le 19 mars, il se rend devant l’école juive Otzar Hatorah, à Toulouse, où il tire sur un groupe de personnes, tue un enseignant, Jonathan Sandler, et ses deux enfants, Gabriel, 5 ans, et Arié, 3 ans, puis pénètre dans la cour de l’école et tue Myriam Monsonego, 8 ans, à bout portant. Mohammed Merah sera tué le 22 mars 2012 lors d’un assaut du RAID sur son appartement à Toulouse.