FAIT DU JOUR Plus Beaux villages de France, l'art de séduire sur la durée
En France, 174 communes sont labellisées "Plus Beaux villages de France". Elles sont au nombre de quatre dans le Gard : Aiguèze, La Roque-sur-Cèze, Montclus (toutes trois en Provence Occitane) et Lussan (en Pays d'Uzès). Comment ces villages font-ils pour rester attractifs et conserver le précieux label ?
Le label "Plus Beaux villages de France" est exigeant. "Chaque village est ambassadeur des autres et les visiteurs ne doivent pas avoir peur de faire un détour pour le voir. S'ils sont déçus, c'est notre crédibilité qui est en cause", indique Alain Di Stefano, président des "Plus Beaux villages de France", également maire de Yèvre-le-Châtel (Loiret).
Toutes les communes ne peuvent pas prétendre au label. Il ne faut pas excéder 2 000 habitants et compter au moins deux édifices ou sites classés. En plus de ces pré-requis, l'association a établi une charte qualité de 32 critères sur différents domaines : le patrimoine mais aussi la qualité des bâtiments, l'homogénéité des toitures, des façades, la maîtrise de la circulation, la végétalisation, l'accueil, l'environnement... Quand un village candidate, un chargé de qualité se rend sur place, relève différents points, consulte les documents d'urbanisme... Il rapporte ses observations ensuite devant une commission composée d'élus, d'architectes, de représentants du CAUE (Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement)... Il faut obtenir 2/3 des votes pour que la commune soit classée.
Mais le label n'est pas attribué ad vitam æternam. Tous les 6 à 9 ans, les villages sont réexpertisés pour savoir s'ils méritent toujours le label. "S'il y a une difficulté, le label peut être remis en cause. Si la commission considère que le village ne présente plus les garanties de qualité que sont celles des "Plus Beaux villages de France", il faut atteindre les 2/3 de votes contre pour le déclassement du village", explique Alain Di Stefano. Un village sur la sellette peut venir en commission se défendre dans les mois suivants, puis un deuxième vote a lieu pour soit donner du temps au village de corriger le tir, soit aboutir à un déclassement définitif. Qu'un village perde le label, "c'est arrivé six fois au cours des dix dernières années", chiffre Alain Di Stefano.
"Le label nous pousse vers le haut"
Dans le Gard, les quatre maires des "Plus Beaux villages de France" sont bien déterminés à conserver le précieux sésame. Leurs villages ont tous les atouts pour. Le village de Montclus, labellisé depuis 2013, a eu droit à une visite de contrôle en 2021. L'issue a été positive même si quelques points restent à améliorer notamment certaines ruelles et places qui sont "dégradées". Le maire Benoit Trichot a bien l'intention d'y remédier avec son projet de pavage des rues à 670 000 € HT. C'est loin d'être une broutille pour le petit budget de ce village de 200 âmes. "L'objectif, c'est qu'à l'automne 2024, on commence la première phase des travaux", indique le maire.
Garder un village agréable, propre, et l'embellir, cela a un coût. Benoit Trichot réussit à payer un employé à mi-temps pour nettoyer la commune grâce aux revenus générés par le parking visiteurs payant. En aval de la rivière, construit sur un piton rocheux, le village de La Roque-sur-Cèze peut aussi compter sur les revenus du parking (au tarif plus élevé) qui aident au fonctionnement de la commune : "À la fin août, cela nous a déjà rapporté plus de 100 000 €", avance le maire, Robert Gautier.
En surplomb de l'Ardèche, à Aiguèze, Charles Bascle multiplie les aménagements pour "garder un maximum d'attrait" : balayeuse dernier cri, toilettes sèches nouvelle génération, vidéoprotection, consolidation des tours, recaladage d'une placette... En ce moment, se déroulent des travaux de mise en discrétion des réseaux. "Le label nous pousse vers le haut, cela donne envie de faire toujours mieux, de ne pas s'endormir sur nos lauriers", assure l'édile aiguezois dont le village est labellisé depuis 2006. Vous l'aurez compris : il ne suffit pas d'avoir un château et des vestiges de donjon.
Faire respecter l'urbanisme et l'harmonie des bâtisses
Pour conserver le label, l'adhésion des habitants et des commerçants est primordiale. C'est globalement le cas dans les quatre villages gardois. À Aiguèze, il existe d'ailleurs une charte pour encadrer quels types de parasols, de devantures les 25 commerces du village ont droit, dans l'idée d'obtenir une certaine homogénéité. Lors des inspections, les "Plus Beaux villages de France" sont assez regardants sur l'urbanisme : les gouttières en PVC, les enduits qui dénotent parmi les façades, les paraboles disgracieuses sont à proscrire.
