LE DOSSIER Enquête : Les néo-Gardois à la loupe
Elle se sent aujourd’hui plus sudiste que Belge : Brigitte Flamand s’est installée à Saint-Laurent-d’Aigouze il y a deux ans. Elle avait découvert ces paysages camarguais sur son petit écran grâce à la série Ici tout commence.
Ici tout commence pour les nouveaux Gardois
Vendredi, 13 heures, la chaleur est écrasante et la place centrale du village de Saint-Laurent-d’Aigouze est en pleine ébullition. Les terrasses des deux bars/restaurants installés côte-à-côte sont pleines. En face, une foule est amassée entre deux barrières de sécurité. « Silence s’il vous plaît, stoppez les moteurs des voitures. Action » peut-on entendre. Aucun doute, nous sommes au bon endroit : le château de Calvières, lieu de tournage de la série Ici tout commence, produite et diffusée par TF1.
«Il y a des gens tout le temps. Ils viennent dans l’espoir de voir les comédiens. Vous savez, c’est comme ça les fans, ils sont prêts à attendre des heures devant », lance, amusé, Alain Moya, alias Momo. Le patron du Grand Café, qui est une vraie figure locale, les voit passer tous les jours. Il a même tissé quelques liens. « Certains, qui sont tombés amoureux du village, viennent régulièrement. Je me suis fait des amis de Savoie, de Belgique, de Saint-Cyr-sur-Mer… La série nous a permis de faire de belles rencontres. »
“ J’ai trouvé le soleil qu’on n’a pas en Belgique ”
Et parmi ces aficionados, Momo l'affirme : certains sont venus vivre à Saint-Laurent-d’Aigouze. « Comment ne pas tomber amoureux de cette place magnifique, qui frémit comme une cocotte-minute, où la fête est toujours présente ? » C’est d’ailleurs cette ambiance qui a conquis le cœur de Brigitte Flamand, 64 ans, originaire de la région Bruxelloise. « C’est génial ici. J’ai trouvé le soleil qu’on n’a pas en Belgique, l’accent chantant et surtout, on ne s'ennuie jamais », témoigne, avec un grand sourire aux lèvres et un accent prononcé, celle que certains habitants surnomment la Belge.
Installée depuis novembre 2022 avec son mari et son chien dans une petite maison qui donne sur la place, cette dame qui transpire la joie de vivre à découvert Saint-Laurent-d’Aigouze grâce à Ici tout commence. « Je cherchais un petit village du sud de la France, car j’ai toujours rêvé de m’installer dans cette région. Les vues aériennes et les plans sur les paysages, j’ai trouvé ça tellement beau que j’ai regardé les annonces immobilières. » Et c’est l’aspect pratique de la vie dans cette commune de 3 600 habitants qui a fini de la convaincre. « Je ne conduis plus, alors quand je suis venue visiter et que j'ai vu qu’il y avait tous les commerces et même des transports en commun, j’ai foncé. »
Des acteurs totalement intégrés à la vie du village
« Brigitte, arrête de mentir, tu es venue pour les acteurs », la taquine, sourire en coin, Momo, avec qui elle est devenue amie. « Au début, oui. Mais ça n’était pas la seule raison ! Même si, quand j’ai vu Benjamin Baroche pour la première fois, j’ai failli lui sauter dessus », avoue-t-elle en rougissant. « Mais avec le recul, on se dit que ce sont juste des habitants normaux. On les croise tous les jours, et on discute avec eux. » Ni une, ni deux, Momo lève les yeux au ciel, lâche l’ardoise sur laquelle il est en train d’écrire son menu du soir, et rigole. « Oui enfin hier tu m’as encore demandé de prendre une photo, tu étais totalement hystérique. »
Une remarque justifiée, à en croire son carnet dédicacé par tous les acteurs de la série. « Bon, j’avoue, je suis fan depuis le départ et je suis toujours contente quand je peux faire une petite photo. En plus, les comédiens sont si accessibles. » Sur ce point, Momo ne la contredit pas, bien au contraire. « J’organise, depuis 3 ans, un défilé de mode avec les commerçants de Saint-Laurent. L’année dernière, des acteurs sont venus faire les mannequins. Pour moi, certains d’entre eux sont totalement devenus des membres de notre village : ils sont intégrés, font vivre nos commerces, viennent aux événements et au bar. Ils font partie de notre quotidien. » Certains même se seraient installés à proximité du lieu de tournage.
Clémence Deleage
“La série a opacifié le marché”
Désormais, les biens longue-durée se font rares. Les nouvelles annonces restent à peine quelques heures sur les sites. « Depuis la série, on a vu pas mal de ventes, après des rénovations, pour loger la production. Les gens ont acheté, fait des travaux puis mis en location, ajoute Frédéric Schafer, directeur de l’agence Littoral et Camargue, installé depuis trois ans à Saint-Laurent-d’Aigouze. Certaines maisons de village se sont transformées. Par exemple, ils ont refait entièrement le domaine de Chaberton. Le propriétaire voulait vendre mais finalement TF1 s’est engagé à lui donner un loyer par mois pendant 10 ans ». Une somme supérieure aux prix du marché local.
