LE DOSSIER Des séances de muscu au lycée (partie 2)
Les lycéens gardois peuvent pratiquer la musculation entre midi et deux, encadrés par des profs d’EPS. À Jean-Baptiste Dumas à Alès, le tarif est de 10 € par an.
La salle de musculation du lycée Jean-Baptiste Dumas est installée sur un point névralgique : au rez-de-chaussée du bâtiment I, juste à côté de la cafétéria "la bachote". « Elle est très visible, reconnaît Bérangère Martel, enseignante d’EPS au lycée. On la fait visiter pendant les journées portes ouvertes. On met pas mal de budget pour renouveler le matériel ». La salle comporte une dizaine de machines. Entre midi et deux, en soirée, le mercredi après-midi… Cet établissement met à disposition de ses élèves, chaque semaine, huit créneaux pour pratiquer la musculation. Le tarif est ultra compétitif : 10 € par an. C’est le montant de l’adhésion à l’association sportive du lycée. Elle propose aussi du football, des sports de combat ou du badminton. Mais chacune de ces activités ne bénéficie que d’un seul créneau hebdomadaire. La demande pour la musculation est forte. « 60 % de nos licenciés la pratiquent », décompte Bérengère Martel. L’activité musculation est proposée à JBD depuis 14 ans mais son essor est plus récent.
Une activité propulsée par le confinement
« La population lycéenne a beaucoup pâti pendant le Covid. Pendant six mois, certains élèves ne sont pas venus au lycée, pointe-t-elle. La musculation nous a permis de les raccrocher. On s’est appuyé sur cette activité qui a eu beaucoup d’engouement pendant le covid. » Pendant le confinement, enfermés à la maison, autorisés à sortir une heure par jour, jeunes et moins jeunes se sont mis à suivre des tutos d’activité physique sur Internet. Les collèges et lycées étant fermés, les enseignants d’EPS étaient contraints de faire cours à distance. Impossible de faire du sport collectif. Ils proposaient donc à leurs élèves du gainage, des petits exercices de musculation. Grâce, notamment à la musculation, l’association sportive de JBD a réussi à doper ses effectifs : elle est passée d’environ 90 élèves inscrits il y a trois ans à environ 180 licenciés.
Les cours de musculation sont toujours encadrés par des enseignants d’EPS qui proposent des programmes sur mesure. La salle de musculation du lycée nîmois Philippe-Lamour n'ouvre aussi que quand des enseignants sont présents. Et là aussi, ça cartonne. L’association sportive compte 150 licenciés dont au moins 70 inscrits en musculation. « On a la chance d’avoir une belle salle de musculation », souligne Antoine Muller, professeur d’EPS. On peut y croiser garçons et filles. Selon cet enseignant, les demoiselles viennent pour "s’entretenir, se tonifier". Certains garçons veulent développer la masse musculaire tandis que d’autres souhaitent augmenter leur puissance musculaire en complément d’autres activités. Dans le groupe qu’encadrait Antoine Muller, il y avait « deux ou trois fous furieux » de musculation : « Il y en avait un qui venait le midi à la salle du lycée travailler une partie du corps et qui retournait le soir en salle de sport pour développer une autre partie du corps. » Parmi ces fans absolus de muscu, l’un vise une carrière militaire.
Une note qui compte pour le bac
Les salles de musculation des lycées servent aussi pour les cours d’EPS. Bérengère Martel y emmène les élèves des filières professionnelles ou de troisième prépa pro. « On a beaucoup d’élèves en surpoids. Un élève qui est en obésité, a du mal à courir en sport collectif. Avec la musculation, on arrive à lui proposer des exercices adaptés, analyse l’enseignante. Il y a beaucoup de points positifs dans l’activité musculation. Nous sommes plus inquiets de l’hygiène alimentaire ou du manque de pratique sportive des lycéens que de l’engouement pour la musculation. »
Au lycée Lamour, des élèves de terminale effectuent un cycle de musculation dans le cadre des cours d’EPS. « Ils sont plus à l’écoute, plus réceptifs que dans d’autres sports comme le demi-fond. Ils se disent que cela peut leur faire du bien », reconnaît Antoine Muller. « Ça plait et c’est là où ils ont de bonnes notes », confirme Laure Couliou, enseignante d’EPS au lycée Hemingway. Dans ce lycée, pour le Bac, en EPS, les élèves doivent choisir parmi trois "menus" groupant plusieurs disciplines sportives. Le point commun de ces "menus" ? Tous proposent de la musculation. Pour la pratiquer, les élèves se rendent en bus dans des salles municipales. La minuscule salle de musculation du lycée est trop petite pour les accueillir. Elle est ouverte entre midi et deux pour les membres de l’association sportive. Dans ce lycée nîmois, la musculation est aussi l’activité la plus demandée. Cela devrait augmenter. Hemingway devrait être équipé d’une grande salle de musculation en septembre prochain.
Paroles d’experts
« Le risque est d’abimer le cartilage de croissance »
Le professeur Tu Anh Tran, chef du service pédiatrie du CHU de Nîmes et Jean-Charles Pierret, médecin du sport, donnent des conseils pour pratiquer la musculation sans danger.
