FAIT DU JOUR Pourquoi les ados sont accros à la muscu ? (partie 1)
De plus en plus d’ados soulèvent de la fonte, font des pompes, des tractions ou autres squats. Quelles sont les précautions à prendre ? Médecins et psychologue répondent à Objectif Gard, le magazine.
Le Nîmois Thomas pratique trois séances de musculation par semaine pour travailler la « beauté de la silhouette ». Enzo*, Alésien de 17 ans, a pris 12 kg de muscle en un an. Il va à la salle tous les jours, réclame des œufs, du poulet et dit à sa mère qu’elle devrait se mettre elle aussi à la musculation. Les après-midis ou les soirées à trainer avec les potes au café ? C’est démodé, has-been, carrément vintage. Les inscriptions des moins de 18 ans dans les salles de sport, en club d’haltérophilie grimpent. Entre midi et deux, les lycéens gardois se ruent sur les activités musculation proposées par les associations sportives de leur établissement. Certains enchaînent avec une seconde séance en salle en soirée. Faut-il se réjouir ou s’inquiéter ?
« J’essaie de faire au minimum trois séances de musculation par semaine »
Popularisées pendant le Covid, les vidéos de musculation pullulent sur les réseaux sociaux. Les salles de sport affûtent leurs tarifs et les ados s’adonnent à la muscu sans compter.
En un an, Thomas a pris 2 ou 3 kilos. Pas du gras, du muscle. Ce lycéen a commencé la musculation en classe de première. « J’essaie de faire au minimum trois séances d’1h, 1h30 en plus d’autres activités physiques comme le badminton », confie-t-il. Ce Nîmois ne va pas en club. Il utilise l’équipement de son père. C’est d’ailleurs lui qui lui a montré les mouvements. Le fils s’est lancé « pour améliorer son physique musculaire ». Il voulait « prendre de la masse musculaire » mais son objectif principal était "la beauté" de la silhouette. Est-ce que les filles préfèrent des garçons avec un physique plus musclé, plus sculpté ? « Bien sûr, admet-il. Après cela peut varier c’est sûr, mais généralement, elles les préfèrent ainsi ».
Enzo* a 16 ans. Cet Alésien a grossi de 12 kg en un an. « Il est méconnaissable physiquement », constate Anne, sa maman. Le listing des courses familiales a pris des allures de "liste de torture" où apparaissent des mots comme "ceinture de lestage". Enzo a toujours pratiqué le sport. Mais c’était classique, du judo, en club.
En mars 2020, lors du premier confinement, il commence à faire des exercices de musculation à la maison. Il regarde des vidéos sur le réseau social TikTok. Puis il s’équipe d’haltères, achète une corde à sauter. Une barre de traction est fixée à la maison. « Au début, il n’arrivait pas à en faire une et au bout de 6 à 8 mois, il est parvenu à en faire 35 d’affilée », se souvient sa mère.
« Ayatollah de la musculation »
Depuis un an, il s’exerce en salle de sport. Il y va deux heures par jour, sept jours sur sept. Il n’aime pas trop y aller avec des copains. « C’est l'ayatollah de la musculation. Il dit qu’il préfère être seul pour être dans son programme. Il a le culte du beau geste », observe sa mère. À la maison, il réclame des œufs au petit déjeuner, des flocons d’avoine. Il s’achète du poulet sous vide. « C’est manger pour arriver à un résultat, pas par plaisir, déplore sa mère. Je lui ai interdit les sachets de protéine ». Il a dit à sa mère qu’il mâche du chewing-gum pour faire travailler les muscles de son visage, pour qu’ils "se voient". « C’est une quête sans fin, soupire-t-elle. Quand je veux mettre une limite, il me dit « tu es contre une vie saine et que je devrais m’y mettre… » Même la fille "assez timide" d’une des amies s’est inscrite en salle. Son objectif : devenir « une meilleure version d’elle-même » ! Une expression assénée sur le web par de multiples influenceurs ou coachs en développement. « Il y a un vrai phénomène autour de la musculation », assure Anne.
Jörg Müller, chargé de recherche et auteur du baromètre national des pratiques sportives en 2022 du Crédoc** a expliqué à L’Obs qu’en 2022, 25 % des garçons entre 15 et 24 ans, pratiquent la musculation et 28 % des filles. En 2018, cela concernait 23 % des jeunes hommes et 14 % des jeunes femmes.
