L'INTERVIEW Stéphane Krasniewski, directeur des Suds à Arles : "Faire de la musique est un acte de résistance et de survie"
Pendant sept jours et six nuits, de 10h à 3h du matin, le festival Les Suds à Arles, accueille dans divers lieux de la ville, quelque 40 000 visiteurs. La 29e édition approche à grands pas, elle se déroulera du 8 au 14 juillet 2024. Stéphane Krasniewski, le directeur des Suds, nous en dit plus sur le programme très ecléctique.
ObjectifGard : L’événement Les Suds à Arles célèbre sa 29e édition. Quelle était l’ambition cette année ? Dans un contexte politique et géopolitique encore très animé ?
Stéphane Krasniewski : Il y a une ambition par rapport à ce qu'est un festival aujourd'hui en France. Il s'agit de continuer d'affirmer notre singularité. Comme l'an dernier, notre objectif est de se concentrer sur les musiques du monde, ce qui nous a permis de nous distinguer des autres festivals, de l'uniformisation grandissante que l'on constate. Je ne dis pas qu'il n'y aura plus de pas de côté comme nous avons pu le faire il y a trois ans avec la venue de Bernard Lavilliers, par exemple. Mais nous sommes dans une séquence où il est plus important que jamais d'affirmer l'originalité de la manifestation. Ensuite, si on élargit davantage la focale, il y a cette volonté de faire entendre la voix de ces peuples qui souffrent en ce moment. Je parle de l'Ukraine, de la Palestine, des Comores, Haïti, le Mali etc. Tous ces artistes qui viennent de ces pays qui sont au cœur de l'actualité pour des raisons tragiques, continuent de créer. Faire de la musique est un acte de résistance et de survie. Donc c'est important pour nous de faire entendre la beauté qui continue d'émerger de ces territoires, de la partager et à la fois de changer le regard que l'on peut porter sur ces territoires, de donner l'occasion d'en parler autrement. On va démarrer le lundi par une conférence avec Edwy Plenel (co-fondateur de Mediapart, Ndlr) accompagné de Johann Soufi, fonctionnaire d'institutions internationales, sur le thème De l’Ukraine à la Palestine, la bataille du droit, suivie d'un échange avec le public, l'occasion de rentrer en profondeur dans les sujets.
L’actualité a-t-elle eu un impact sur la programmation, dans le choix des artistes, l’accueil des artistes ?
Forcément... Haïti par exemple, on voit un État en train de s'effondrer, où les milices sont en train de prendre le pouvoir et on n'en parle pas. J'avais cette volonté d'accueillir un projet d'Haïti, ce qui n'est quand même pas simple alors que les communications sont complètement coupées. Et puis le hasard, si on peut dire, a fait qu'on me reparle d'un violoncelliste new yorkais que j'ai longtemps suivi mais qui avait disparu un peu de nos radars depuis plus de dix ans. Il se trouve que cet artiste travaille avec une chanteuse et chorégraphe haïtienne. Après, on est forcément impacté de façon indirecte par la situation au Sahel et la difficulté, si ce n'est l'impossibilité pour les artistes du Niger, du Burkina ou du Mali de voyager.
Avez-vous dû renoncer à certains choix ?
J'ai renoncé, pour d'autres raisons, à faire venir un artiste dont les prises de positions, pro milice Wagner, sont vraiment en opposition avec nos valeurs. Malgré son talent, ce n'était pas compatible avec notre festival. Mais de manière générale, cette année, nous avons eu moins de propositions de la part des artistes du Sahel du fait des difficultés à voyager. Nous avons malgré tout, Tiken Jah Fakoly avec un projet qu'il a construit au Mali, avec des artistes maliens.
Ce sera tout de même une grande fête...
Bien sûr, les artistes qui nous viennent d'Ukraine proposent un taraf, c'est quelque chose de joyeux, un orchestre de village. Donc il y a cette joie qui continue d'exister et que les artistes veulent encore partager. Et puis Barbara Pravi et Aälma Dili revisiteront le répertoire de Dalida, suivra Rodrigo Cuevas qui est un monstre de scène etc. Ça va être une vraie fête avec nos rituels, notamment chaque midi, nous offrons l'anisette aux spectateurs lesquels peuvent échanger avec les artistes du festival.
Un hommage à Dalida, un autre à Claude Nougaro décédé en 2004. Comment justifiez-vous là la notion de découverte ?
C'est l'idée d'un patrimoine français qu'on revisite. Barbara Pravi sera accompagnée des quatre musiciens tziganes d'Aälma Dili. C'est très festif, tout le monde connaît les paroles... Et Nougaro, c'est un projet en co-production avec Jazz à Vienne, Jazz in Marciac, Jazz sous les pommiers et la SACEM. Déjà ça me fait très plaisir d'avoir un orchestre de 20 musiciens sur scène, ça devient un peu rare. Un orchestre dirigé par Fred Pallem (Le Sacre du Tympan), avec six invités - Ray Lema, Jowee Omicil, Sian Pottok, Thomas de Pourquery, Marion Rampal et Sanseverino - qui se réapproprient le répertoire de Nougaro. Ce qui est intéressant, c'est que lui-même s'était beaucoup réapproprié les musiques du monde et notamment les musiques brésiliennes.
L'année prochaine aura lieu la 30e édition du festival des Suds. Quels sont les projets ?
L'objectif est d'en faire un événement sans se faire enfermer dans le passé. C'est un anniversaire qui va devoir nous projeter dans le futur.
De quelle manière ?
L'an prochain, il faudra sortir des bordures du cadre et investir de nouveaux espaces pour donner à écouter des propositions nouvelles. On y réfléchit déjà avec le service du patrimoine de la ville d'Arles, l'objectif est de découvrir de nouveaux lieux et d'en faire des sources d'inspiration pour les artistes. Et en ce qui concerne les artistes, il faudra trouver un équilibre entre les découvertes et les compagnons de route du festival.