Pour ou contre ? Est-ce que la musculation bloque la croissance des adolescents ? « Non. Si elle est bien faite, elle ne la freinera pas. Au contraire, elle va favoriser le développement du tissu osseux », répond Jean-Charles Pierret, médecin du sport depuis 40 ans à Nîmes. « La masse osseuse est stimulée par l’exercice physique, opine le professeur Tu Anh Tran, chef du service pédiatrie à l’hôpital Carémeau. Maintenant, il faut regarder le type d’exercices qui sont faits. » Les adolescents peuvent sans souci pédaler sur un vélo, faire du rameur assis ou couché… Ces exercices augmentent la capacité d’endurance. Et travailler le cardio et l’endurance est "très bon pour le cœur". Le professeur Tran se réjouit même que des enfants trop sédentaires acceptent de marcher sur un tapis de course. Il rappelle aussi que lorsque l’on pratique de l’exercice physique, quel qu’il soit, on sécrète de l’endorphine, qui procure du bien-être.
Attention aux exercices d’haltérophilie
On peut donc foncer en salle de sport ? « Il faut faire attention avec la gonflette où on soulève des poids lourds », prévient-il. On évite, en phase de croissance, les exercices d’haltérophilie. « Si l’adolescent fait trop d’exercice en charge, il peut abîmer le cartilage de croissance », détaille Jean-Charles Pierret. Les cartilages de croissance sont des groupes de cellules fragiles situées à l’extrémité des os longs comme ceux des bras et des jambes. Ils permettent aux os de grandir en longueur. À 16 ans, un garçon n’a pas fini sa croissance. Il grandit jusqu’à 18-20 ans.
Une musculation inadaptée peut aussi mettre la pression sur les disques intervertébraux. Elle ne provoque pas de scoliose, c’est-à-dire une torsion de la colonne vertébrale, mais des exercices non-adaptés peuvent l’aggraver. Donc, avant de se lancer dans ce genre d’activité, on échange avec son médecin. Et si on a une scoliose, Jean-Charles Pierret comme le professeur Tran invitent fermement à aller se muscler chez le kinésithérapeute.
Être bien guidé
« La base c’est que la musculation doit être guidée par un technicien, par quelqu’un d’expert, martèle le docteur Pierret. Il y a beaucoup de salles de sport et c’est tant mieux. Dans ces salles, il y a des gens qui surveillent mais ils ne sont pas aussi nombreux que ceux qui pratiquent. Ils donnent des consignes mais ce n’est pas possible qu’ils soient constamment sur le dos des jeunes. » Il n’est pas favorable aux vidéos ou tutos de musculation car il n’y pas de présence physique pour corriger les positions. Le professeur Tran, qui enseigne aussi l’aïkido, invite donc à choisir "la voie du milieu", et à consommer la musculation avec modération. Si on fait trois séances d’1h30 par semaine en faisant attention aux charges, pas de souci.
Gonflette et tablettes
Jean-Charles Pierret, qui a été médecin du Nîmes olympique pendant 35 ans, reconnaît que dans tous les sports professionnels, les sportifs ont des séances de musculation. Mais elles sont conçues pour travailler les spécificités du sport qu’ils pratiquent. « En développant la masse musculaire, on vient perturber certaines qualités comme la vélocité, la souplesse », avertit-il. Et gare à l’effet boomerang de "la gonflette". « S’ils arrêtent, tout va dégonfler, sourit le professeur Tran. Si les adolescents veulent développer les épaules, les bras et avoir des tablettes de chocolat, l’idéal c’est la natation. » Il admet que la musculation a, dans la vie de tous les jours, un côté pratique : les salles sont disponibles à toute heure. Mais cette activité a, selon lui, un inconvénient en termes de valeurs : « souvent les enfants qui la pratiquent vont vers un individualisme : Je suis fort, je suis beau, je me filme et je me mets sur TikTok, il y a un culte de soi et une isolation du groupe ». Il préfère les sports collectifs : « S’il leur faut une motivation pour faire du sport et si c’est être plus beau, plus fort, pourquoi pas. Mais il ne faut pas oublier l’esprit d’équipe. »
Œufs, poulets et shakers de protéines
Quand on pratique la musculation, on peut arriver à des paliers où on ne développe plus de masse musculaire. Pour s’assécher et ne garder que du muscle, certains se jettent sur les œufs, le blanc de poulet. D’autres fondent sur des compléments alimentaires ou se font des shakers avec des poudres protéinées. « Consommer des protéines permet de modifier le physique de façon impressionnante, reconnaît le professeur Tran. Mais trop de protéine va altérer le rein ». Il invite donc à bannir tous ces compléments divers et variés et de se contenter d’une alimentation saine et normale. Jean-Charles Pierret, lui aussi favorable à une "diététique normale", invite à voir un diététicien avant de se lancer dans des régimes spécifiques : « Il ne faut surtout pas acheter les produits qu’on leur propose car ils contiennent souvent des produits interdits qui vont perturber le développement hormonal. Tellement de grands professionnels se sont laissés endormir et se sont retrouvés contrôlés positifs car dans certains produits il y avait des anabolisants. »