Publié il y a 1 an - Mise à jour le 06.09.2023 - François Desmeures - 6 min  - vu 1800 fois

FAIT DU JOUR Frédéric Miens, météorologue au mont Aigoual : "Les gens commencent à mesurer l'impact du changement climatique"

Frédéric Miens dans la couloir vitré du premier étage de l'Observatoire du mont Aigoual, orienté plein sud

- François Desmeures

Frédéric Miens est l'un des trois météorologues qui quitteront l'Observatoire du mont Aigoual à la fin du mois, quand Météo France aura presque entièrement confié les clés de l'Observatoire et de sa nouvelle exposition, le Climatographe, à la Communauté de communes Causse-Aigoual-Cévennes. Ces dernières années, Frédéric Miens a assisté à l'accélération du changement climatique, alors que des records sont battus chaque année sur le sommet du département. Entretien avec un météorologue sur le départ. 

Frédéric Miens est venu travailler pour la première fois sur le mont Aigoual en 2007 • François Desmeures

Objectif Gard : Depuis quand travaillez-vous à l'Observatoire du mont Aigoual ?

Frédéric Miens : Ça doit faire 16 ans. Au départ, de manière intermittente - avec des remplacements d'une semaine à quinze jours, puis plus fréquemment ensuite. Et, ces deux dernières années, par période de six mois, de l'ouverture de l'exposition à la fermeture, des vacances d'avril à celles de la Toussaint. 

Avec quels sentiments ? Celui de faire partie des "dernier des Mohicans" ?

Au départ, en 2007, il y avait une grosse équipe, c'était très convivial autour des repas du midi, du fonctionnement en général. Et puis, plus ça va, plus on a le sentiment d'être les derniers des derniers... Avec un bémol, c'est que moi je n'étais pas permanent - il ne reste que les deux historiques, Rémy Marguet et Christian Pialot. Donc, j'ai moins cette sensation qu'eux. Je suis plutôt sur la notion d'en profiter jusqu'au bout... Avec un secret espoir : si c'est un problème de personnel à Météo France, je me dis que le jour où ces problèmes seront réglés, pourquoi n'auraient-ils besoin d'une ou deux personnes ici, à l'Aigoual... ?

Concrètement, pour ce qui concerne les relevés météo, la présence humaine n'est plus indispensable...

Non, on a juste besoin d'une infrastructure. Pour le centre de tests industriels, Il peut y avoir besoin d'une maintenance du site. Mais si ça tombe en panne, comme dans toutes les stations, c'est Nîmes qui vient et qui répare. Ça fait déjà douze ans que les mesures sont automatiques. Et désormais, une partie du site de tests industriels a été rétrocédée à la communauté de communes, qui veut s'investir là-dedans. 

"Ici, c'est le mot "travail" qui change"

Qu'est-ce qui est agréable dans le fait de venir travailler à l'Aigoual ? Un côté "en dehors du monde" ? Un temps qui s'étire différemment par rapport à quand vous êtes dans les bureaux d'Aix-en-Provence ?

C'est le mot "travail", déjà, qui change. Je n'ai pas du tout cette sensation de travail. On me demande d'être en contact avec les gens, d'expliquer un métier qui est aussi une passion... On conserve un émerveillement de cet aspect naturel qui est toujours changeant, mais toujours aussi beau. Du coup, je n'ai jamais l'impression de travailler, ici. Ce qui est bien, hein (rires). Tout est naturel, notamment dans l'entraide. La semaine dernière, je suis resté, Christian avait commencé à faire une tranchée. Bah... Vous voyez votre collègue, vous allez l'aider... C'est un côté famille, tout en jouissant du paysage. 

Il n'y a pas vraiment d'horaires mais des besoins...

C'est un peu cela, même si j'ai des horaires fixés pour les visites. Mais sinon, ce n'est pas grave, on peut déborder... 

"L'année dernière, on a passé vingt fois les 25°"

Depuis 2007, qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans l'évolution climatique vue de l'Aigoual ?

Ce qui m'a marqué le plus, c'est l'année dernière. Je revenais des îles Kerguelen, qui est donc un milieu froid. Et j'aime bien les milieux pas trop chauds... Je suis venu ici en pensant prendre le frais. Mais l'année dernière, on a passé vingt fois les 25°, il a fait très chaud à partir de début mai... La polaire ne servait pas, ce qui, ici, n'est pas normal. Et puis, cette année a vu le record de la fin août (1). Mon discours avec le public de l'exposition est très axé sur "ici, on n'a jamais dépassé les 30°, venez chercher le frais chez nous"... Avec ce fait symbolique d'avoir passé les 30°, les gens commencent à comprende que le changement climatique ne veut pas dire qu'on va gagner deux degrés par jour. Mais que chaque année, on va avoir un pic exceptionnel où on notera que ça n'était jamais arrivé à cette période-là. Ça a marqué pas mal de gens... Et moi aussi. 

Vous attendiez-vous à ce que ce record tombe aussi vite (2) ?

Honnêtement, je ne pensais pas que ce serait cette année. Quand on a vu les mois de mai, juin et juillet plutôt agrébales... Les canicules après le 15 août sont quand même assez rares.

