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Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 13.02.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 1922 fois

FAIT DU JOUR Conseillers municipaux, adjoints, maires : la valse des démissions

Photo d'illustration. 171 adjoints ont démissionné entre 2020 et 2023. Ils étaient 214 à l'avoir fait sur les six années du précédent mandat. Du côté des maires, le mandat 2014-2020 a enregistré 30 démissions. On en est pour l'instant à 18 sur la période 2020-2023. Deux de plus sont prévues début 2024. 

- Yannick Pons

Aux urnes citoyens ! Plus du tiers du conseil municipal de Saint-Florent-sur-Auzonnet a démissionné. Les électeurs font donc un retour à la case vote les dimanches 18 et 25 février. Alzon, Colognac et Belvezet ont déjà organisé des élections municipales partielles fin janvier. Les électeurs du Garn et de Saint-Étienne-des-Sorts sont convoqués les 3 et 10 mars. Depuis les élections municipales de 2020, organisées en pleine pandémie, 951 conseillers municipaux, 171 adjoints et 18 maires gardois ont lâché leur mandat. Que se passe-t-il ? Patricia Garnero, maire de Saint-Étienne-des-Sorts, était épuisée d’une cohabitation difficile. Firmin Peyric, maire d’Aujac, avait du mal à concilier son mandat et sa vie professionnelle. Patrick Malavieille, maire historique de La Grand'Combe, avait prévenu qu’il céderait sa place à mi-mandat. « Chaque situation est une situation particulière en fonction de la vie du village, de l’équipe municipale, observe-t-il. Mais de manière générale, c’est quand même une mission de plus en plus difficile ».

Ces villages qui ont le mal de maire

Cohabitation chaotique, difficulté à cumuler vie professionnelle et mandat… 18 maires gardois ont rendu leur écharpe depuis 2020.

Trois élections municipales en quatre ans. À Saint-Étienne-des-Sorts, bourgade du Gard rhodanien, on se rend souvent derrière l’isoloir. Il y a eu une élection municipale partielle en 2022, une autre est prévue les 3 et 10 mars prochain. Plusieurs élus, dont la maire, ont démissionné.

« Je suis vaccinée pour la politique ». La réponse fuse sans la moindre hésitation. Patricia Garnero a renoncé en novembre à son mandat de maire de ce village gardois. C’était il y a un peu plus de deux mois. Mais quand elle en reparle, l’émotion voile encore sa voix. Élue conseillère municipale en 2008, elle devient première adjointe en 2014. Six ans plus tard, Didier Bonneaud, le maire du village, part monter une liste sur la commune voisine de Pont-Saint-Esprit. La liste de Patricia Garnero remporte quant à elle le scrutin à Saint-Étienne-des-Sorts. « Mon mandat s’est très bien passé jusqu’à ce que je perde mon premier adjoint du Covid », analyse-t-elle. En juin 2022, suite au départ de conseillers municipaux, de nouvelles élections sont organisées. Surprise : un visage réapparaît. L’ancien maire abandonne son poste dans l’opposition à Pont-Saint-Esprit pour monter une liste dans le village. Dans cette commune de 580 habitants, s’applique la règle du panachage. On a le droit de rayer les noms sur les listes. « Cela aboutit à des situations de conflit, pointe l’ancienne maire. Beaucoup de l’opposition m’ont mis des bâtons dans les roues ». À l’issue du scrutin, Patricia Garnero et son équipe se retrouvent en minorité à 7 contre 8. L’ancien maire est élu premier adjoint. La cohabitation est difficile.

Saint-Jean-de-Valériscle, les Plantiers, Lamelouze, Saint-Jean-du-Gard… 18 démissions de maires ont été officiellement validées par la préfecture du Gard depuis le début du mandat. Deux autres lettres de démission sont en cours d’instruction par la préfecture.

Difficultés à concilier vie personnelle et professionnelle

Aujac, perchée au-dessus de Bessèges, abrite 186 habitants. Firmin Peyric, 28 ans, est élu maire en juin 2020. Deux ans et cinq mois plus tard, cet infirmier urgentiste démissionne pour devenir simple conseiller municipal. Est-ce dû à une cohabitation ardue ? Il admet que dans le conseil, composé de six membres de sa liste et de cinq de l’autre, « on arrive très vite à des tensions ». Mais il considère que malgré les divergences, ils sont arrivés à mener à bien des projets. Non, lui, ce qui l’a poussé à partir, c’est la difficulté à concilier mandat chronophage et vie professionnelle. Lorsqu’il est élu, ce natif d’Aujac est infirmier aux urgences de l’hôpital d’Alès. Les journées de garde durent 12 h mais elles sont entrecoupées de jours de repos, de quoi permettre de jongler avec un mandat. En novembre 2022, on lui propose d’occuper un poste de cadre de santé. Il faut être présent à l’hôpital, à une bonne heure de route d’Aujac, cinq jours par semaine. « C’est bien beau d’occuper le poste de maire, mais on ne peut pas le faire sans être sur le terrain, assure-t-il. Quand on est maire, on peut être appelé à n’importe quelle heure, jour et nuit, parfois pour un incendie, parfois pour pas grand-chose ». Dans les communes voisines d’Aujac, la plupart des maires sont à la retraite comme 40 % des maires français. « La rémunération n’est pas en adéquation avec les responsabilités, dénonce Firmin Peyric. Je touchais 800 € par mois d’indemnité de maire auxquels se rajoutent environ 450 € de l’agglo ». Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), sénat… Les dernières études menées autour de la crise de vocation des élus locaux, demandent de revaloriser des indemnités de fonction et d’adapter les conditions d’exercice aux élus ayant une vie professionnelle.

