GARD Le chorégraphe et danseur Sadeck Berrabah : artisan de sa vie
De maçon à danseur professionnel, Sadeck s’est construit tout seul. À force de jouer des coudes, au sens propre comme au figuré, le Gardois d’adoption âgé de 32 ans a réussi à se faire une place sur la scène internationale.
Connexion. À lui seul, ce mot pourrait résumer le parcours de Sadeck Berrabah. L'artiste gardois a fait de la danse une passion et de sa passion un métier. Un pas après l'autre, il a gravi les marches dans le sillage de la reconnaissance. Une ascension lente, parsemée d'embûches mais ponctuée de belles surprises. Dès l'enfance, la danse a rythmé la vie de ce fan de Michaël Jackson. On imagine alors Sadeck, haut comme trois pommes, les yeux rivés sur son téléviseur, imitant le roi de la pop. Quelques années plus tard, il se tourne vers le hip-hop et déjà le jeune Mosellan impose son originalité. «Le hip-hop n'avait pas une bonne image auprès du public et souffrait de préjugés, se souvient-il. Il a fallu du temps, mais ça a fini par changer. Les shows de rue ont notamment contribué à obtenir la reconnaissance du public. Tout le monde a pu se rendre compte du sérieux et de la rigueur des danseurs.»
De battle en battle, Sadeck se fait un nom dans le milieu de la danse sans pour autant raccrocher son bleu de travail. L'homme a les pieds sur terre et n'envisage pas de lâcher ses activités de maçon et plombier tant son rêve lui semble inaccessible. C'est d'ailleurs pour des raisons professionnelles qu'il débarque dans le Gard, à Nîmes en 2010. Pas question pour autant d'abandonner son art que ce soit dans les rues de la Cité des Antonin ou lors de cours que l'autodidacte anime à l'école Virginie Tempo Danse ou encore au studio Innov Dance dans le quartier Montcalm. «Au fur et à mesure, mon nom a grandi. J'ai été appelé pour participer à des compétitions un peu partout dans le monde. » La demande est telle que finalement Sadeck n'a d'autre choix que de tirer un trait sur la maçonnerie et la plomberie afin de poser de solides fondations à sa carrière de danseur.
Une seule vidéo a fait l’effet d’une bombe
Son style plaît. Le Gardois d'adoption articule son corps à la manière d'un robot, inspiré par le tutting, une branche du popping, une danse qui trouve ses origines du côté Ouest des États-Unis. « J'y ai mixé plusieurs influences pour créer mon propre univers : Géométrie Variable.» Le Montpelliérain Ammar Benbouzid et Sadeck Berrabah sont à l'origine de ce mouvement géométrique, poétique et hypnotisant, qui s'est fait connaître via les réseaux sociaux. Une seule vidéo a fait l'effet d'une bombe. Dès le lendemain de sa diffusion, elle cumulait plus d'un million de vues. « C'était en avril 2017. Nous n'imaginions pas l'ampleur que cela allait avoir. Je voulais absolument de la géométrie dans les mouvements, que nous soyons connectés du début jusqu'à la fin de la chorégraphie. La vidéo a plu au point de faire le tour du monde », lâche-t-il presque gêné.
À partir de ce moment-là, la toile a fait son travail, permettant au duo de tisser un réseau. Les premiers contrats tombent pour des spots publicitaires, des clips vidéo. Les Géomètres - ils sont désormais cinq - ont collaboré avec G-Star, Google, HP, Swatch, Diesel, Mélérios, Moment Factory, Mohombi et David Hallyday. Toujours en 2017, le groupe participe à l'émission La France a un incroyable talent diffusée sur M6 et parvient jusqu'en finale. Dans le public, Neylia, 4 ans, n'avait d'yeux que pour son papa, rêvant pouvoir un jour danser à ses côtés, devant les caméras. En 2020, le duo père-fille crève le petit écran et accède aux demi-finales dans la version française d'un incroyable talent et à la finale dans la version espagnole de cette même émission.
«C'est devenu naturel de danser ensemble. Quant à savoir si la relève est assurée, je ne sais pas. En tout cas, je ne la force pas. Elle fera ses choix. Elle n'a que 9 ans », tempère Sadeck. En attendant de savoir si elle marchera dans les pas de son papa, la jeune fille peut suivre ses aventures artistiques sur les réseaux sociaux, comme peuvent le faire les fans qui se comptent par milliers. Parmi eux, pouvait-on, pouvait-il s'en douter, Shakira. La chanteuse colombienne ne s'est pas contentée d'observer le phénomène Géométrie Variable. « J'ai été contacté en juin 2020 par l'équipe de Shakira pour le tournage d'un clip.J'ai été très surpris. À la base, je devais juste composer la chorégraphie de ses danseurs. » Juste cela, excusez-nous du peu. Oui mais voilà, la covid-19 est venue perturber les plans de la star latine et a fortiori ceux de l'artiste gardois. Mais à la fin du mois d'août, un nouveau coup de fil a finalement permis de conclure un autre deal. «Elle me voulait dans l'équipe entant que chorégraphe et danseur. Jibril Maillot, un autre membre de Géométrie Variable, m'a accompagné.»
Rendez-vous chez Shakira et Gerard Piqué
Ainsi, c'est dans le clip de la chanson Girl like me interprétée par Shakira et les Black Eyed Peas, qu'apparaissent Sadeck et Jibril dans une chorégraphie très précise et articulée autour de mouvements géométriques. Le Gardois se permet même d'y mêler la chevelure de la chanteuse. «Ça a été un honneur de travailler avec Shakira. Une grande danseuse, une grande artiste. C'est une personne très gentille, très accessible, simple. Tout s'est fait très naturellement avec elle.» Il se rappelle la rencontre avec la star mondiale à l'occasion du tournage qui a eu lieu à Barcelone. « Dès le premier jour, elle nous a invités à manger des sushis dans sa villa. Elle a su nous mettre à l'aise très rapidement. Jibril, qui est fan du FC Barcelone était fou », s'amuse Sadeck. Shakira est en effet en couple avec le footballeur catalan du Barça, Gerard Piqué, depuis une dizaine d'années. « Nous sommes restés une semaine à Barcelone. Une semaine très enrichissante artistiquement parlant.»
D'une star à une autre, dans le cadre de l'émission américaine World of dance, les Géomètres ont également fait danser Jennifer Lopez, un autre poids lourd de la pop made in USA. Les Frenchies ont marqué le show jusqu'en finale. Sadeck a également signé la chorégraphie et dansé dans le dernier clip de Zaho "Doucement", en plus de s'être une nouvelle fois remarquer dans l'émission "La France a un incroyable talent". Le Gardois d'adoption et les Mega Unity avaient atteint la finale de la compétition grâce à un Golden buzzer de Sugar Sammy. Hier, mercredi 22 décembre, leur performance a été très remarquée, ils sont montés sur la deuxième marche du podium, juste derrière le Choeur de Saint-Cyr. Il a aussi créé une chorégraphie pour les JO de Paris 2024.
Géométrie Variable travaille sur la création d'un nouveau spectacle intitulé Algorythme. Et parce que c'est un collectif, chacun apporte sa touche à la chorégraphie de ce show qui fait suite à Labora, un essai chorégraphique, pensé comme un véritable feu d'artifice, dans lequel les cinq danseurs s'appuyaient sur une musique aux nappes profondes, aux mélodies intelligentes pour faire voyager le public. Le groupe avait alors sillonné les scènes d'Europe (le Sadler's Wells de Londres, le Delamar Theater d'Amsterdam, l'opéra de Berlin Staatsoper Unter den Linden). Entre danser et faire danser, le choix s'impose comme une évidence pour le Gardois. «Faire danser est un plus. Mais la finalité de mon travail, c'est de montrer mon spectacle, de faire en sorte qu'il puisse tourner. Avec les artistes, c'est certes prestigieux, mais éphémère aussi.» Connecté à ses rêves, mais aussi à la réalité, à la danse et aux réseaux sociaux, Sadeck Berrabah poursuit son chemin, la passion au cœur, l'envie dans les yeux et le tout le prend aux tripes.
Stéphanie Marin