Des logements ont été créés, des propriétés ont été rénovées et aménagées, des ventes ont été actées. Un bouillonnement immobilier que confirme Alain Moya, propriétaire du Grand Café : « Les locations, on n’en avait jamais vu autant dans le village, il y en a même qui louent leur chambre pour la série. » Cette notoriété, qui a permis d’enclencher des travaux, de rénover certaines parties du village, de faire travailler les commerçants, de booster le tourisme, a ressoudé les liens des habitants, empêchés de se loger, selon Frederic Schafer : « La série a opacifié le marché. Certains propriétaires disent désormais qu’ils ne veulent en aucun cas louer à Ici tout commence, mais uniquement à des jeunes locaux. »
Stella Roca
Immobilier : “Il y a eu un avant et un après la série”
Juillet 2020. En pleine pandémie de Covid, le petit village de Saint-Laurent-d’Aigouze voit débarquer dans ses rues techniciens, chargés de production et acteurs parisiens. Le tournage de la série TF1 Ici tout commence est lancé dans le château de Calvières, au centre de la bourgade camarguaise de 3 600 habitants. Et le succès est immédiat : trois millions de téléspectateurs visionnent quotidiennement la série, appréciant les paysages méditerranéens et les décors typiques du sud. Depuis quatre ans, les touristes affluent dans le coin et les caméras font désormais partie intégrante du paysage. L’immobilier, lui, a été complètement perturbé par la popularité du feuilleton.
Tandis que les locations courte-durée, Airbnb et hôtels, sont pris d’assaut par les « fans » de la série, le reste des logements est, lui, occupé par les travailleurs engagés pour le tournage. Plus de 200 personnes sont présentes au quotidien sur le plateau. « À la sortie de la pandémie, le marché de l’immobilier s’est dérégulé nationalement. Mais la série a aussi dérégulé le marché de Saint-Laurent», explique Rodolphe Dumas, responsable de l’agence Terre et Mer, installée à Saint-Laurent-d’Aigouze depuis 2003.
Beaucoup de logements ont été pris aux habitants pour la production et les acteurs. En location à l’année, ils ont encore aujourd’hui du mal à se loger. Et tout ça a augmenté les prix. Il y a un avant et un après la série.
À Beauvoisin, un boom démographique qui passe mal
Parti de 1 800 habitants en 1980, le village de Beauvoisin en compte désormais 6 100. Aujourd’hui régulée, l’explosion démographique a bouleversé la vie de la commune, obligeant par exemple l’école à investir la salle des fêtes et une partie de la crèche.
Qu’il semble loin, le temps où à un petit quart d’heure en voiture de Nîmes, entre Générac et Vauvert son grand frère, Beauvoisin était un petit village gardois comme un autre. En 1980, celui-ci ne compte encore « que » 1 800 habitants, dont la plupart a l’habitude de voguer au gré des rues du petit centre-bourg. Dans les artères principales, vivent une poignée de commerces parmi lesquels boulangeries, boucheries, épicerie, droguerie ou café... 44 ans plus tard, le village a grandi et la situation a bien changé. Tout autour du bourg, les maisons ont poussé comme des champignons. De 1 800, le nombre d’habitants est passé à 6 100.
Raison principale de cette explosion démographique, les prix attractifs de l’immobilier et du foncier, celle-ci étant couplée à la proximité reliant Beauvoisin aux métropoles nîmoise et montpelliéraine. La mairie de Beauvoisin n’a d’ailleurs pas eu de mal à trouver preneur pour ses grandes zones d’aménagement concertées créées dans les années 2000.
À La Clastre et à Cabessan Clarettes, par exemple, pas moins de 550 nouvelles habitations voient le jour. Or, les bouleversements assortis à l’arrivée massive de nouveaux habitants n’ont pas été anticipés. « La population a beaucoup trop augmenté. Aujourd’hui, c’est un bordel sans nom (sic) », déplore Dany Cayzac en servant le café. Employé au Café du commerce, bar emblématique du centre-bourg, le sexagénaire est l’un des nombreux Beauvoisinois de toujours à déplorer le basculement trop brutal du village.
Un sentiment partagé par de nombreux habitants, à commencer par sa sœur Mylène Cayzak, la maire de la commune. « C’est vrai que tout n’a pas été géré parfaitement. Aujourd’hui, nous devons composer avec une situation plutôt délicate. »
Les écoles, chantier majeur
Car, si les néo-Beauvoisinois sont arrivés par milliers, les installations et la configuration du village, elles, n’ont pas bougé. « Clairement, le centre-bourg n’était pas fait pour une si forte augmentation de la population », poursuit l’édile, qui consacre aujourd’hui une grande partie de son temps à la recherche de solutions d’aménagements. Une mission pour le moins ardue, tant les possibilités se présentant à elle sont restreintes. Parmi les dossiers en haut de sa pile, celui des écoles maternelle et élémentaire devenues (beaucoup) trop petites pour accueillir à elles deux plus de 600 élèves, contre un peu plus de 120 en 1980.
