FAIT DU JOUR En pleine nature, des plateformes inspirantes au service de la préservation du patrimoine
L'artiste Franco-britannique Bruno Barbier candidate au concours économique Alès Audace avec son projet baptisé "Commencez avec une vue", lequel consiste à ériger en pleine nature des plateformes vers l'inspiration, le tout avec un respect immodéré de l'environnement.
Bruno Barbier est de ces personnages qui gagnent à être connus mais n'ont jamais cherché à booster leur notoriété. Né en 1962 à Paris, Bruno n'est qu'un enfant lorsqu'il traverse la Manche pour s'installer en Angleterre où il passera près de 30 ans. Arrivé dans le sud de la France en 2003, "juste après les inondations", le sexagénaire garde du pays de Shakespeare un humour so british et un accent qui fait parfois tiquer les Cévenols pur jus.
Qu'importe, le Parisien de naissance qui a eu "la chance" de faire deux fois le tour du monde en famille dans les années 60 aime le bassin alésien et les Cévennes qu'il entend bien les mettre à l'honneur. Celui qui a découvert par hasard l'existence d'un pan de l'histoire de sa famille lorsqu'il multipliait les plongeons dans son spot de baignade préféré à Mialet, au début des années 2000, a un projet qu'il a récemment présenté au jury du concours économique Alès Audace.
"J'ai fait Alès Audace pour valoriser l'idée plus que pour les subventions", prévient-il, tout en reconnaissant que sa participation peut "amplifier la communication". L'idée de l'artiste franco-britannique s'inspire du concept des "Ted Talks", ces conférences internationales qui ont vu le jour au mitan des années 80 et ayant pour slogan "des idées qui méritent d'être diffusées". Plutôt que dans des amphithéâtres ou des salles polyvalentes moins propices aux rêveries intelligentes, les conférences imaginées par Bruno Barbier auraient lieu en pleine nature, offrant ainsi aux participants un panorama époustouflant, d'où le nom du projet baptisé "Commencez avec une vue : plateforme vers l'inspiration".
Le dernier nommé a déjà identifié plusieurs lieux où seraient érigées des plateformes, à Saint-Hippolyte-de-Caton où il a vécu, ainsi qu'à La Bastide d'Engras, au nord d'Uzès. Mais la démarche est encore plus avancée à Saint-Césaire-de-Gauzignan où, avec l'accord du maire Frédéric Gras, les prémices d'une scène en bois ont déjà été installés au Mas Couguiou, au sommet des Paradasses, où une petite structure à l'état de ruine date de l'époque napoléonienne, tandis que certaines recherches suggèrent qu'une ruine plus ancienne (gallo-romaine) aurait existé jadis.
La vue panoramique à 270° qu'offre le Mas Couguiou, Bruno Barbier l'"adore" ! "Il n'y a aucun poteau ou câble électrique à l'horizon", fait remarquer le sculpteur. Mais à Saint-Césaire-de-Gauzignan, la démarche fait l'objet de quelques réticences de la part de certains habitants. "Elle n'est peut-être pas comprise", analyse Bruno Barbier, qui a pensé qu'un article dans la presse locale pourrait y aider. "Je ne fais que reconnaître le cadeau qui nous entoure et j'aimerais bien partager ce cadeau", clame le sexagénaire, persuadé du bienfondé de son initiative.
Il l'admet bien volontiers, une petite table d'orientation aurait pu être envisagée au Mas Couguiou pour que les randonneurs ou les passants puissent l’utiliser à leur guise, "mais je me suis vite rendu compte qu'une scène polyvalente pouvait être bien plus utile", enchaîne Bruno Barbier. Il imagine déjà les invitations in situ honorées par des conférenciers et des animateurs désireux de transmettre leur savoir au sujet du climat, de l'environnement, de la culture, mais aussi des interventions éventuelles relatives à l'éducation et à l'innovation, le tout sur une scène éco-construite en plein air.
Pour justifier sa démarche, le Franco-britannique a pris soin de compiler des études recensant les bienfaits cognitifs d'une immersion régulière en pleine nature. "Des recherches corrélationnelles et expérimentales du psychologue Marc Berman, docteur à l’Université de Chicago, et Kathryn Schertz, ont montré que l’interaction avec la nature présente des avantages cognitifs et psychologiques. Les espaces verts à proximité des écoles favorisent le développement cognitif des enfants", assure Bruno Barbier.
