ENTREPRISE L'avocat Hervé-Georges Bascou : "Je n’ai jamais eu autant de contentieux violents depuis début 2021"
Hervé-Georges Bascou, avocat nîmois, conseil d’entreprise, docteur en droit, spécialiste en droit du travail et risques psychosociaux revient pour Objectif Gard sur la situation des entreprises, en sortie de crise et de confinement.
Objectif Gard : Selon une enquête, chez les salariés français, les dépressions seraient de plus en plus nombreuses, qu’en est-il exactement ?
Hervé-Georges Bascou : Vous devez me parler des résultats dévoilés le 23 mars 2021 par le cabinet Empreinte Humaine sur l’état de la santé psychologique des salariés français. Ils indiquent notamment que le taux de dépression nécessitant un traitement explose passant de 21% à 36%. Paradoxalement, le niveau de détresse psychologique - qui est l’antichambre de la dépression - des salariés français perd heureusement du terrain par rapport à décembre 2020 (- 45%). Un constat s’impose : il existe un climat de tension de plus en plus visible qui m’avait d’ailleurs amené à conseiller aux chefs d’entreprises d’une part, de se faire « coacher » à titre personnel et d’autre part, d’apporter, dès le mois d’avril 2020, un soutien psychologique à leurs salariés. D’ailleurs de nombreuses entreprises le font dans le cadre de leur obligation de sécurité ; ils doivent préserver leur santé physique et mentale. Ce qui m’inquiète, c’est le chiffre de 10% des salariés interrogés, qui redoutent même qu’un collègue de travail agresse physiquement d’autres personnes ; le drame dans les Cévennes est un exemple des tensions existantes. Je n’ai d’ailleurs jamais eu en 35 ans d’expérience autant de contentieux violents depuis le début de l’année 2021.
Quels sont les salariés les plus impactés ?
Il y a, vous vous en doutez, les jeunes salariés de moins de 29 ans – dont 62% se jugent en détresse psychologique - et les femmes – 53% sont en détresse psychologique ! Ces chiffres sont particulièrement inquiétants. Concernant les télétravailleurs, comme je l’ai écrit il y a quelques semaines (« le télétravail à temps plein est dangereux pour les salariés et les employeurs »), ils sont les plus exposés aux risques psychosociaux : 49% se disent en détresse psychologique contre 43% pour les salariés qui travaillent sur sites. Il va falloir que nos dirigeants pensent autrement et n’imposent pas, à tout prix, le télétravail sédentaire même lorsque la situation sanitaire est préoccupante. Il faudrait qu’un télétravailleur n’effectue pas plus de 2 jours ouvrés par semaine. Sans lien social, un salarié décroche inexorablement de son métier. Et malheureusement, le temps n’améliorera pas cette situation, bien au contraire ! Je suis peu optimiste quant à la reprise. Il existe une modification des comportements et des relations employeurs-salariés. L’entreprise devient le « bouc émissaire » du mal être existant. C’est un fait et cette période de covid n’a fait qu’exacerber, qu’amplifier ce phénomène.
Est-ce à dire que les salariés se désengagent ?
Je pense que c’est le cas pour une partie d’entre eux. Force est de constater que, les relations professionnelles se dégradant, la qualité même du travail s’en fait ressentir. Bon nombre de salariés n’hésitent pas à demander à leur employeur, en cette période de pandémie, de quitter l’entreprise par le biais d’une rupture conventionnelle homologuée. C’est quand même surprenant et démontre une souffrance de la part du salarié. Les paradigmes (au sens de « modèle »), les mentalités changent. Les raisons sont très nombreuses. La vie professionnelle est impactée par la vie privée. Les salariés ne gagnent pas suffisamment leur vie et le cout salarial est beaucoup trop important pour les chefs d’entreprise français. Résultat : les deux protagonistes ne sont pas satisfaits. Je pense aussi qu’il conviendrait de revoir la définition du statut de salarié qui est obsolète avec les mentalités d’aujourd’hui. Il faut « revisiter » les relations et inventer d’autres types de management. Il en va de l’intérêt des chefs d’entreprise et des salariés.
Vous évoquez souvent dans vos articles la souffrance du chef d’entreprise, pourquoi ?
Evidemment, cette souffrance existe aussi pour le chef d’entreprise, on n’en parle d’ailleurs pas assez. Bon nombre envisagent même le pire et ils ne sont pas suffisamment aidés. Aborder ce sujet reste encore politiquement incorrect, et surtout inaudible pour une partie de la population. Je ne connais pas un dirigeant qui abandonnerait son navire tant qu’il possèdera une once de santé ! Courageux, il doit affronter les difficultés quotidiennes, continuer inexorablement, y faire face. Il doit se remettre en question en permanence, envisager de nouvelles perspectives d’évolution. Il n’a pas la possibilité de fléchir, il doit tenir, même dans l’adversité. Personne n’en parle ou pas suffisamment. Sans eux, il n’y a pas d’emploi, il ne faut jamais l’oublier.
Propos recueillis par Abdel Samari