Les nuits sont restées respirables au sommet de l'Aigoual pendant la canicule ?

En altitude, on n'a pas l'effet amplitude thermique qu'il peut y avoir dans les vallées. Donc, quand il a fait 30°, on avait 21 ou 22 le matin. Soit une amplitude de 8 ou 9°. Dans les vallées, on peut facilement avoir 15 à 20° d'amplitude thermique. Puis, dans l'Observatoire, les murs sont épais, il y a toujours un peu de fraîcheur. 

"L'année dernière, on a même eu des cigales..."

Le réchauffement a-t-il fait évoluer votre activité ici ?

L'année dernière a été un peu bizarre car comme la chaleur avait duré très longtemps, on a dû s'adapter à tous les animaux. On a eu beaucoup d'insectes, des abeilles, même des cigales ! Ici... Cette année, on n'a pas vu de changement parce que la période a été très courte. Mis à part que moi, qui habite Aix-en-Provence, même si j'avais fini ma vacation le jeudi à midi, je suis resté une semaine ici, pour bénéficier de la fraîcheur relative de l'Aigoual...

Depuis l'ouverture du Climatographe, le 1er juillet, discutez-vous avec un public déjà averti sur la question du changement climatique ?

Il y a deux sortes de public. Celui qui arrive, qui ne connaît ni les Cévennes ni l'Aigoual, et qui découvre quelque chose de magnifique. Ils sont enchantés. Ils découvrent des bâtiments refaits à neuf, une exposition très intercative. Ils repartent très enthousiastes. On a aussi un public local, qui peut comparer l'ancienne exposition et la nouvelle. Et une partie d'entre eux arrive en pensant qu'on a juste refait le bâtiment, pas du tout que nous traitons désormais du changement climatique. Si vous lisez le Livre d'Or, certains se demandent où est l'ancienne exposition. 

Vous avez le sentiment que le public repart conscient du changement ?

Certains arrivent à la fin de l'exposition avec cette question : "Mais êtes-vous certain qu'on peut encore changer quelque chose ?" On est obligés d'aller au-delà de notre expertise purement météo, celle qui fait un constat, à partir de valeurs. Après, c'est le GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui fait les projections... On va un peu plus loin que notre rôle en expliquant que ce qu'on a pu faire avec le trou de la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique, qui s'est réduit en arrêtant les gaz chloroflurorés, pourquoi on ne pourrait pas le faire pour autre chose. Même si arrêter les gaz à effet de serre, ça paraît un peu plus compliqué quand même... 

Mais les gens arrivent bien sûr avec des idées, pas vierges. Ils ont aussi des enfants, qui parfois les ont sensiblisés, des grands-parents avec leurs petits-enfants... Les gens commencent à mesurer l'impact du changement. Moi, je leur illustre avec le prix de leur assurance, qui risque bien d'augmenter à court terme. Tout le monde a en tête les inondations. Mais nous, à Aix, les premières catastrophes naturelles traitées le sont pour des sécheresses. Avec l'argile qui sèche, les maison qui se fendent, etc. Ça interpelle, les gens sont réceptifs. Même si on a encore quelques personnes qui viennent nous voir suspicieux, en nous demandant si c'est bien avéré tout ça, si c'est bien l'homme qui en est l'origine, etc. 

N'est-ce pas, justement, désespérant pour un homme comme vous, d'assister, notamment sur les réseaux sociaux, à une forme de recul de la légitimité de la connaissance scientifique ?

C'est plus compliqué pour le GIEC, qui est dans la prospective, dans les aboutissements d'éventuelles politiques. Nous, on parle de données scientifiques. Une fois qu'on a dit qu'à Météo France, évidemment, on ne trafique pas les thermomètres pour avoir des données supérieures, on est juste dans le factuel. On peut contrer l'argument "Oui mais en telle année, il avait fait plus chaud". On montre que ce n'est pas une année, mais la répétition qui est importante. Petit à petit, on démonte les arguments, tranquillement. On explique certaines incidences sur les arbres ou les fleurs. J'espère que les gens y sont sensibles. 

Vous pensez revenir à l'Observatoire, après le 30 septembre ?

(Il hésite) Pour l'instant, non. J'adore la région, je reviendrai y faire du vélo ou de la randonnée. Mais à l'Observatoire... C'est une maison et on me dit d'en sortir, même si je sais que j'y serais toujours bien accueilli... Je reviendrai si Météo France réinvestit le site. Il y a un côté très affectif, au bâtiment et à la famille d'ici... Revenir pour être tout seul... (Il souffle) Déjà que ça fait quelques années qu'on est seul le soir. Avant on discutait, on refaisait l'exposition, j'aimais bien prolonger mes vacations pour arriver la veille et repartir plus tard... Non, dans un futur proche, je ne pense pas revenir. 

(1) Le 23 août, l'Observatoire du mont Aigoual a enregistré, pour la première fois depuis le début des relevés, en 1896, une température supérieure à 30°, avec 30,4°. 

(2) Le précédent record, de 29,9°, datait du 28 juin 2019.

François Desmeures

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