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Publié il y a 2 mois - Mise à jour le 03.09.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 401 fois

FAIT DU JOUR Profs au bout du monde

Après 4 ans en Guyane, Jacob Hancquart et Marion Poudras ont demandé leur mutation pour que leur petite Zoé fasse sa rentrée en métropole. Refusés dans l'académie de Bordeaux, ils ont été acceptés dans celle de Montpellier.

- © Collection privée Jacob Hancquart et Marion Pouedras

Qui a dit qu’enseignant était un métier « plan-plan » où on passe sa carrière derrière le même tableau, dans la même salle de classe ? Après 10 années au Vigan, Éric Poujade a rejoint le lycée français de Kinshasa. Dans cet établissement qui scolarise l’élite congolaise et des expatriés, les élèves sont accompagnés à l’école par un chauffeur et parfois même par une escorte. Alexandra Solacroup et Cédric Georges, qui vivaient à Sernhac, enseignent non loin de Teahupo'o, spot pour les épreuves de surf des JO. Guillaume Lauréat, enseignant-formateur, exerce avec son épouse Alice à Madagascar. Marion Pouedras et Jacob Hancquart ont placé leurs meubles dans des containers. Eux quittent la Guyane pour une pause gardoise. Objectif Gard a sauté d’un fuseau horaire à l’autre pour suivre leurs traces.

« Les élèves parlent le taki taki, la langue du fleuve »

Marion Pouedras rejoint à la rentrée le plus grand collège du Gard, à Vauvert. Elle enseignait l’an dernier à la frontière de la Guyane et du Surinam, dans un lycée construit en maisonnettes en bois.

L’imprimante, les affaires personnelles, des meubles… tout a été emballé dans des cartons le 13 juin. Direction le porte-container. Il y a de longues procédures administratives au départ, à l’arrivée, et trois semaines de voyage en mer. « On espère que tout sera arrivé à Marseille fin août », souhaitent Marion Pouedras et Jacob Hancquart. Début septembre, ils entament une nouvelle vie. Après quatre ans à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, ces trentenaires s’installent dans le Gard. Marion enseignera l’anglais au collège de Vauvert. Jacob sera affecté dans une école gardoise.

Jacob, 34 ans, a passé son bac en Guyane, lorsque ses parents fonctionnaires travaillaient dans ce département d’outre-mer. Après des études d’anglais à Toulouse, il retourne passer le concours de recrutement de professeur des écoles à Cayenne. Son dossier administratif se perd. Cet imbroglio le contraint à repasser l’examen dans l’académie de Paris. Il le réussit et exerce dans le très paupérisé XVIIIe arrondissement de Paris. Sa compagne Marion enseigne dans un collège REP+ de Sarcelles. Tous deux partent en vacances en Guyane. L’année suivante, ils demandent leur mutation. Une pure formalité.

Académie très peu attractive

« C’est une académie très déficitaire en termes d’enseignants », reconnaît Jacob. Ils sont mutés à Saint-Laurent-du-Maroni, dans l’Ouest de la Guyane, où vivent Alice, la sœur de Jacob et son mari Guillaume, eux aussi enseignants.

Jacob se souvient qu’à leur arrivée, on leur a tout de suite demandé s’ils étaient professeurs ou sage-femme. « Il y en a beaucoup qui viennent de métropole. La démographie est très forte, pointe Marion. Dans mon lycée Il y avait deux élèves enceintes par classe en moyenne. Parfois, il y avait des élèves de terminale qui avaient déjà des enfants ». Sophie-Lumina, son lycée, « provisoire », est construit avec des cabanes en bois. « Il ressemblait un peu à l’architecture du club Med », décrit cette Bretonne. Il n’y a pas Internet, pas d’ordinateur pourtant les programmes sont les mêmes qu’en métropole. Marion bricole, télécharge des vidéos chez elle, emmène son matériel. Jacob apprend à lire et à écrire à des primo-arrivants dans une classe de CP. Une autre enseignante est présente en permanence dans la salle. En métropole, les classes de CP en éducation prioritaire sont dédoublées pour qu’elles accueillent 12 élèves maximum. Les locaux de l’école de Jacob ne le permettent pas. Alors, pour que la mesure soit appliquée, deux professeurs sont affectés sur une seule classe de 24 élèves.

Les salles de classe du lycée polyvalent Sophie-Lumina de Saint-Laurent-du-Maroni sont installées dans ces bâtisses en bois. • © Collection privée Jacob Hancquart et Marion Pouedras

Une clef 4G pour tout le village

Jacob et Marion arrivent à Saint-Laurent-du-Maroni en septembre 2019. En mars, Covid oblige, les enseignants basculent en télétravail. « J’avais une classe de terminale qui s’était cotisée pour acheter une clef 4G. Elle était dans un petit cabanon au centre du village », se souvient Marion. Les parents des élèves de Jacob sont équipés des smartphones. Ce grand brun fait des petites vidéos sur WhatsApp et laisse des photocopies à l’école. Peu de parents viennent les récupérer. Le Covid creuse des gouffres de niveau.

