ÉDITORIAL La Justice doit-elle laisser le numérique au placard ?
Quand la Justice fait un pas de géant dans le numérique, avec l'ambition de rendre service aux victimes. Danger ou bonne nouvelle ?
On se plaint régulièrement de la lenteur de la Justice. Quelquefois aussi des jugements rendus tardivement dans des affaires dites "anciennes". Ce n'est pas faute pour les magistrats d'exercer au quotidien inlassablement leur travail, même si les conditions ne sont pas toujours les meilleures. La grande concertation des États généraux de la Justice démontre en tout cas la réalité attendue par les citoyens : la justice doit être plus rapide, plus efficace et plus proche d’eux. C'est une question d'égalité des droits, et de respect des libertés. Plusieurs mesures ont été prises ces dernières années, et elles vont heureusement dans le bon sens. D'abord, l'augmentation des moyens humains et financiers. Le ministère de la Justice annonce encore une hausse de plus de 10 % des effectifs, soit le recrutement de 10 000 agents supplémentaires en cinq ans, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Pourvu que ce ne soit pas des départs à la retraite simplement remplacés... Autre initiative intéressante, expérimentée depuis le 9 mai 2023 dans quatorze villes des Yvelines. Un nouveau service de visioplainte, dispositif qui sera généralisé en 2024 partout en France. Ce service gratuit permet aux habitants des villes concernées et victimes d'infractions de porter plainte en visioconférence, sans se déplacer en commissariat ou en gendarmerie. Cela est testé dans l'idée de faciliter le dépôt de plainte, de limiter l'attente tout en garantissant la confidentialité absolue. Enfin, annoncé hier par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, les magistrats, policiers et gendarmes vont désormais mieux collaborer grâce à un nouveau service de dématérialisation de la chaîne pénale. Depuis la plainte des victimes jusqu’au jugement, la procédure pénale numérique (PPN) permettra à la fois un gain dans le temps de traitement par le greffe, et une économie substantielle de feuilles imprimées sans compter l'affranchissement et la reprographie. L’ambition est de couvrir l’ensemble des procédures correctionnelles partout en France pour la fin 2025. La Justice 3.0 est donc en marche. Et le progrès numérique au service des victimes peut effectivement être une bonne nouvelle. Mais jusqu'à quel point ? Quelles seront les prochaines étapes ? Une intelligence artificielle derrière les ordinateurs pour prendre des plaintes ? Pire encore et c'est déjà d'actualité : le 31 janvier dernier, un juge colombien a fait usage du ChatGPT pour rendre une décision de justice. Ce n'est pas la machine qui a décidé du sort de l'auteur des faits, mais le juge a reproduit des morceaux de cette discussion avec le robot dans son jugement. Peut-on toujours parler d'une justice humaine ? Non. Sauf si c'est toujours l'homme qui juge en dernier...