FAIT DU JOUR Simon Cossus : « la vraie politique énergétique se fait dans les territoires »
Diversement, comme nous l’écrivions il y a moins d’un mois, avec une forte percée du photovoltaïque mais une énergie éolienne à la traîne. Pour aller plus loin, nous avons posé quelques questions à Simon Cossus, directeur général de la coopérative Enercoop Languedoc-Roussillon.
Enercoop se présente comme un réseau de coopératives fournissant une énergie 100 % renouvelable. Qui êtes-vous, et comment faites-vous ?
Nous sommes dix coopératives, une nationale et neuf locales. Enercoop est un projet qui cherche à remettre l’usager, les producteurs et les collectivités locales autour d’une table pour avancer ensemble sur la transition énergétique. Nous fournissons une énergie achetée à des producteurs d’énergie renouvelable aux quatre coins de la France, avec pour garantie pour chaque kilowatt/heure livré, un kilowatt/heure acheté à un producteur d’énergie renouvelable.
Nous avons 150 producteurs et, depuis 2010, des coopératives locales se sont développées avec l’idée de monter des projets participatifs dans les énergies renouvelables. Par exemple, nous avons soutenu le projet des Survoltés d’Aubais. Nous ne nous opposons pas aux grands industriels du secteur, on vient apporter quelque chose en plus.
« C’est plus cher, mais nous avons un produit de qualité »
Qui sont vos producteurs d’électricité ? Des entreprises ? Des particuliers ?
Il faut savoir que tout le monde a toujours pu devenir producteur d’électricité. Pour des questions d’équilibre économique, des mécanismes ont été mis en place pour subventionner le kilowatt/heure produit et, pour en bénéficier, il fallait vendre obligatoirement à une filiale d’EDF. Depuis l’an dernier c’est ouvert aux autres opérateurs et Enercoop a été le premier à pouvoir acheter cette énergie. Nous sommes aujourd’hui en train de développer des outils pour pouvoir accueillir plusieurs milliers de petits producteurs.
Pour l’instant, nos producteurs ne sont pas des particuliers, ce sont plutôt des petites entreprises familiales, à 85-90 % dans l’hydroélectrique. Le tout dans le respect d’une charte mise en place par les consommateurs, les sociétaires, car tout ce qui est renouvelable n’est pas forcément écologique.
Concrètement, votre électricité est-elle plus chère que celle des vos concurrents ?
Le kilowatt/heure chez nous est plus cher, il est même le plus cher du marché français, par contre il reste inférieur à la moyenne européenne. Nous avons un produit de qualité d’un point de vue environnemental et social. Nous savons pourquoi il est plus cher. Après, nous mettons des outils en place pour aider nos clients à baisser leur consommation : en moyenne nos clients baissent leur consommation de 20 %, alors que notre kilowatt/heure est plus cher de 15 %, donc passer chez nous ne coûte pas forcément plus cher.
Combien de clients comptez-vous en ex-Languedoc-Roussillon, et dans le Gard ?
On approvisionne 3 500 compteurs en ex-Languedoc-Roussillon, dont un tiers environ dans le Gard. On a des taux de croissance de 30 à 40 % selon les années. Nous sommes en pleine expansion. 100 000 clients quittent EDF chaque mois et une partie vient chez nous !
« Les opposants aux éoliennes sont efficaces, mais jouent sur la peur, avec énormément de faux arguments »
De votre point de vue, comment se portent les énergies renouvelables localement ?
Déjà, on ne peut pas dire qu’elles se portent mal. Surtout après la période tendue qu’on a connue entre 2010 et 2015 où il y a eu un trou d’air pour le photovoltaïque. Aujourd’hui, le photovoltaïque devient super rentable et très intéressant. D’autant plus si des solutions de stockage émergent. Par contre, dans la région, on pourrait produire beaucoup plus d’éolien, notamment dans le Gard, alors qu’on a énormément de potentiel.
Pourquoi l’éolien est-il à la traîne ?
On reproche aux éoliennes de ne pas être belles, les goûts et les couleurs sont éminemment subjectifs. Il y a aussi le fait qu’on ne peut pas en faire partout. Il y a de nombreuses contraintes réglementaires avec les couloirs aériens, les radars météo, les zones de protection des centrales nucléaires… Et ce n’est pas une priorité stratégique pour l’État. C’est un peu le parent pauvre de l’énergie renouvelable.
Pour le photovoltaïque, l’instance des permis de construire est relativement simple, alors que les parcs éoliens sont classés ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement, ndlr). À juste titre car il s’agit d’équipements industriels nécessitant d’être encadrés. Tout ça fait que pour un parc éolien, l’étude d’impact fait mille pages, cinq mille avec les annexes. Sans compter que chaque projet fait l’objet d’un recours. Les opposants sont efficaces mais jouent sur la peur, avec énormément de faux arguments avancés notamment par Vent de Colère. Il est plus facile de faire ça que de faire comprendre que l’éolien est une bonne solution, même si elle n’est pas la seule, pour avancer sur la transition énergétique.
Justement, quelle est la meilleure source d’énergie renouvelable ?
La meilleure, c’est le watt qu’on ne consomme pas. Il n’y a pas de meilleure source, chacune a ses spécificités, ses avantages et ses inconvénients. Ce qu’il faut, c’est une mosaïque, un mix énergétique à mettre en face de nos besoins. Repenser la production c’est aussi se dire qu’on n’est plus là pour uniquement satisfaire les besoins, mais aussi pour changer les modes de consommation. Pour y arriver, on fait un gros travail d’« évangélisation » avec une centaine d’événements par an en région sur la transition énergétique.
« L’État n’a pas de stratégie énergétique »
La solution passerait donc par une production plus décentralisée.
C’est le sens de l’histoire. On est en interdépendance. Il y a peut-être une confusion entre autonomie et autarcie, on oublie peut-être un peu que le réseau électrique est un formidable outil de solidarité.
Qu’attendez-vous de l’État au niveau politique énergétique ?
J’ai appris à ne rien attendre de l’État, si ce n’est pas trop de bâtons dans les roues. Aujourd’hui, l’État n’a pas de stratégie énergétique. Je pense que la vraie politique énergétique se fait dans les territoires. Je suis très marqué par la posture actuelle de la Région, qui veut être une Région à énergie positive, avec une vraie stratégie de développement économique. Elle le fait vraiment. Alors je n’attend plus rien de l’État, mais en Région et localement des gens avancent. Je n’aurais pas pu le dire il y a cinq ans mais aujourd’hui c’est une réalité. C’est rassurant de voir que les territoires se reprennent en main.
Propos recueillis par Thierry Allard