Pour encourager les habitants à respecter ces contraintes, le maire de Montclus a travaillé avec le CAUE du Gard sur un guide où il est transcrit ce qui est permis ou pas. On y trouve les aspects des enduits, les teintes admises des façades, menuiseries et ferronneries... "On a également un partenariat avec la Fondation du patrimoine. Les propriétaires peuvent la solliciter et être défiscalisés jusqu'à 50 % du montant des travaux", ajoute Benoit Trichot. Lui et ses homologues gardois sont très attentifs à chaque déclaration de travaux et sont en lien avec l'Architecte des Bâtiments de France.
Dans l'Uzège, Lussan a d'abord eu le label "Village de caractère" avant d'entrer également aux "Plus Beaux villages de France" en 2016. Une nouvelle renommée très bien acceptée, surtout par les anciens, comme en témoigne le maire, Jean-Marc François : "Ils ont vu le village mourir dans les années 60 après un développement très important au XIXe siècle. Ces années-là, les gens partaient, l'agriculture ne leur permettait plus de vivre. La population est passée de presque 2 000 habitants à 300. On a vu une reprise grâce au tourisme et les anciens sont conscients que c'est une solution."
Des nuisances mais aussi des retombées économiques
Bien sûr, cette fréquentation touristique amène aussi son lot de nuisances. Certains visiteurs ont un peu trop tendance à regarder par les fenêtres des maisons ou à essayer de rentrer dans les cours malgré les portail clos. On estime que le label "Plus Beaux villages de France" apporte entre 30 et 40 % de visiteurs supplémentaires et booste aussi les ailes de saison. Alors, certains villageois préfèreraient retrouver leur tranquillité mais des compromis sont possibles. À Aiguèze, qui figure dans le top 15 des villages labellisés, le maire estime qu'il y a 300 000 visiteurs par an. Il existait quelques tensions au niveau du stationnement car certains habitants n'arrivaient pas à se garer. Le maire a donc fait agrandir le parking leur étant réservé.
Cette manne de touristes est très profitable pour les commerces, restaurants et autres activités qui bénéficient de retombées économiques. "Pour les gîtes, c'est un attrait supplémentaire. Les producteurs en bas du village bénéficient du passage des touristes qui s'arrêtent acheter", atteste le maire de Lussan. Pour lui, il est très important de conserver un équilibre entre tourisme et économie : "On veut conserver une agriculture vivace et on a développé la ZAE (zone d'activités économiques). Car il est difficile de garder une population fixe seulement grâce au tourisme. Il y a pas mal de personnes qui achètent des maisons pour en faire des gîtes mais n'y habitent pas ou pas avant la retraite. Ce ne sont pas eux qui vont amener des enfants dans les écoles."
Un rayonnement étendu à tout le territoire
Le label n'induit pas de retombées directes pour les communes (hormis avec les horodateurs). Par contre, il rayonne au-delà du village et profite à tout un territoire. Par exemple, les labellisations de La Roque-sur-Cèze et Montclus bénéficient à toute la vallée de la Cèze et aux villages voisins. "En tant que "Plus Beau village de France", on est beaucoup aidé par l'agence technique départementale, par la CAUE. Il y a vraiment une volonté de bien faire car ils savent qu'on est une vitrine pour le Gard", rapporte Benoit Trichot, le maire de Montclus. Il estime que rien que dans sa commune, la fréquentation touristique, autrefois cantonnée à une poignée de campeurs habitués, grimpe de 10 % par an ces dernières années.
Même s'il y a un coût, même s'il y a des contraintes, lui et les autres maires continuent de bonifier leurs villages. Mais le président des "Plus Beaux villages de France" le rappelle : "Nous pouvons formuler des recommandations, donner une feuille de route en quelque sorte. Mais nous n'exigeons pas des villages parfaits. D'ailleurs c'est quoi un village parfait ? Chacun a son identité."
"Les Plus beaux villages de France", 40 ans déjà
Le réseau des "Plus Beaux villages de France" est né en 1982. Charles Ceyrac, qui était maire de Collonges-la-Rouge, a eu l'idée de fédérer les villages qui figuraient dans un ouvrage intitulé "Les Plus Beaux villages de France". Une grande partie a été labellisée puis il y a eu une deuxième génération de labellisés "coups de coeur". "Tout cela était assez subjectif. Alors en 1991, une charte qualité a été élaborée et a instauré la réexpertise systématique de tous les villages labellisés", retrace Alain Di Stefano, actuel président des "Plus Beaux villages de France".