PIÉMONT CÉVENOL Fabien Cruveiller : "Ce qu'on veut incarner et défendre, c'est une ruralité moderne"
Président de la Communauté de communes Piémont cévenol - qui doit adopter ce soir, à Lédignan, son budget primitif - Fabien Cruveiller revient sur les grandes lignes de celui-ci. La Communauté de communes, que préside le maire de Cardet, fête ses dix ans cette année.
Objectif Gard : Dans un contexte d'inflation, qui pèse peut-être plus sur une petite communauté de communes que sur les agglomérations, que reste-t-il comme marge de manoeuvre ?
Fabien Cruveiller : C'est justement tout ce qu'on doit faire en 2023, une fois voté ce budget : repenser notre modèle où la compression des dépenses nous échappe désormais. Il y a un bouquet de possibles, même si bien sûr il ne faut pas aborder la fiscalité sur un bout de table, en dix minutes. Il y a des services qu'on a absorbés lorsque l'État s'est désengagé, qu'on ne facture pas aux communes et qui, aujourd'hui, peuvent être une piste de réflexion. Une piste partagée avec les collègues maires. Le Piémont cévenol a dix ans. Passé le temps de la construction et de la structuration, celui des projets et du développement durable arrive maintenant. Pour y parvenir, il faut réfléchir à l'exercice de nos compétences, à l'exercice des services qu'on rend aux communes et à nos administrés.
"Les stratégies de réorganisation, d'optimisation des moyens, de mobilité interne, ont touché leurs limites"
Cela veut dire se recentrer uniquement sur ses compétences obligatoires ?
C'est tout le débat qu'on doit avoir. Pour moi, il faut qu'on arrive à porter nos compétences, rien que nos compétences, mais toutes nos compétences. La communauté de communes est née en 2013 et a additionné toutes les compétences prises par les trois communautés d'alors - Cévennes-Garrigues, autour de Lédignan et Coutach-Vidourle. En 2019, la loi nous a filé le Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) ; en 2026, on va nous filer l'eau et l'assainissement. Entretemps, l'État s'est désengagé sur l'urbanisme, donc on a récupéré l'instruction des autorisations. Puis, il y a les besoins d'un territoire, comme les centres de loisirs du mercredi, le développement des crèches, etc. On voit bien, aujourd'hui, que les stratégies de réorganisation, d'optimisation des moyens, de mobilité interne, ont touché leurs limites.
Comment, alors, dégager des possibilités d'action ?
Il existe des perspectives sur une matière brute que sont les bases de la fiscalité - ce qui n'a rien à voir avec les taux. Aujourd'hui, on sent qu'il peut y avoir des inéquités, des injustices. Avant même d'aller plus loin, il faudrait qu'on parvienne à comprendre qui paie quoi ? Et comment ? L'exemple type - que beaucoup d'intercommunalités ont abordé - c'est la contribution financière des entreprises (CFE). Nous, on a gardé un taux cohérent, en dessous de la moyenne départementale. On a travaillé sur les tranches de chiffre d'affaires : pour la CFE, on s'est rendu compte qu'on appliquait un taux sur une base identique, que l'entreprise fasse 500 000 € ou 30 000 € de chiffre d'affaires. On a rétabli l'équité fiscale, et donc fait venir des recettes dont on a besoin. C'est un exemple parmi d'autres mais sur les seules bases, on prend 700 000 € de plus.
"Si le Piémont cévenol doit s'inscrire dans la durée, on ne doit pas dilapider notre épargne"
Pour autant, ces recettes vous suffisent-elles à financer de l'investissement pour le territoire ou de nouveaux équipements ?
