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Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 13.02.2024 - Sabrina Ranvier - 4 min  - vu 275 fois

LE DOSSIER Conseillers municipaux, adjoints, maires : paroles d’experts

Emmanuel Négrier est directeur de recherche CNRS en science politique, au CEPEL, université de Montpellier. 

- © Richard Sprang

Trois questions à Emmanuel Négrier, politologue, directeur du Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) à l'université de Montpellier. 

Objectif Gard : Les démissions de conseillers municipaux s’accélèrent par rapport au précédent mandat. Il y en a déjà eu 951 depuis 2020. Les élections municipales partielles s’enchaînent dans le Gard. Il y en a eu 30 entre 2020 et 2023. Six sont prévues en ce début 2024. Pourquoi les conseillers municipaux et les adjoints fuient-ils ?

Emmanuel Négrier : Trois facteurs traditionnels d’assurance des élus locaux sont aujourd’hui fragilisés : être maître du destin des affaires communales, être élu en raison d’un collectif et parfois d’un parti politique, être entouré du respect des concitoyens car ils sont le chouchou démocratique des Français.

Les conseillers municipaux n’ont plus beaucoup de pouvoir car de nombreuses compétences ont été transférées aux agglomérations ou aux communautés de communes ?

Ils sont sous la gouvernance des intercommunalités. Les élus peuvent se retrouver sous la domination d’un maire qui souvent entend gérer seul. La personnalisation du pouvoir s’amplifie. L’esprit collectif se dissout un peu. Les élus municipaux sont moins inscrits dans des contraintes collectives. La fidélité à un parti politique aurait pu les retenir de démissionner par exemple.

Firmin Peyric, maire d’Aujac pendant deux ans et 5 mois ne regrette pas du tout cette expérience, « très formatrice » où « on fait de belles rencontres ».  • © DR

Le maire démissionnaire d’Aujac, Firmin Peyric, estime que pour rendre le mandat de maire attractif, il faut qu’il y ait plus de considération pour les élus locaux. Qu’en pensez-vous ?

La question de la reconnaissance dont bénéficient traditionnellement les élus locaux devient problématique. Même si les fonctions électives locales sont prenantes, douloureuses, même si les maires doivent gérer des contradictions permanentes entre les intérêts des chasseurs et des randonneurs, entre la Gauche et la Droite… La reconnaissance ne suit plus. L’élection de 2020 a en plus été un facteur aggravant : elle a eu lieu en plein Covid et le taux de participation a été faible. La légitimité à la base est faible. Beaucoup de villages accueillent de nouveaux habitants, des néo-ruraux qui ont des revendications plus urbaines, que les anciens n’avaient pas. Cela ajoute des difficultés supplémentaires et un potentiel de conflit.

Philippe Ribot, est maire de Saint-Privat-des-Vieux depuis 2008. Il est également conseiller départemental depuis 2015.  • © Objectif Gard

Entretien avec Philippe Ribot, président de l’association des maires du Gard

« Le mandat a commencé en période de Covid, c’est difficile pour souder les équipes »

Objectif Gard le magazine : 951 conseillers municipaux, 171 adjoints et 18 maires ont démissionné depuis le début du mandat. Comment expliquez-vous ces chiffres ?

Emmanuel Négrier : Les causes sont multifactorielles. Les conseils municipaux sont à l’image de la société. Il y a de plus en plus d’agressivité. Je suis élu municipal depuis 1995 et maire depuis 2008. Je constate que les gens pratiquent moins le dialogue, moins le compromis qu’avant. Sur ce mandat, il ne faut pas oublier que l’on a dû faire face au Covid. Les débuts d’un mandat sont un moment important pour travailler la cohésion d’équipe, pour apprendre à se connaître. Mais là, on s’est retrouvé à faire des conseils municipaux dans des salles immenses où on était tous à deux mètres les uns des autres. C’est difficile pour souder les équipes.

Vous êtes maire depuis 16 ans. Est-ce que c’est plus difficile de diriger une commune aujourd’hui qu’en 2008 ?

C’est de plus en plus compliqué. Pour mon premier mandat, j’ai continué à travailler à mi-temps à la Caisse d'Épargne.Ce serait plus compliqué aujourd’hui car c’est un mandat plus exigeant. Les gens sont plus exigeants, les intercommunalités sont plus grandes. Celle d’Alès réunit aujourd’hui 72 communes. Il y a plus de réunions, de rencontres. Cela prend du temps. Dans les petites communes, les maires sont au four et au moulin.

Selon une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), les agressions contre des élus, essentiellement des maires, ont augmenté de 32 % entre 2021 et 2022. Cela peut-il expliquer des démissions ?

J’ai eu dernièrement une panne de chauffage dans l’école. On a vite trouvé une solution. Mais cela a pris tout de suite des proportions… Quelqu’un publie sur les réseaux, cela génère des tas de commentaires… Je commence à avoir de l’expérience mais cela contribue à une forme de lassitude chez certains. Mais il ne faut pas lier agressions et démissions des maires. Au congrès de l’AMF, j’ai vu des maires comme celui de l'Haÿ-les-Roses qui ont été victimes d’agressions importantes. Et je peux vous dire que finalement cela les a reboostés et qu’ils ne sont pas prêts à renoncer.

L’association des maires de l’Hérault a signé une convention avec l’académie en octobre pour que les élus interviennent dans les écoles et collèges afin de faire connaître leur rôle et le fonctionnement des institutions. L’association des maires de France garantit la neutralité des élus. Pensez que cela peut aider à mieux faire comprendre le rôle du maire ?

J’avais proposé une convention de ce type au précédent Dasen du Gard il y a deux ans. Christophe Mauny, le Dasen actuel, a accepté. Le 13 juin, nous allons signer une convention lors du salon des maires du Gard. Ma deuxième priorité est de travailler sur les agressions physiques et verbales des élus. On a organisé une conférence-débat avec Aurélien Colson, élu gardois et spécialiste français de la négociation. On travaille avec le ministère de l’Intérieur qui a mis en place des formations. On les a déclinées avec les gendarmes du Gard. La dernière a eu lieu en décembre. Le but est de permettre aux élus d’appréhender les situations de tension. Il y a une partie théorique et une mise en situation. Au cours de l’année 2023, ce sont environ 200 élus pour plus de 130 communes qui ont été sensibilisés.

Justice : une boîte mail dédiée aux élus

Une boîte mail spécifique a été mise en place par le parquet de Nîmes pour que les élus puissent contacter directement le ministère public et s’informer sur les procédures dans lesquelles ils sont victimes. Le parquet de Nîmes ne communique pas sur le nombre de plaintes déposées par des élus. Il indique que des « instructions précises ont été données aux services d’enquête pour un traitement priorisé des procédures faisant suite à la plainte d’un élu ». Des instructions ont également été délivrées au parquet « pour des réponses pénales fortes et adaptées à la gravité des faits ».

Sabrina Ranvier

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