FAIT DU JOUR "Taxe lapin", bonne ou mauvaise idée ? Les médecins gardois donnent leur avis
Le Premier ministre, Gabriel Attal, souhaite que la "taxe lapin" soit instaurée comme c'est déjà le cas en Belgique ou en Suisse. Les patients qui n'honorent pas leur rendez-vous chez le médecin, sans prévenir 24h avant, pourraient être débités de 5 € de pénalité. Mais qu'en pensent les professionnels de santé gardois ?
Samedi 6 avril, Gabriel Attal a précisé plusieurs mesures pour améliorer l'accès aux soins des Français. Parmi les points abordés, figurait la "taxe lapin" qui consiste à faire payer les patients qui n'honorent pas les rendez-vous chez le médecin. Le Premier ministre a indiqué, selon nos confrères de France Info : "Si le patient ne vient pas à son rendez-vous, sans un délai de prévenance de 24 heures, le médecin pourra le débiter d'un montant de 5 euros en tant que pénalité pour le lapin qui lui a été posé." Le montant reviendrait au médecin mais la manière dont serait prélevée cette somme reste encore à définir et présente un sujet qui pose difficulté.
La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a avancé le chiffre de 27 millions de consultations perdues chaque année en France. Chiffre qui serait issu d'une étude régionale menée en 2022 par l'union régionale des professionnels de santé (URPS) d'Île-de-France et qui aurait été multiplié pour arriver à un résultat national, toujours selon France Info. Fiable ou pas, le résultat n'élude pas ce phénomène de "lapins", bien réel dans les cabinets de médecine. Frédéric Jean, généraliste nîmois et président de l'Ordre des médecins du Gard, le confirme : "Des patients qui ne viennent pas au rendez-vous, j'en ai presque tous les jours. Souvent, il y a une raison, parfois, il n'y en a pas du tout."
Cela arrive quand le temps est grand entre la prise de rendez-vous et la date effective. Mais aussi avec des patients qui prennent rendez-vous dans la journée et se présentent pas. Le médecin essaie au maximum de remplir les plages horaires vides avec d'autres consultations. Mais dans certaines spécialités, c'est quasiment impossible de pallier ces absences inopinées ou signalées quelques heures à l'avance.
"C'est du temps médical gaspillé, alors qu'il est particulièrement précieux aujourd'hui"
Pour ces rendez-vous qui restent vacants, "c'est du temps médical gaspillé, alors qu'il est particulièrement précieux aujourd'hui", déplore Frédéric Jean. En effet, plusieurs territoires souffrent d'une pénurie de médecins, comme à Pont-Saint-Esprit où il ne reste qu'un seul généraliste pour une ville de 10 500 habitants. Le Dr Frédéric Jean lui-même est en cumul emploi-retraite pour continuer à suivre ses patients au Mas de Mingue, à Nîmes. Il y a 15 ans, ils étaient sept médecins, aujourd'hui, ils ne sont plus que deux alors que la population a augmenté, nous avait-il confié récemment. Forcément, l'équation donne des rendez-vous médicaux plus difficiles à obtenir et des délais qui s'allongent.
C'est pourquoi, le généraliste nîmois estime que toute mesure pouvant lutter contre les rendez-vous non-honorés est bonne à prendre. Mais il reste sceptique sur la mise en pratique de cette "taxe lapin" : "Pour l'instant, ce n'est pas très abouti. (...) Les médecins ne sont pas tous sur les plateformes et je ne suis pas sûr que ça puisse résoudre tout à fait le problème." Frédéric Jean craint aussi que cette mesure puisse mettre en péril l'accès aux soins : "Il y a les inciviques qui gaspillent du temps médical, c'est une chose. Mais il ne faut pas empêcher les gens qui n'ont pas les moyens d'accéder aux soins. Ces 5 € peuvent constituer un frein à la prise de rendez-vous pour certains." Et quid des patients en situation d'illectronisme ou qui n'ont pas de carte bancaire ?