« L’idéal serait de construire un nouveau groupe scolaire, une nouvelle salle des fêtes et des installations sportives. Or, nous ne disposons pas de foncier communal pour le faire. Une demande de révision du plan local d’urbanisme a été formulée. Mais ce type de dossiers ne se décantent pas en un claquement de doigts. »
En attendant, quelques solutions provisoires ont été trouvées. Dans le centre, la salle des fêtes historique s’est transformée en réfectoire scolaire. La crèche a elle aussi vu une partie de ses locaux réquisitionnés pour y installer des salles de classe. « Les conditions ne sont pas réunies pour accueillir les enfants décemment », estime Christine Chassang, institutrice à l’école. « Au niveau des installations sportives aussi, nous sommes très en retard et n’avons par exemple aucune structure sportive fermée », poursuit-elle, une baguette sous le bras, sur la terrasse du Café du commerce. Une problématique partagée par les clubs sportifs de la commune. Ex-dirigeant du club de football de l’AS Beauvoisin, Riad Chehbouni se remémore ses derniers mois au club. « Pour nous, cela devenait difficile. Nous gagnions des licenciés chaque année mais avec un seul terrain pas éclairé, n’avions pas les infrastructures nécessaires pour pouvoir faire les choses correctement. Avec les petits, on utilisait même le city stade pour s’entraîner », explique celui qui habite désormais un village voisin.
Le paradoxe du centre-bourg
Autre problématique majeure depuis le boom démographique beauvoisinois, la circulation dans le centre-bourg. « C’est vrai que sur ce point aussi, le village n’est pas adapté, concède la maire Mylène Cayzak. L’option des rues à sens unique existe mais les administrés s’y opposent car évidemment, cela complique les choses. » Arrivé dans le village il y a quelques mois après avoir longtemps vécu à Lunel, dans l’Hérault, Ludovic Caffeau est chauffeur de bus. Usager quotidien du réseau, le quinquagénaire l’assure, « des choses doivent être faites et un contournement du centre-bourg est à envisager ».
Très fréquenté, le centre-village ? « Pas tant que ça, estime Dany Cayzak. Nous sommes devenus un village dortoir. L’âme est en train de s’évaporer. Ici, on ne voit que les habitants du centre-bourg. Les gens de l’extérieur ne viennent pas. Le commerce fonctionnait mieux avec 1 500 qu’avec 6 000 habitants. »
Là aussi, sa sœur Mylène Cayzak acquiesce. « C’est vrai que proportionnellement, on voit assez peu les habitants des nouveaux lotissements. Mais ce n’est pas propre à Beauvoisin. En règle générale, les modes de vie ont changé. Avant, les gens consommaient dans le village. Les femmes restaient à la maison, faisaient leurs courses sur place. Les mœurs ont évolué. Souvent, les gens qui travaillent en ville font leurs courses là-bas. C’est comme ça. » Et Dany Cayzak d’ajouter : « La fréquentation du marché hebdomadaire est parlante. Il y a encore dix ans, ça ressemblait à quelque chose. Mais aujourd’hui… »
Facteur aggravant du phénomène ou simple évolution naturelle, l’arrivée, il y a 7 ans et demi, d’un magasin Super U à l’entrée sud de la ville. « Il y a peu, j’ai trouvé un chien errant ici, dans le village », raconte Ludovic Caffeau. « Je l’ai descendu au Super U en pensant qu’il aurait plus de chances d’être retrouvé. Et ça a été le cas. C’est certain, il y a désormais beaucoup plus de trafic là-bas qu’en centre-bourg ». Arrivé il y a peu, lui assure s’être rapidement intégré dans le village. Un phénomène « trop peu commun », pour Christine Chassang. « L’intégration, les traditions locales, ça n’intéresse pas tout le monde. C’est dommage si cela venait à se perdre », souffle l’institutrice, elle la Beauvinoise habituée des courses camarguaises et de la fête votive…
Adrien Cornu
« Quand on n’est pas d’ici, c’est difficile de s’intégrer »
Arrivée à Beauvoisin il y a trois ans en provenance de Saint-Etienne, pour suivre son mari muté professionnellement dans la région, Aurore Faure en vient presque à regretter d’avoir posé ses valises dans le Gard. « Franchement, quand on n’est pas d’ici, c’est difficile de s’intégrer », confie l’aide-soignante ligérienne de 37 ans.
Pour elle, les premières difficultés sont apparues très vite. « Lorsqu’on est arrivés dans la région, quelqu’un m’a dit que je volais le travail de Gardois. Mais ce n’est pas propre à Beauvoisin. Pour en avoir discuté avec d’autres néo-Gardois, le problème est commun dans le coin. Ça n’empêche pas que certains habitants sont très gentils et agréables mais, par exemple, à Vauvert, j’ai aussi eu du mal à me faire accepter par certains clients. Si c’était à refaire, je ne viendrais pas ici. D’ailleurs, nous avons déjà pensé à partir. Aujourd’hui, ma mère malade est à l’Ehpad de Beauvoisin. C’est la seule chose qui nous retient. »