SCANDALES DE L’ÉTÉ La rocambolesque fin de règne de Gilbert Baumet à Pont-Saint-Esprit
Tout l’été, Objectif Gard vous propose chaque lundi de revenir sur les grands scandales qui se sont produits dans notre département. Pour cette première, place à la difficile fin de règne de Gilbert Baumet à Pont-Saint-Esprit, et ses suites judiciaires toujours en cours aujourd’hui.
Dimanche 30 janvier 2011. Les spiripontains sont appelés aux urnes pour des élections municipales anticipées. Et pour la première fois l’inoxydable Gilbert Baumet, maire depuis 1971, successivement ministre de Pierre Bérégovoy, président du Conseil Général du Gard, député, sénateur et conseiller général, est battu par un de ses opposants historiques Roger Castillon.
Le score est sans appel : 65,4 % pour Roger Castillon, 34,6 % pour Gilbert Baumet, pourtant réélu confortablement en 2008 face au même adversaire. Que s’est-il passé en trois ans pour provoquer un tel revirement ?
« La préfecture a dit ‘halte au feu’ »
Pour Roger Castillon c’est clair, « le déclencheur a été la hausse brutale des impôts. » Et selon celui qui a succédé à l’ancien ministre dans le fauteuil du maire de Pont, tout est parti de la gestion financière de son prédécesseur.
« Il y avait depuis 2006 une bagarre arbitrée par la Chambre Régionale des Comptes (CRC, ndlr), se souvient l’édile, alors dans l’opposition. La préfecture refusait le budget et demandait l’avis de la CRC, qui n’était pas suivi par l’équipe municipale en place. Le conflit s’est cristallisé en 2008 quand la préfecture a arrêté le budget et décidé d’augmenter les impôts, les spiripontains ont brusquement découvert une hausse de leurs impôts locaux de 56 % entre le 31 décembre 2008 et le 3 janvier 2009. »
Pour Roger Castillon, l’équipe Baumet a dérapé : « dès 1993 un rapport de la CRC évoquait des charges de personnel importantes, en 1998 pareil et en 2003 c’était sur le montant des travaux en régie. A partir du moment où un impôt raisonnable ne permettait plus de vivre normalement, il y a eu un détournement de manière déguisée de l’emprunt vers du fonctionnement. C’est de la cavalerie, la préfecture a dit ‘halte au feu’. »
Des manifestations et une démission surprise
A Pont, la brutale augmentation des impôts entre Noël et le jour de l’An ne passe pas du tout. « Ça a déclenché un mouvement de révolte important », narre Roger Castillon, qui organise alors une réunion publique devant 600 personnes avant une manifestation qui rassemble 2 500 personnes dans une ville de 10 000 habitants. Les opposants, avec en première ligne le Rassemblement des Contribuables Spiripontains, vont notamment occuper la mairie et manifester tous les samedis sur le rond-point le plus proche de la mairie durant pas moins de 65 semaines en continu, avec banderoles. Les conseils municipaux se font rares, et sont organisés sous haute protection.
Le climat, extrêmement tendu, débouche sur une surprise : la démission, notifiée le 4 septembre 2009, de Gilbert Baumet, officiellement pour raisons de santé. Mais le 28 septembre, le jour même de l’acceptation de sa démission par le préfet Hugues Bousiges, le maire démissionnaire se rétracte. Entretemps l’opposition démissionne en bloc, et provoque l’obligation d’organiser de nouvelles élections, planifiées pour novembre 2009 par la préfecture.
Seulement, Gilbert Baumet conteste et porte l’affaire devant le tribunal administratif de Nîmes, qui suspend les élections avant de donner raison à l’ancien ministre le 26 mars 2010. « On s’incline et on repart sur notre rond-point », se souvient Roger Castillon. Pour autant, le feuilleton n’est pas fini : l’Etat saisit le Conseil d’Etat, qui valide la démarche de la préfecture et donc la démission de Gilbert Baumet le 17 novembre 2010. La préfecture convoque des élections le 30 janvier suivant.
« Une affaire montée à base de mensonges et de manipulations politiques »
Pour Gilbert Baumet, toujours conseiller municipal mais dans l’opposition après la réélection de Roger Castillon en 2014, « c’est une affaire montée à base de mensonges et de manipulations politiques. » Et l’ancien maire de dénoncer « une affaire très très grave » avant de mettre en cause directement « le préfet Bousiges, un homme qui a également suivi l’affaire des chaussettes de Perpignan », un autre scandale, cette fois-ci de fraude électorale.
En attendant, quand Roger Castillon arrive aux affaires début 2011, il découvre une ville exsangue : « 22 millions d’euros de dettes cumulées, et 5 millions de factures impayées. » Et avec son équipe, il demande un rapport à la CRC, et analyse les différents dossiers de l’ancienne majorité avant de déposer deux plaintes qui valent à Gilbert Baumet de comparaître le 13 novembre prochain devant le tribunal correctionnel de Nîmes.
Roland Dumas et marchés publics suspects
L’affaire la plus connue est celle impliquant l’ancien ministre Roland Dumas, et un rapport qui lui a été commandé par la mairie sur « la validité juridique de l’extension de la vidéosurveillance » pour 8 343 euros. Un rapport dont l’opposition de l’époque, depuis arrivée aux affaires, ne retrouvera jamais. L’avis d’audience, que nous avons consulté, fait état de soupçons de détournement de fonds publics, les 8 343 euros ayant potentiellement servi à payer des honoraires de la défense personnelle de Gilbert Baumet à son avocat Roland Dumas. Sur ce point, Gilbert Baumet dément, évoquant « une affaire qui a été enflée, 8 000 euros, c’est moins cher qu’un billet d’avion ! » Quant à savoir s’il se présentera au tribunal avec ledit rapport, l’ancien maire botte en touche : « je n’ai pas à parler de ça maintenant. »
Le même jour, le tribunal correctionnel aura à se prononcer sur une affaire visant cette fois-ci des marchés publics, visant Gilbert Baumet, son ancien directeur général des services René Stefanini et trois entreprises spiripontaines. « Nous avons porté plainte pour infraction aux marchés publics », explique Roger Castillon, arguant plus de 700 000 euros de marchés passés sans marchés publics. « En arrivant, on a constaté que l’ancienne équipe faisait 4 ou 5 marchés publics par an, note le maire actuel. La première année, et sans se forcer, on en a passé 42. »
Des accusations que Gilbert Baumet balaie d’un revers de la main : « il n’y a pas d’histoire, et de toute façon je n’ai jamais été dans la commission d’appels d’offres, j’ai horreur de ces commissions de marchands de tapis. » L’ancien maire s’étonne également qu’« en 5 ans, il n’y a pas eu de juge, et je n’ai jamais été mis en examen » avant de se dire « très serein. »
Aujourd’hui inlassable opposant municipal, Gilbert Baumet confie attendre « avec intérêt le jour où la CRC viendra contrôler Pont-Saint-Esprit. Ce jour là je vais m’amuser. Il y avait de l’argent quand on est partis, et beaucoup ! Je ne lâche jamais, et un jour la vérité se saura. »
Thierry ALLARD