En 2013, le territoire et la destination touristique n'existaient pas. Aujourd'hui, le territoire est identifié, ses activités de pleine nature sont idéalement placées entre Nîmes la Romaine, le Pont du Gard, la Camargue et les Cévennes. On est connus et reconnus, on a des atouts comme Sauve... Et notre projet de territoire repose sur les services publics de proximité, le développement économique, la promotion de l'identité du territoire et son aménagement durable. Il faut donc des équipements structurants qui répondent à des besoins bien identifiés, depuis 2017. On voulait donc, autour de Quissac, créeer un "phare" avec le centre aquatique intercommunal, qui a vocation à accueillir les écoles, les familles et les touristes. On l'ouvre cette année, il a été subventionné à plus de 50 %, le reste provient surtout de notre autofinancement et un peu d'un emprunt. Les sentiers de randonnée, on est passés de 250 à 500 kilomètres, avec le Département qui fait les voies vertes. On installe une maison France services itinérante. Et puis, il y aura un équipement à destination des enfants sur le bassin cigalois. Enfin, sur le secteur de Lédignan, la réhabilitation d'une déchèterie. Ajourd'hui, notre épargne est à 2,4 millions, elle était de 3,8 millions l'an dernier mais on a payé la piscine avec ça... Pour la suite, si le Piémont cévenol doit s'inscrire dans la durée, on ne doit pas dilapider notre épargne. Mais effectivement, l'exercice d'arbitrage entre élus va nous occuper tout 2023.
Dix ans, est-ce l'âge, aussi, où on s'interroge une nouvelle fois pour savoir si on a une bonne superficie d'intercommunalité, s'il ne faudrait pas être plus grand pour drainer plus de moyens ?
À ce jour, le Piémont cévenol a toute légitimité pour continuer à se structurer, se développer, exister, en autonomie. Il n'y a pas lieu de précipiter une quelconque réforme territoriale. Pour moi, le cap n'est pas là.
Dit autrement, est-ce que les charges ne deviennent pas trop importantes pour une communauté de communes de taille moyenne, comme l'est celle du Piémont cévenol (un peu plus de 22 500 habitants, NDLR) ?
Je dirais que nous avons les qualités de nos défauts et les défauts de nos qualités. L'exercice démocratique est très intéressant à l'échelle d'une communauté de communes. Moi-même, je suis maire d'une petite commune à l'échelle du territoire, avec quatre bourgs centre qui font office de pôles de centralité, et qui irriguent des espaces en services publics. Une communauté de communes est un espace de mutualisation, de solidarité et de co-construction. Et on laisse des compétences aux communes.
Mais à des petites communes... Le risque n'est-il pas de créer des intercommunalités à deux vitesses, entre celles qui ont des moyens et les autres ?
Je n'ai pas l'impression qu'on soit en retard. Je pense plutôt qu'il y a une notion d'identité, de projet. Ce qu'on veut incarner et défendre, c'est une ruralité moderne. On est fidèles à un espace, une histoire, un terroir. Tout en prenant en considération les enjeux contemporains, comme l'environnement et les enjeux de service public. Il y a dix ans, on avait des communautés de communes de moins de 5 000 habitants. Aujourd'hui, on compte 22 500 habitants, 34 communes, on va voter un budget à 16 millions d'euros. Il n'y a pas de déséquilibre majeur.
Après le centre aquatique, quel sera l'investissement majeur du Piémont cévenol ?
L'ADN de notre communauté de communes, c'est le portage, en régie, d'une politique jeunesse volontariste qui maille le territoire, à travers quatre crèches, deux micro-crèches, un relais petite enfance (anciennement assistantes maternelles), quatre centres de loisirs ouverts toutes les vacances et les mercredis... On a une offre très performante et très structurée. C'est notre ADN, avec la gestion durable des déchets. Il y a la lecture publique, sur laquelle nous investissons beaucoup. Donc, au-delà des projets phares, nos investissements sont là, notre feuille de route tracée. La déchèterie de Saint-Bénezet et le pôle famille de Saint-Hippolyte-du-Fort sont les deux phares restants du projet de territoire. Tout en maintenant ce quotidien de services publics.
"Récupérer l'eau et l'assainissement, clairement, on s'en serait bien passé..."
La compétence eau et assainissement arrivera en 2026. On en parle beaucoup actuellement, notamment à propos de fuites importantes de nos réseaux d'eau potable tandis que la ressource globale diminue. L'incidence financière d'une telle reprise, est-ce une crainte pour la communauté de communes ?
