Publié il y a 30 jours - Mise à jour le 12.08.2024 - Coralie Mollaret - 3 min  - vu 1454 fois

LES MOMENTS DE BASCULE Il y a dix ans, l’extrême-Droite s’emparait de Beaucaire

En 2014, Julien Sanchez, 31 ans et illustre inconnu à Beaucaire, remporte les élections municipales. Un séisme ! Sa victoire est un tremplin pour sa carrière personnelle mais aussi pour la progression de l'extrême-Droite en France. 

La victoire de Julien Sanchez à la mairie de Beaucaire s’est faite un peu à la surprise générale. C’est pourtant le résultat d’une longue préparation du frontiste, combinée à des vents favorables. Encarté à 16 ans, Julien Sanchez, issu d’une famille de pieds-noirs, fait ses premières armes chez les Le Pen. Celui qui aurait aimé être journaliste s’occupe de leur communication : il anime le blog de Jean-Marie Le Pen, réalise des entretiens, des reportages… Cette expérience lui permet de roder ses argumentaires. 

Un professionnel de la politique 

La jeune pousse du Front National (rebaptisé Rassemblement national en 2018) choisit de devenir un professionnel de la politique. Tel un mercenaire, il part défendre l’extrême-Droite dans plusieurs territoires. D’abord en Seine-et-Marne aux Législatives de 2006, puis aux départementales de 2008 sur le canton de Claye-Souilly, toujours dans le même département. À chaque fois, il perd. Dans le sud de la France, il signe sa première élection en 2010 au conseil régional Languedoc-Roussillon sur la liste de France Jamet. 

C’est le premier mandat d'opposition de Julien Sanchez. Le jeune homme veut alors s’implanter dans le Gard où il a vécu. En parallèle, Marine Le Pen reprend les rênes du parti. Contrairement à son père, elle n’entend pas se cantonner à l’opposition. Au contraire, la fille souhaite conquérir le pouvoir. Pas facile quand le FN traîne encore de sacrées casseroles... Comme les condamnations du père Le Pen pour provocation à la haine raciale ou encore celles de certains élus locaux dans le passé, comme le maire FN de Toulon, Jean-Marie Le Chevalier, pour détournement de fonds publics. 

Julien Sanchez perd aux élections départementales de 2011 puis, un an plus tard, les législatives. Mais l’entreprise de « dédiabolisation » du FN est amorcée. Les yeux rivés sur les chiffres, le jeune homme a remarqué qu’il était arrivé en tête à Beaucaire - l’une des villes les plus pauvres de France - au premier tour des Législatives 2012. Quelques mois en arrière, Marine Le Pen y était également première à la Présidentielle. Pour Julien Sanchez, c’est clair comme de l'eau de roche : il a un coup à jouer à Beaucaire. 

Maire contesté, opposition divisée 

D’autant que la situation politique de la localité est particulière. Le maire UDI, Jacques Bourbousson, qui conduit son premier mandat, n’est pas franchement favori. Un rapport de la Chambre régionale des comptes attestera plus tard d’une forte hausse des impôts entre 2006 et 2012 et d’un besoin accru de contrôler les associations subventionnées. Enfin, la Droite est divisée : deux candidats UMP (aujourd’hui Les Républicains) se présentent : Christophe André et Valérie Arese. 

En campagne, Julien Sanchez espère tirer les marrons du feu. Il présente sa liste « Beaucaire, ville française » le 9 mars 2014 au casino municipal avec 33 candidats dont la pharmacienne Élisabeth Mondet et le chef d’entreprise Jean-Pierre Fuster qui deviendront plus tard conseillers départementaux. Il fustige la hausse des impôts, se pose en pourfendeur de la délinquance et assure notamment sur le plateau de nos confrères de ViàOccitanie que « dans six ans, la ville sera à majorité immigrée ». 

Le 23 mars, Julien Sanchez arrive en tête avec 32,84% des voix. Au second tour, il l’emporte dans une quadrangulaire avec 39%. « Je dédie ma victoire à mon équipe, aux Beaucairois, à tous les électeurs FN de France, à Jean-Marie Le Pen et à Marine Le Pen », a-t-il réagi au soir de son élection. Au pouvoir, Julien Sanchez, travailleur, s’empare de certains dossiers qu’il fait avancer. Mais il fait aussi de la mairie une arme politique en faveur de la propagation des idées d'extrême-Droite. Une autre étape de la dédiabolisation du parti. 

Beaucaire, une arme politique 

Homme de communication et de surcroît procédurier, il fait condamner la présidente de la Région, Carole Delga, pour discrimination(*). Il supprime les repas sans porc à la cantine malgré la décision du Conseil d'État de débouter la mairie. Julien Sanchez et son avocate, Sylvie Josserand - qui deviendra députée de la 6e circonscription en 2024 - s'engouffrent dans les failles de notre système judiciaire. La mairie multiplie alors les délibérations, permettant à ses décisions de rester effectives malgré les condamnations de la justice, comme c’est le cas pour l’installation, chaque année, de la crèche dans l’enceinte de l'hôtel de ville. 

Cette stratégie ne semble toutefois pas déranger ses administrés. En 2020, Julien Sanchez est réélu dès le 1er tour avec 60% des voix. Beaucaire, « le laboratoire » comme le qualifiera Marine Le Pen, a participé à la dédiabolisation du FN et, par conséquent, à son idéologie. Ce n’est donc pas un hasard si, quelques années plus tard, en 2017 et 2022, la fille Le Pen se retrouve propulsée au second tour des élections présidentielles. Et si, aujourd'hui, le RN dispose de 125 députés contre 2 en 2012. 

*À noter que la Cour Européenne des droits de l’Homme a rendu une décision par laquelle elle condamne, à l’unanimité des 7 juges, la décision de la Cour d’appel de Nîmes pour violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme.  

Coralie Mollaret

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