"Ça ne coûte rien de prévenir"
Les patients aussi sont dubitatifs, notamment Marco, rencontré aux Halles de Nîmes : "Je pense que cette taxe peut être appliquée à ceux qui ont l'habitude de ne pas se présenter mais pas à ceux qui ont de bonnes raisons très occasionnellement. Mais je suis contre car pour toute prise de rendez-vous, on devra donner son empreinte bancaire et ça c'est vraiment un problème, surtout pour les personnes âgées mais pas que." A contrario, Martine penche plutôt en faveur de la mesure : "Avec les longs délais que l'on a parfois pour prendre rendez-vous, surtout chez un spécialiste, je ne trouve pas ça choquant. C'est une question de respect pour les autres personnes et pour le docteur. Et ça ne coûte rien de prévenir que l'on ne peut pas honorer son rendez-vous", prône-t-elle. Il est d'ailleurs possible d'annuler très facilement une consultation sur la plateforme Doctolib et cela permet à d'autres personnes de récupérer ce créneau. Force est de constater que c'est loin d'être toujours le cas.
Pour Michel Yacono, pneumologue depuis plus de 30 ans à Nîmes, il y a peut-être derrière ces "lapins" un "problème d'éducation médicale" et des personnes trop "habituées à ce que la santé n'ait pas de prix (et soit remboursée, NDLR)". Une vision partagée par Élodie Le Buzullier, installée comme généraliste à la maison de santé de Sauve depuis cinq ans. Elle analyse : "Il y a de l'oubli, il y a une certaine légéreté, tout est devenu consommation. Il y a moins de respect vis-à-vis des professionnels de santé. Et d'un autre côté, il y a des gens qui sont en manque criant de soins. On se retrouve dans une situation à deux vitesses."
Grand flou sur la mise en place
Michel Yacono doute que la somme de 5 € soit assez chère pour être dissuasive. Le pneumologue nîmois y voit surtout un "effet d'annonce" du Gouvernement. Comme son confrère généraliste, Frédéric Jean, il se demande comment ce système pourrait être mis en place sans générer "de surcharge administrative" pour les secrétaires médicales et les médecins et sans entrer dans "une démarche très commerciale", d'autant que Doctolib ne souhaite a priori pas enregistrer systématiquement les coordonnées bancaires des patients. "Comment faire revenir un patient pour payer une taxe alors qu'il n'est déjà pas venu ?", pointe Élodie Le Buzullier.
Michel Yacono ne pense pas que cette "taxe lapin" règlera le problème, mais estime plutôt que les "médecins connaissent leurs patients, et savent s'il s'agit d'un empêchement ou si la personne n'a pas réussi à joindre le standard." Néanmoins, le spécialiste reconnaît qu'il y a un véritable sujet autour des rendez-vous non-honorés. Lui et ses quatre confrères pneumologues peuvent en comptabiliser entre 5 et 10 suivant les jours, alors que leurs délais d'attente pour avoir un rendez-vous avoisinent les 6 mois.
Faire face "à la pénurie" ?
Même s'il s'agit d'une mesure souhaitée depuis longtemps, la priorité est ailleurs aux yeux d'Élodie Le Buzullier : "Les mesures proposées par le Gouvernement ne vont pas augmenter le temps médical, ne vont pas augmenter la disponibilité pour les patients. Le problème est sur l'attractivité, il faut que des médecins s'installent et rien n'est fait pour cela." D'autres mesures énoncées par Gabriel Attal seraient même contre-productives selon elle et plusieurs autres médecins, notamment l'accès direct aux spécialistes "déjà surbookés".
Le risque serait que des patients, dont l'état de santé ne nécessite pas de spécialiste, "bloquent encore des rendez-vous à d'autres personnes qui ont besoin. Chez nous, on soigne des cancers, des insuffisances respiratoires, des asthmes sévères... Il faut d'abord voir le médecin généraliste car c'est la pierre angulaire du système de santé et lui pourra évaluer le niveau d'urgence, quitte à orienter vers un spécialiste", raisonne le pneumologue nîmois. Il perçoit dans ces annonces une tentative "de gérer la pénurie", notamment en relevant le nombre de places en 2e année de médecine. Un nombre d'admissions qui avaient beaucoup chuté pendant plusieurs dizaines d'années, avec le numerus clausus maintenant supprimé. Quand Michel Yacono a passé le concours en 1978, il y avait "330 places en Languedoc-Roussillon, les années les plus basses, c'est descendu à moins de 150", conclut-il.