Article réservé aux abonnés
Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 02.04.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 1958 fois

FAIT DU JOUR Ces retraités gardois qui retravaillent

Dominique Roblès, 69 ans ( photo) a repris du service au collège Condorcet. En plus des cours de latin, elle participe à un projet Erasmus avec les enseignants Mina Rezali, Aurélie Tempier et Daoud Challa.

- Sabrina Ranvier

Il y a un an, le 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel entérine la réforme des retraites. Elle va étendre progressivement l’âge de départ de 62 à 64 ans. Mais pas mal de Gardois travaillent déjà bien au-delà de cette limite. L’avocat Michel Coulomb, 89 ans, devrait atteindre en décembre les 70 ans de barre. À Saint-Ambroix, un dentiste exerce toujours à 82 ans. 

Paulette Barbusse aux côtés de Carole Delga, présidente de la Région, en 2019. • Corentin Corger

« Je crois que je détiens le record gardois »

Passion insatiable pour son métier, difficulté à trouver un remplaçant, pension de retraite efflanquée… Certains Gardois repoussent l’âge de départ en retraite, d’autres la prennent tout en continuant à exercer un emploi.

« Je crois que je détiens le record du Gard et peut être même plus ». Un vif éclat de rire ponctue cette déclaration. Paulette Barbusse, 87 ans, qui recevait avec gourmandise médias locaux et nationaux organise les « au revoir » dans son salon de coiffure le 30 mars. Elle clôture 73 ans de coups de ciseaux, de coups de peigne et de coups de cœur. Elle n’a pas encore décroché les multiples cartes postales qui décorent son magasin. Certaines sont signées par des fidèles, d’autres envoyées par des clients de passage. « Quand je vais les lire, ça me fera la larme à l’œil », avoue-t-elle. Elle coiffait les hommes, sa sœur s’occupait des dames. Toutes deux ont arrêté à cause des soucis de santé de la cadette. « J’aurais pu supporter mes clients encore 4 ou 5 ans », reconnaît Paulette. « Je me régale. Ce n’est pas un métier qui est pénible », abonde André Gérard. En janvier, ce coiffeur de Saint-Gilles a fêté ses 80 ans. Ce passionné de photographie ouvre toujours son salon de coiffure le matin. Il a commencé à travailler à 14 ans à Nîmes, a exercé 5 ans à Paris avant d’ouvrir, en 1967, son propre magasin à Saint-Gilles : « Si je ne fais plus rien, qu’est-ce que je vais devenir ? Il y a toujours du monde dans mon salon. On discute, on refait le monde. » Mais, il promet en éclatant de rire qu’il arrêtera « le jour où ses mains trembleront et où les oreilles tomberont ».

Avocat, médecin et dentiste octogénaires

Le record de longévité toutes professions confondues dans le Gard est détenu par Michel Coulomb. Son âge : 89 ans. Sa profession : avocat. Le tableau du barreau de Nîmes indique qu’il a prêté serment le 6 décembre 1954. Mais les habitués du palais de justice de Nîmes ne le croisent jamais. Il traite les dossiers mais ne plaide plus. Pourquoi continue-t-il ? Mystère. Il n’a pas souhaité échanger avec Objectif Gard le magazine. Le doyen des médecins généralistes exerce à la clinique de Quissac. Il a 87 ans. Le doyen des dentistes est un jeune homme de 82 ans qui officie à Saint-Ambroix. Il n’a toujours pas fait valoir ses droits à la retraite. À Nîmes, on trouve même un couple de dentistes de 75 ans qui soigne toujours en tandem. Tous cultivent leur discrétion. Selon l’ordre des chirurgiens-dentistes du Gard, 34 praticiens gardois de 67 ans ou plus n’ont pas fait valoir leurs droits à la retraite et dix autres, ayant cet âge-là, continuent en cumul emploi retraite. Du côté du conseil de l’ordre, on justifie ces prolongations par la passion du métier, la difficulté à vendre un cabinet mais on met essentiellement en avant la difficulté à « laisser la patientèle sans solution ».