Récupérer l'eau et l'assainissement, clairement, on s'en serait bien passé... Mais la loi, ce n'est pas nous qui la faisons, même si on espère qu'elle pourra évoluer vers une dimension optionnelle, qu'on ait le choix. Mais on se doit quand même de se préparer, accompagnés par le Département. Il n'y a pas de peur et de crainte mais des réalités. Certains sont endettés et ont des réseaux neufs, d'autres ne sont pas endettés mais ont des réseaux obsolètes. En tant que maire d'une commune exposée à ces enjeux de l'eau, je mesure comment ça se décline sur un territoire comme le nôtre, avec des syndicats, des délégations de service public, des régies... C'est un gros chantier.
Et vous ne craignez pas des montants d'investissement importants, notamment pour l'entretien des canalisations ?
Je ne voudrais pas faire la conclusion du débat avant que le débat ait lieu. On va faire appel à un bureau d'études pour un diagnostic qui expose la diversité des réalités sur le territoire, sur la qualité de l'eau, des réseaux, les châteaux, etc. Et sur l'assainissement. Comme aurait dit Raffarin, la route est droite mais la pente est raide... On a le devoir de faire ça en bonne intelligence.
"On peut effectivement considérer, sans trahir qu'il y un sujet entre le président de la communauté de communes et le maire de Saint-Hippolyte"
Justement, à propos de "bonne intelligence", comment se passent les débats au sein de l'assemblée, notamment avec Saint-Hippolyte-du-Fort, commune la plus peuplée du territoire mais avec qui les relations semblent compliquées ?
Comme j'ai eu l'occasion de le dire la semaine dernière, au moment du débat d'orientation budgétaire, il y a la volonté de travailler ensemble, comme avec les 33 autres communes. On fait vivre la conférence des maires, les commissions finances, celle sur les déchets, l'eau et l'assainissement, etc. On fait vivre le débat démocratique mais, effectivement, il y a des divergences de point de vue, et c'est normal. Il y a quand même des directions et des perspectives qui sont trouvées. Je trouve que les élus du Piémont cévenol sont vraiment mobilisés, conscients, lucides et responsables. Ils s'expriment.
Pour autant on ne peut pas dire que vos relations soient au beau fixe avec les élus de Saint-Hippolyte-du-Fort... L'opposition de la plus grosse commune n'est-elle pas un inconvénient pour travailler correctement ?
Je crois que le rôle d'un président de communauté de communes, c'est en permanence de chercher l'efficacité, sans se noyer dans des débats stériles. Il n'y a pas un chiffre qu'on n'a pas discuté, calculé. Mais effectivement, nous avons une opposition systématique de M. le maire de Saint-Hippolyte-du-Fort. Pour autant, les élus cigalois et les Cigalois, on travaille avec eux et les élus de St-Hippo participent à nos commissions. L'équation cigaloise aurait dû rester cigaloise... Avec Bruno (Olivieri, maire de Saint-Hippolyte-du-Fort, NDLR), on se connaît par coeur... Mais on peut effectivement considérer, sans trahir qu'il y un sujet entre le président de la communauté de communes et le maire de Saint-Hippolyte.
Si on se projette à plus long terme, le projet de parc photovoltaïque à Liouc est-il toujours d'actualité ?
Sur le Piémont cévenol, on a 28 projets photovoltaïques, de 5 hectares à 50. Le problème - et c'est général - c'est qu'on a du mal à sortir ces projets, qu'il y a toujours un problème quelque part. Le schéma de cohérence territoriale (SCoT, *) va nous aider à articuler tout ça. Mais ce serait aussi important pour nous pour avoir des retombées économiques. À Liouc, c'est en fait un projet d'éco-parc, où on a tout à la fois une zone d'activités économiques, une entreprise de recyclage de plastiques agricopes souillés, un parc photovoltaïque et une centrale hydrogène. C'est un projet global, certaines parties iront plus vite que d'autres.
Le mammouth de Durfort, restauré, va bientôt réintégrer la galerie d'évolution et d'anatomie comparée au Muséum national d'histoire naturelle. Le maire souhaiterait avoir, dans sa commune, éventuellement un espace muséal dédié. Est-ce un sujet dont la communauté de communes peut s'emparer ?
De toute évidence, le mamouth de Durfort, et sa renommée, constitueront un atout touristique et pédagogique pour le territoire. C'est tout ce que je peux dire à ce stade.
(*) Le SCoT sera discuté, dans une première réunion publique, le 12 avril à 18h, à Quissac.