Un article du média The Conversation évoque plusieurs études au cours desquelles une réduction du stress et de la dépression, favorisée par l’environnement naturel et, à l’inverse, une amélioration de l’estime de soi, du sentiment de bonheur ou encore de la créativité, ont été observées. "J'ai passé des examens dans des salles complètement nulles où il n'y avait même pas une fenêtre pour regarder vers l'extérieur", se marre l'ancien étudiant des Beaux-Arts à Londres.
Et d'ajouter : "Pour des jeunes un peu perdus dans leur parcours scolaires, j'aimerais bien remuer leur esprit en les amenant sur ces plateformes." D'ailleurs, alors que l'idée germait depuis longtemps dans son esprit, le déclic est venu d'une discussion avec une habitante du bassin alésien. "Lorsqu'elle était adolescente, elle avait insisté pendant plusieurs trimestres auprès de son professeur pour faire des cours à l'extérieur. Il a fini par accepter d'y aller au moins une fois de temps en temps. Les étudiants ont adoré et cette dame s'en souvient encore aujourd'hui. Une graine a été plantée dans sa jeunesse", raconte le poétique Bruno Barbier.
Celui qui envisage de rendre accessibles ses plateformes à des petits groupes de 10 à 12 personnes par évènement afin ne pas trahir la quiétude des lieux a déjà établi un contact avec l'École des Mines. "Les élèves pourraient venir passer une journée à suivre exactement les mêmes cours mais à l'extérieur", échafaude le porteur de projet, tout en indiquant que l'accès à la scène demeurerait gratuit à l'année pour les randonneurs qui auront tout le loisir d'y pique-niquer.
Un projet de parc culturel verdoyant à Mons
Récemment, le sculpteur spécialiste du land art a jeté son dévolu sur une bâtisse en ruine à Mons, à l'est d'Alès. Une "verrue" à laquelle personne n'avait osé s'attaquer. "C'était un lieu susceptible de générer du danger pour les randonneurs. Les gens m'ont dit que j'étais fou de toucher à ça ! Je suis peut-être malade, mais regardez autour de vous et écoutez !", s'enthousiasme Bruno Barbier, nous invitant à mesurer la beauté de la vue et la tranquillité des lieux le jour de notre visite sur site. Ce dernier se souvient d'une rencontre inattendue avec un lièvre qui s'est approché à moins de trois mètres de lui alors qu'il travaillait silencieusement près de la ruine : "Je l'ai regardé en me disant que lorsqu'on s'immerge dans la nature, on devient presque invisible dans ce camouflage. C'était un contact merveilleux !"
Pour racheter cette carcasse monsoise, l'artiste a usé de toute la douceur qui est la sienne pour renouer le dialogue entre deux frères propriétaires longtemps irréconciliables. "On m'avait dit que je n'y arriverais jamais. Le jour de la signature avec le notaire, quand j'ai vu les deux frères qui étaient en train de se parler dans le jardin, émotionnellement ça m'a bouleversé", rejoue-t-il avec la même émotion. Une fois retapée la bâtisse qui restera volontairement dans son jus puisque "ne pas dénaturer l'histoire du lieu" est le trait commun à tous ses projets, Bruno Barbier profitera du terrain de quatre hectares pour y ériger deux nouvelles scènes ainsi qu'un parc culturel.
"Si le projet est bon, ça tombe du ciel"
Tel qu'il l'a présenté au jury d'Alès Audace, le sculpteur a déjà en tête le parcours de land art au sein duquel seront exposées quelques-unes de ses œuvres, dont celle pour le moins interpellante élaborée à partir de fourmis vivantes - lesquelles n'ont pas été maltraitées et remises en liberté - (voir ici). "J'appelle ça des mots vivants", sourit l'artiste, qui a astucieusement disposé de la nourriture sur son plan de travail pour attirer des fourmis, avant de les photographier dans le bon timing, formant ainsi l'éloquent mot "HELP", un "appel à sauver la nature".
Désormais, le futur monsois mise sur le "crowdfunding", autrement dit le financement participatif, pour donner corps à son projet et, là aussi, fait preuve d'une redoutable ingéniosité. Chaque contributeur sera invité à acheter une plante qui prendra racine dans son parc où 20 000 plants sont espérés. Chaque plante achetée sera référencée avec un point GPS, de sorte que le visiteur qui reviendra sur site pourra retrouver facilement sa plante. "Tu ne trouves pas l'argent, l'argent te trouve ! Si le projet est bon, ça tombe du ciel. Il faut juste transmettre un bon projet", résume Bruno Barbier, impatient de donner vie à ces projets aussi vertueux qu'audacieux en lesquels un cartésien aurait du mal à croire.