Julien Heddebaut, ex-maire de Boisset-et-Gaujac, vit aux Antilles. Il est resté conseiller municipal et vote par procuration. • © Julien Heddebaut

Cap sur les Antilles

Julien Heddebaut a 40 ans. En avril dernier, ce fonctionnaire territorial a dû faire un choix : poursuivre son mandat de maire de Boisset-et-Gaujac ou accepter une opportunité professionnelle en Martinique. « Cela faisait plus de dix ans que l’on voulait le faire, mais les opportunités ne venaient pas », reconnaît-il. L’opportunité arrive en 2023. Ce fonctionnaire territorial pèse le pour et le contre. Le mandat de maire est « super enrichissant », il n’a « aucun problème avec la population » et même les dossiers administratifs touffus n’effraient pas ce « pur produit de la fonction publique ». Mais s’installer aux Antilles est un projet de vie de famille. Et justement, quand on est maire, difficile de profiter de sa famille. Le matin, Julien Heddebaut est au travail au centre de la fonction publique, l’après-midi, il fonce à la mairie. Deux ou trois soirs par semaine, il se rend à l’agglo et le week-end, il participe aux manifestations communales. La proposition aux Antilles ne peut être différée. Julien Heddeaut a choisi. Il est aujourd’hui agent commercial à 7 000 km de Boisset-et-Gaujac, dans un endroit où la température tourne autour de 28 degrés en janvier. « Mon seul regret est de ne pas avoir terminé mon mandat », confie-t-il. Resté conseiller municipal, il vote par procuration. Avec son successeur, Philippe Allié, ils s’appellent régulièrement pour faire le point sur les dossiers dont il s’était chargé comme le PLU ou les risques majeurs.

Élu conseiller municipal pour la première fois à l’âge de 20 ans, Patrick Malavieille avait « envie de ce renouvellement démocratique ». Ce n’est pas une forme de lassitude, mais une envie, à 62 ans, de « tenter une expérience de vie qui ne passe pas par le mandat de maire ». • Sabrina Ranvier

Une mission de plus en plus difficile

Patrick Malavieille n’a pas migré sous d’autres latitudes. Le samedi matin, il se rend toujours sur le marché de La Grand'Combe. Mais quand des habitants le sollicitent, il renvoie beaucoup vers Laurence Baldit. En janvier 2023, il a laissé sa place à son adjointe aux Finances. Pas de regrets, pas de drame. C’était prévu. Maire depuis 1995, il ne voulait pas se représenter en 2020. Il finit par se laisser convaincre, à une condition : laisser sa place à mi-mandat. « Cela a permis à mon adjointe aux Finances de se faire la main pendant trois ans. C’est bien d’avoir cette période de tuilage ». Pourquoi avoir passé le relais ? « J’ai eu des fonctions à l’Assemblée nationale, à la Région. J’ai présidé une communauté de communes. Je suis au Département, énumère-t-il. J’ai considéré qu’il fallait passer la main. J’avais la chance d’avoir une personne qui avait les compétences et qui avait l’envie ».

Lui qui a été élu conseiller municipal à 20 ans, que pense-t-il de la vague de démissions ? « Chaque situation est une situation particulière en fonction de la vie du village, de l’équipe municipale. Mais de manière générale, c’est quand même une mission de plus en plus difficile », observe cet élu communiste. Il pointe des « financements rares », « des dispositifs de subventions de plus en plus complexes ». Il lui a fallu presque dix ans pour faire la maison médicale de La Grand'Combe. « Le temps des dossiers est plus long que le temps des chantiers, argumente-t-il. On nous avait même annoncé un choc de simplification mais on n’a pas été beaucoup choqué ». Le climat n’est plus le même : « Les citoyens veulent tout et son contraire et parfois cela fait lourd dans la besace. » Il observe une montée des tensions, une hausse des conflits de voisinage. Il avoue avoir récolté quelques « fâcheries », mais n’a jamais perdu pied. Par contre, fin 2020, il a porté plainte suite à des attaques homophobes sur les réseaux sociaux. « Cela fait mal. Ce sont des attaques qui peuvent tuer. C’est difficile à vivre sur le plan personnel mais cela a provoqué l’effet inverse. J’ai reçu des preuves de soutien extraordinaires ».

Une crise de vocations ?

« Ce sont de très beaux mandats. On arrive à faire des choses comme des chaufferies à bois, des maisons de santé… Je me régale », martèle Sylvain André. Ce fonctionnaire territorial, élu maire de Cendras en 2017, préside l’association des maires ruraux du Gard. Même s’il est enthousiaste, il reconnaît qu’il y a « plein de maires qui ne savent pas s’ils continuent pour 2026 ». Comment expliquer le manque d’entrain ? « Je trouve que les gens sont de plus en plus virulents envers les élus, constate Sylvain André. Ce matin, quelqu’un nous a appelés en mairie pour hurler que les feuilles n’avaient pas été ramassées dans sa rue. On a beau expliquer que l’on a une petite équipe technique, certains ne comprennent pas ». Selon lui, l’individualisme gagne du terrain et les gens ont de plus en plus de mal à comprendre les décisions prises dans l’intérêt général comme l’interdiction de construire en zone inondable. Les maires sont parfois même les bouc-émissaires des décisions nationales : « J’ai reçu des messages de Cendrasiens sur les réseaux sociaux concernant la réforme des retraites. On se faisait engueuler alors que j'étais de toutes les manifestations contre cette réforme ! Les maires sont le baromètre de la République ».

Sabrina Ranvier

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