LE DOSSIER Entretien avec Laure Desmurget, psychologue clinicienne à Nîmes (partie 3)
« C’est un phénomène classique qu’à l’adolescence, on s’investisse dans le sport »
Objectif Gard le magazine : Responsables de salles sport et de club d’haltérophilie observent un fort engouement des ados pour la musculation. Est-ce surprenant de pratiquer ce genre de sport à l’adolescence ?
Laure Desmurget : Pour comprendre cet engouement, il faut comprendre ce qui se passe à l’adolescence. La poussée pubertaire s’accompagne de modifications physiologiques et d’une explosion hormonale. La voix mue chez les garçons, les seins poussent chez les filles, le bassin s’élargit… Tout cela n’est pas sans conséquence sur le plan psychologique. On va devoir réapprivoiser son corps, se situer avec, faire avec cette nouvelle image de soi. C’est pour cela que le corps va prendre autant d’importance à l’adolescence. C’est donc un phénomène classique qu’à l’adolescence, on s’investisse dans le sport.
Oui, mais pourquoi est-ce que les adolescents s’investissent particulièrement dans la musculation ?
C’est un sport qui a une grande facilité pratique. Ils peuvent faire ça chez eux. Dans les parcs, il y a des barres de traction, ou même des appareils de musculation en plein air. Il y a une grande liberté et une facilité de pratique contrairement à d’autres sports où on dépend de créneaux horaires. En plus, ils voient de manière assez rapide les effets de la musculation sur la transformation du corps. Il y a un côté « je maîtrise, je contrôle donc j’existe ». Le jeune peut contrôler ce corps qu’il ne maîtrise parfois pas à l’adolescence.
Beaucoup se prennent en photo, partagent sur les réseaux. La musculation ne va-t-elle pas pousser l’adolescent dans un culte du corps, de soi et le couper des autres ?
Beaucoup de jeunes vont se filmer dans la pratique sportive, vont suivre des influenceurs, des coachs en ligne.
À l’adolescence, il y a un fort enjeu de socialisation. Les adolescents passent d’une socialisation éminemment familiale à une socialisation par les pairs. En se filmant et en partageant, c’est pour être accepté et validé dans sa communauté.
Certains pratiquent la musculation de façon très intensive. Il existe une addiction au sport qui s’appelle la bigorexie. Quels sont les signaux qui doivent alerter les parents ?
Les parents doivent s’alarmer en cas de désinvestissement scolaire, si on voit des éléments d’isolation et de repli. On doit s’inquiéter quand on voit apparaître des troubles du sommeil ou si on observe que la privation de son activité, pour des vacances, parce qu’il est blessé, provoque chez l’adolescent anxiété et irritabilité. Une pratique sportive, pour être profitable, ne doit pas empiéter sur d’autres aspects de sa vie.
Que faire si les signaux d’alerte sont au rouge ?
Le travail des parents à l’adolescence est toujours un travail d’équilibriste. Il doit toujours maintenir le lien avec son enfant. Le parent peut échanger avec le médecin traitant, se tourner vers la Maison des adolescents qui propose des espaces de rencontre pour les ados mais aussi pour les parents. Il y en a une à Nîmes et une antenne à Uzès. Ils peuvent aussi contacter Impulsions, l’association ressources en psychologie du sport, que j’ai cofondée avec la pyschologue Armelle Ratat. Elle s’intéresse à toutes les questions autour de la prévention et de l’accompagnement des jeunes autour de la pratique sportive.
Carnet d’adresses
• Impulsions, association ressources en psychologie du sport asso.impulsions30@gmail.com
• Maison des adolescents du Gard. 34 ter Rue Florian, à Nîmes, 04 66 05 23 46.
Ouvert du lundi au vendredi de 10h à 19h. www.mda30.com
Qu’est-ce que la bigorexie ?
La bigorexie est une addiction au sport. « La personne se jette à corps perdu dans le sport et elle est taraudée par le besoin irrépressible d’aller toujours plus loin », définit Santé magazine. Il précise qu’« en consacrant l’essentiel de leur temps au sport, les personnes rognent sur leur temps de récupération, voire sur leur sommeil. À trop tirer sur la corde, elles s’exposent à un risque de blessure important et s’épuisent non seulement sur le plan physique, mais aussi psychique ».