Le docteur Philippe Gasser, 72 ans, médecin psychiatre à Uzès.  • © DR

Pénurie de remplaçants

« Je suis un cumulard », éclate de rire le docteur Philippe Gasser, psychiatre de 72 ans. Praticien hospitalier, il assurait des soins en Cévennes pour des structures dépendant de l’hôpital psychiatrique du mas Careiron. Il y a trois ans, au bout des limites légales, il prend sa retraite et s’installe en libéral à Uzès. « Impossible de trouver un associé qui pourrait me succéder. Je continue pour ne pas abandonner les patients, justifie ce membre de l’union syndicale de la psychiatrie. Depuis l’épidémie de covid, on a de plus en plus de demandes et de moins en moins d’offre de soins. La psychiatrie est en avant-dernier choix d’internat pour les jeunes médecins ». Dans sa patientèle, il reçoit notamment des gens qu’il suivait auparavant à Anduze. Il ne prend officiellement plus de nouveaux patients mais n’arrive pas à refuser un patient en détresse aiguillé par un collègue médecin. Il a quand même réduit la cadence. Il essaie de prendre de plus en plus de congés hors de sa zone. S’il s’éloigne, il aura une bonne raison de ne pas répondre aux urgences. « L’été dernier, pendant mes congés, j’ai croisé un patient en plein accès maniaque sur un parking à Uzès. Je voulais lui éviter l’hospitalisation et je l’ai emmené au cabinet », confie-t-il. Il compte continuer tant qu’il est en bonne santé : « Je travaille un jour sur deux, un rythme qui me convient. »

Métier passion

Philippe Ibars, 70 ans, continue, lui, à enseigner. Avait-il 63 ou 64 ans ? Celui qui a exercé une trentaine d’années au lycée de la CCI ne se souvient plus à quel âge il a pris sa retraite. « Je ne comptais pas », résume-t-il. Il assure aujourd’hui une vingtaine d’heures de cours par an dans le cadre du diplôme universitaire (DU) Laïcité. Mais il est loin d’être le doyen. Parmi les formateurs de ce diplôme monté par Unîmes et l’IFME, on trouve Michel Miaille, professeur émérite de droit de 83 ans. Philippe Ibars enseigne encore par plaisir : « Ton salaire c’est quand tes élèves sortent du cours et qu’ils te disent "oh déjà" ».

Jean-Pierre Rolley, professeur de géologie, a cumulé emploi et retraite pendant 15 ans. En 2007, après 30 ans et 30 jours passés à l'IMT mines Alès, il prend sa retraite. « Au début, ils avaient décidé qu’ils n’avaient plus besoin de moi et ils se sont finalement aperçus que oui », sourit-il. Ce spécialiste avait adapté le logiciel Émir, proposant des exercices de prospection minière conçu au départ par les Mines de Paris. Il était le seul à savoir réinitialiser le modèle. L’école le sollicite pour assurer des cours, encadrer des projets, des sorties de terrain. Un an après son départ, il assure entre 100 et 180 heures par an, cours et encadrement. Quasiment un temps plein. « À l’université, un professeur assure 128 heures de cours ou 192 heures TD/TP ou équivalent », précise-t-il. Celui qui a reçu la médaille d’honneur de l’industrie minérale suit ce rythme pendant 4 à 5 ans. La cadence décroît progressivement pour atteindre une dizaine d’heures annuelles les deux dernières années. Il arrête de donner des cours à 77 ans. Mais il siège toujours dans des commissions comme celle sur le patrimoine géologique, est membre de l’académie cévenole, s’occupe de ses petits-enfants. Et puis, celui qui va fêter ses 80 ans en mai intervient toujours au forum… jeune de la société de l’industrie minérale.

Martine Ruiz, Atsem dans une école maternelle, est fonctionnaire de catégorie C. • © Collection personnelle Martine Ruiz

Carrières hachées

Si certains prolongent par choix, par passion, d’autres le font aussi pour compenser la faiblesse de leurs pensions. Martine Ruiz compte travailler jusqu’en février 2025, date à laquelle elle atteindra 67 ans. Cette Atsem accompagne les enfants de grande section maternelle à Rousson. « Si j’étais partie à 64 ans, j’aurais touché 800 € de retraite, explique-t-elle d’une voix douce. À 67 ans, j’aurais 1 000 €. Je ne peux pas prolonger au-delà, 67 ans c’est la date butoir dans la fonction publique ». Cette Cévenole a eu une carrière hachée. Après des débuts comme assistante de direction, elle prend le temps d’élever ses jumeaux puis trouve un emploi d’AVS, accompagnatrice d’enfants en situation de handicap. Le salaire est faible. Elle occupe ce poste trois ans puis bascule sur quatre ans d’emploi consolidé pour devenir Atsem. Elle finit par être embauchée.

Il y a trois ans, elle fait ses calculs et se rend compte qu’il vaut mieux qu’elle prolonge jusqu’à 67 ans pour toucher une pension plus correcte. Mais les journées sont longues pour une Atsem qui travaille avec des petits de 7h à 17h30. Pour tenir, elle passe à 80 %. Son salaire est de 1 545 € par mois. Elle aime sa profession, le contact avec les enfants. « C’est un métier passion mais il faut le faire avec les enfants, les parents d’aujourd’hui. Je continue financièrement mais aussi parce que cela fait partie de ma vie », confie celle qui a perdu son époux il y a six ans. Serait-elle prête à prolonger après 67 ans ? Continuer à aider les enfants, pourquoi pas ? Mais pas comme Atsem : « Cela me donnerait un autre but et cela me permettrait de payer mes petits extras. »

Sabrina Ranvier

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio