NÎMES David Thomson : "Daesh cherche à faire venir tout le monde, surtout des étrangers"
Le journaliste de RFI David Thomson, spécialiste de la question djihadiste, a donné une conférence-débat à Nîmes hier après-midi à l’invitation du Club de la presse et de la communication du Gard.
Devant une salle de la Maison du Protestantisme garnie de près de 80 personnes, parmi lesquelles un élu lunellois ou encore l’imam de la mosquée de Bagnols Mahjoub Mahjoubi, le journaliste a décrypté le phénomène djihadiste, un phénomène qui touche durement la ville de Nîmes, et se dit lui-même « plutôt fataliste. »
« Ça peut se passer très vite »
Correspondant de la radio publique en Tunisie et en Lybie au lendemain du printemps Arabe, David Thomson a pu rencontrer des jeunes partis en Syrie, revenus pour certains, morts depuis pour d’autres. « Quelque soit le pays de provenance, les profils et leur variété sont les mêmes. En France, la majorité vient des quartiers populaires, d’autres des classes moyennes, voire moyennes supérieures », décrit le journaliste, citant l’exemple d’un Français d’origine marocaine, « parfaitement inséré dans la vie active, prothésiste dentaire qui gagnait 2 500 euros par mois. Mais il avait cette idée qu’en France, il se heurterait toujours sur un plafond de verre, qu’il ne pourrait pas aller plus haut. On retrouve souvent un sentiment d’humiliation. »
Pour autant, « ce sentiment d’islamophobie ne justifie pas tout », poursuit le journaliste en citant l’exemple tunisien, pays le plus touché par les départs en Syrie. « Certains sont persuadés qu’on est à l’aube de la fin des temps et qu’il faudra à ce moment là être en Syrie, aux côtés des djihadistes. »
Cependant, il ne s’agit pas de fous : « il y a eu une erreur d’appréciation des autorités françaises, qui pensaient qu’on n’avait à faire qu’à des fous, affirme David Thomson. Beaucoup d’entre eux sont dans une démarche complètement rationnelle, je n’ai pas l’impression d’avoir à faire à des fous. » Et la radicalisation « peut se passer très vite, prévient-il. J’ai connu un couple qui m’a dit ‘tournons le dos à cette société matérialiste et partons en Syrie’, deux cas de jeunes partis rejoindre un frère sans avoir de notions religieuses. » Une radicalisation très rapide qui confine au bourrage de crâne, avec pour beaucoup « une pratique religieuse récente, cette idéologie répond à leurs frustrations, les rassure, les apaise, affirme David Thomson. Ils l’apprennent sur des PDF en français, c’est la grande nouveauté, depuis 4 ou 5 ans la propagande djihadiste s’adresse aux candidats dans leur langue nationale, avec une dimension industrielle depuis 2012. » Quant aux mosquées françaises, ceux qui sont partis en Syrie ne les fréquentaient pas, « tous considèrent que les mosquées françaises ont trahi le message de l’Islam et fabriquent des mécréants. »
« Entre 40 et 50 sont partis de Nîmes »
Aujourd’hui, Daesh est dans une politique de recrutement de masse — « ils cherchent à faire venir tout le monde, et surtout des étrangers » — et s’en donne les moyens. « Les témoignages révèlent une maîtrise des réseaux sociaux et des applications », note le journaliste de RFI, pour qui « cette propagande continue de se déverser d’une façon virale, sur Twitter notamment, sans que les autorités soient parvenues à trouver la parade. » Les chiffres cités par David Thomson sont éloquents : « Daesh a publié fin 2015 un bilan de sa production de propagande, avec 15 000 photos, 1 000 vidéos et 20 magazines. Le gouvernement a mis en place la plateforme Stop-djihadisme, avec 2 vidéos en un an. »
Quant à la déchéance de nationalité proposée par l’exécutif pour les terroristes binationaux, le journaliste estime qu’elle sera inefficace : « quand ils arrivent en Syrie, ils brûlent leur passeport français. »
D’après les chiffres du ministère, plus de 1 200 Français se trouveraient en Syrie, parmi eux, « entre 40 et 50 sont partis de Nîmes », affirme David Thomson, contre une quinzaine de lunellois. « Nîmes est très touchée mais on n’en parle quasiment pas, les nîmois sont sans doute plus discrets sur les réseaux sociaux que les lunellois », poursuit le journaliste. Tous ne reviendront pas : « à ma connaissance, trois d’entre eux sont morts. »
Et à l’heure de conclure son propos, le journaliste se fait plutôt pessimiste sur la situation : « il y a eu des erreurs d’analyse de 2011 à 2013 et malheureusement, la France est condamnée à subir le choc. 2015 n’était que le début, quelque soient les mesures les services de renseignement vont pouvoir amoindrir le choc mais pas l’éviter. »
Thierry ALLARD