Saint-Laurent-du Maroni se situe à 3h de route de l’aéroport, non loin de la frontière avec le Surinam, ex-colonie hollandaise où la langue officielle est le néerlandais. La majorité des élèves n'a pas le français comme langue maternelle. « J’ai beaucoup appris avec eux, admet Marion. Ce sont des élèves qui maîtrisent plusieurs langues. Ils étaient très à l’aise à l’oral en anglais ». Dans les copies, à l’écrit, elle découvre de drôles de mots : « want », « vouloir » en anglais devient « wani ». « Ils parlent le taki taki, la langue du fleuve, mélange d'anglais, de créole et de néerlandais », précise celle qui s’est formée à ces idiomes du fleuve.

Au lycée, la journée commence à 7h30, ce qui oblige certains élèves vivant dans des villages loin sur les rives du Maroni à partir à 5h du matin. Les cours durent jusqu’à 17h30 mais il n’y a pas de cantine dans le lycée de Marion. Les élèves doivent se rendre dans un autre établissement pour déjeuner. Seulement, il n’y a pas suffisamment de places pour les accueillir. « Beaucoup ne mangeaient pas, observe Marion. Le lycée a mis en place un système de collation ». Après quatre ans en Guyane, Marion et Jacob demandent leur mutation pour que leur petite Zoé, fasse sa rentrée en maternelle en métropole. Ils sont acceptés dans celle de Montpellier, un terrain connu puisque les parents de Jacob vivent à Nîmes.

Alice Lauréat est affectée à la rentrée dans l’école française où sont scolarisés ses deux fils aînés à Madagascar. Les contrats de l’AEFE sont d’une durée de trois ans, renouvelable une fois pour deux ans. Quand ils auront terminé, Alice et son mari Guillaume seront rattachés à leur académie d’origine, la Guyane. • © Sabrina Ranvier

« Guillaume partait deux jours en pirogue pour se rendre dans des écoles amérindiennes »

Depuis l’an dernier, Alice et Guillaume Lauréat sont des « vazahas », des Français installés à Madagascar. Ils enseignent dans une école française suréquipée en numérique, le grand écart par rapport à ce qu’ils ont connu en Guyane.

« Je ne sais pas si on reviendra s’installer en France… », avoue Alice Lauréat. En ce 24 juin, cette jeune femme aux yeux bleu-vert lumineux se pose à la terrasse du café des beaux-arts à Nîmes. Cette trentenaire est encore un peu fatiguée des 11 heures de vol depuis Madagascar. Enseignante remplaçante, elle est arrivée la veille avec Nelson, son plus jeune fils, âgé de 2 ans et demi. Le reste de la famille, Guillaume son mari, Vasco et Isaac, 9 ans et 6 ans, leurs deux autres garçons, suivront début juillet.

Guillaume a débuté comme professeur des écoles en région parisienne avant de demander une mutation en Guyane. Alice, journaliste, le suit. Les piges et les contrats en journalisme se raréfient peu à peu. Par contre, à Saint-Laurent-du-Maroni, les besoins dans les écoles sont pléthoriques. En 2018, Alice, postule comme contractuelle. On lui confie une classe de CP. Six ans après, elle ressent encore le vertige éprouvé lorsqu’elle est entrée dans la classe et que les petits ont lancé « bonjour maîtresse » sans savoir qu’elle n’avait jamais enseigné.

Son mari, des amis enseignants, l’aident à préparer ses cours. Elle y prend goût. Au printemps 2021, elle réussit le concours de recrutement de l’Éducation nationale, enceinte de son troisième enfant. Guillaume devient formateur.

Inspecteur en pirogue

Mais le couple a les jambes qui picotent. Ils postulent une première fois pour des postes à l’étranger sur le réseau des écoles françaises AEFE. Sans succès. En 2022-2023, Guillaume fait fonction d’inspecteur du premier degré dans le secteur du Maroni. Il se rend dans des écoles de villages amérindiens le long du fleuve. « Il partait deux jours en pirogue avec des cartons d’évaluations de l’Éducation nationale, il dormait dans les bibliothèques », se souvient Alice. Il adore l’expérience mais le rythme est dense pour la famille. En mars 2023, Guillaume reçoit une proposition de l’AEFE pour un poste de formateur à Madagascar. Il a 24 h pour répondre. Cela fait huit ans que la famille vit en Guyane, ils acceptent. L’AEFE prend en charge le transport de dix valises. Le reste est mis dans un container le 29 juin 2023. Il part vers le Havre et atteint Madagascar… le 20 mars 2024.

Remplacements

Alice effectue des remplacements dans une des quatre écoles françaises de Tananarive. « À Madagascar, il n’y a pas vraiment de classes moyennes », observe-t-elle. On peut aussi bien croiser « des enfants non scolarisés qui font la manche » que « d’énormes voitures avec chauffeur ». Les plus pauvres rejoignent les écoles publiques et leurs classes de 50 élèves. Ceux qui sont un peu plus aisés s’inscrivent dans les écoles « d’expression française » qui sont payantes ou dans les écoles privées. Alice aura un contrat de trois ans dans l’école de l’AEFE où sont scolarisés ses aînés. « Les écoles françaises sont fréquentées par la très haute société malgache et par des Français expatriés », résume-t-elle. Les parents qui envoient chauffeurs ou nounous à la sortie des classes, ont de grandes ambitions pour leurs enfants. Et ils peuvent être très exigeants envers les enseignants. Côté matériel informatique, numérique, l’école est « suréquipée ». L’année y est facturée 2 500 euros. Mais le record est détenu par l’école américaine de Madagascar et ses 20 000 dollars annuels.

Sabrina Ranvier

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