Haltères et vidéos
Gérard Wilczewski a commencé la musculation avant 15 ans. Il avait 13 ans quand il a rejoint l’haltérophilie club grand-combien. Il en a aujourd’hui 73 et se rend toujours à la salle voisine de la mairie de ce village cévenol. « En période scolaire, il y a plus d’une vingtaine de jeunes qui viennent tous les jours. Il y a des filles, des garçons, constate celui qui préside le club. Cela monte depuis quelques années. » Lui attribue cette hausse à la diminution de l’offre sportive locale. Son club est affilié à la fédération française d’haltérophilie. Pour s’y inscrire, il faut présenter un certificat médical. « Il y a toujours quelqu’un qui surveille les jeunes pour corriger les postures », précise celui qui arbitre des compétitions officielles. Sur les murs de la salle sont placardées les photos, les affiches d’Aimé Terme, natif de La Grand'Combe, et médaillé d’or aux championnats du monde d’haltérophilie en 1969 et 1970. Gérard Wilczewski trouve que les gamins qui fréquentent sa salle sont "vraiment gentils" mais il rêve de bannir leur portable. « Quand ils s'entraînent, ils se prennent en photo… », peste-t-il.
Sur les réseaux sociaux comme Instagram, de nombreux adolescents partagent les photos de leurs "plaquettes de chocolat". Ils consacrent des stories vidéos à leurs entraînements et rêvent devant le physique bodybuildé d’acteurs comme The Rock, Zac Efron ou encore Chris Hemsworth. Ils suivent des influenceurs fous de musculation comme Thibo InShape. Ce trentenaire dont le petit visage semble perdu au milieu de solides épaules de déménageur compte 13 millions d’abonnés. Avec sa compagne Juju Fitcats, il conseille des exercices, possède sa propre sa propre salle et commercialise des produits dédiés à la musculation.
« Il n’est pas en mode bling bling, il diffuse des valeurs de sport. Ses exercices sont sérieux », considère Nicolas Mousques. Cet ancien sportif de haut niveau gère des salles de sport depuis 2009. Planet fitness, Run up, Easy fit, il a actuellement 8 salles de sport à Nîmes. Il n’a pas dressé de statistiques précises mais lui aussi constate que de plus en plus de jeunes fréquentent ses salles. Cela grimpe depuis 3 ou 4 ans. « C’est excellent, avant tout j’œuvre pour la santé des gens », lance-t-il en sortant de sa séance de sport. Il explique que ses clients les plus jeunes ont 16 ans tandis que son plus âgé affiche 91 printemps : Assidu, il vient quasiment tous les jours.
Les jeunes sont acceptés en salle de sport à partir de 16 ans avec une autorisation parentale. Certaines salles nîmoises acceptent qu’ils viennent pratiquer dès 14 ans à condition de faire la séance en compagnie de… leurs parents.
Changement de société
Comment expliquer cet essor de la musculation chez les ados ? Faut-il le mettre uniquement sur le compte d’un culte de l’image et du corps exacerbé par les réseaux sociaux ? Nicolas Mousques est plus nuancé : « Le secteur de la remise en forme a évolué depuis 5-6 ans. Des acteurs internationaux comme Basic fit ont démocratisé la pratique. » Basic Fit propose des abonnements qui varient entre 19,99 € et 29,99 € par mois pour un an. Dans ses salles, Nicolas Mousques propose un abonnement de 29,99 € mensuels sans engagement. Mais la baisse des prix n’explique pas tout selon lui. « C’est la génération des millennials. Il y a une vague bien être, manger bien. Les valeurs ont changé. Les gens ne vivent plus que pour le boulot », complète-t-il. La place dévolue au loisir a grandi. Les salles de sport de Nicolas Mousques sont ouvertes tous les jours de l’année. « Elles fonctionnent de 5h à 23h et dès 5h il y a du monde », constate-t-il.
Élodie Trebuchon, de CrossFit Nîmes, raconte que certaines familles offrent même des abonnements en cadeau à leur adolescent : « On a un jeune qui était inscrit au cours réservé aux adolescents. Il a 16 ans, c’est-à-dire l’âge où il peut basculer en cours adultes. Comme il avait de bonnes notes à l’école, sa maman lui a offert un abonnement chez les adultes. » Le CrossFit est un mélange d’haltérophilie, de gym, d’exercices cardio… On ne le pratique pas seul mais sous forme de cours collectifs d’une heure. « C’est toujours encadré par deux coachs », ajoute Élodie Trebuchon. La formule enfant-adolescent est à 44 € par mois. Celle des adultes, qui englobe un accès illimité aux cours, est facturée 84 € par mois. Le jeune homme qui s’est vu offrir un abonnement avait commencé le crossfit en 2019 et avait fait une pause d'un an et demi. Il était revenu de cette période covid en grand surpoids.