FAIT DU JOUR Après 20 000 ans sous terre, l'art refait surface à Bellegarde
Entre Nîmes et Arles, une équipe d'archéologues de l'Inrap a découvert des gravures du paléolithique récent lors de la fouille d'un site à Bellegarde.
Profils de chevaux réalisés sur de petites plaquettes de calcaire gréseux, découvertes exceptionnelles par leur localisation et par leur âge, en date, qui plus est, du tout début du Magdalénien et comptant ainsi parmi les plus anciennes œuvres connues pour cette culture du paléolithique.
Certains croiront encore qu'il s'agit de Julie Piétri chantant Magdalena, aucun lien. Le Magdalénien est vieux sans trop l'être, disons qu'il se situe entre -20 000 et -10 000 avant le présent. Avant lui, l'Aurignacien et le Gravettien marquent les débuts du paléolithique supérieur (récent) mais ces périodes se situent avant le néolithique, période des débuts de l'agriculture.
Donc, avant cela, l'Homme, sorti d'Afrique une nouvelle fois, arrive en Europe et passe par chez nous pour aller plus loin sur le territoire et fixer les limites de ses conquêtes. On parle toujours, et avec raison, des grottes de Lascaux mais les Hommes étaient arrivés au bout de leur chemin, dans le cul-de-sac du continent européen. À Bellegarde, ils sont sans doute encore en route.
Avant d'arriver au bout du bout, ici sur le plateau de la Costières, ils ont aussi laissé leurs traces. Le site sur lequel a eu lieu les fouilles est aujourd’hui un site d’enfouissement de déchets relativement dangereux qui gisent à 70 mètres sous terre pour l'éternité ou presque… bref. Cela aura au moins permis de sauvegarder par l’étude le passé historique de ce secteur car son futur sera à coup sûr moins glorieux pour l’humanité.
On va se rattraper. « Voir un petit cheval gravé il y a 20 000 ans… Ça ne laisse personne indifférent ! », lance Vincent Mourre, qui détaillera les fouilles effectuées. Marilyne Bovagne, responsable des fouilles pour l’Institut national de recherches archéologiques préventives, plante le décor : « Le site fait 25 hectares et le diagnostic établi a révélé des phases d’occupation au paléolithique supérieur jusqu’à la période médiévale. La fouille d’ampleur a été prescrite sur six hectares et à l’intérieur on retrouve toutes les périodes avec un millier de structures. C’est un site très attractif au fil des âges, grâce à sa source et à ses ressources environnantes. »
Entre Nîmes et Bellegarde, à deux pas de l’autoroute, il y a plusieurs millénaires passaient des Hommes. L'archéologue Vincent Mourre reprend : « Nous sommes très fiers de vous présenter le résultat partiel des fouilles de Bellegarde car nous avons des expressions artistiques du Magdalénien. »
En général, à l’énoncé de ce mot, les yeux brillent et on s’imagine dans les grottes de Lascaux ou Cosquer. Que nenni ! Ici, c’est un site à l’air libre, une rareté. Ces découvertes sont novatrices, notamment dans l’art mobilier. Les caractéristiques ? Pour Vincent Mourre, tout y est : « Il y a l’exploitation du renne, très chassé car il faisait encore bien froid. Les industries retrouvées sont elles aussi très caractéristiques du Magdalénien tout comme les expressions artistiques. »
Pas franchement facile de s’y retrouver car comme toujours notre région est frontalière. D’un côté, on a le Magdalénien qui file jusqu’au Sud-Ouest et la côte cantabrique, de l’autres vers l’Italie on trouve ce que l’on appelle l’Épigravettien. Bellegarde est pile au milieu, comme le Rhône qui est proche et qui a dû ralentir les échanges entre les uns et les autres. Deux cultures différentes dont on commence à connaître les différences.
À Bellegarde, au pied du plateau de la Costière, coule une source. D’ici et de tout temps on regarde la Camargue au loin, on observe les troupeaux à chasser. « On a fouillé une zone de 2000m2 pendant six mois. On a cinq phases d’occupation pour une dizaine de niveaux. Les industries sont très petites donc nous avons tout passé au tamis et les plus anciens niveaux sont à sept mètres en-dessous du niveau du sol actuel ! »
94 faits archéologiques, c’est beaucoup mais parmi eux, une trentaine de foyers, dix zones de combustion, plusieurs fosses… Le travail méticuleux des archéologues donne une incroyable séquence. « Il y a une belle cohérence entre les datations et nos observations. On arrive à savoir que ces humains sont venus chasser le renne à la bonne saison ! », ajoute Vincent Mourre.
Du Magdalénien inférieur initial (il y a plus de 22 000 ans), les archéologues ont sorti de terre un crâne de cheval, des silex de la Costière taillés, des grandes dalles avec sans doute du pigment (dalles qui étaient dressées au cœur des lieux de vie de l’époque ce qui pose de nombreuses questions car cela est inahituel) et des éléments de parure tels des coquillages percés avec des traces d’usure. « Sur une petite plaquette on a observé les gravures de trois profils de chevaux. Sur une autre, un cheval isolé mais avec des détails anatomiques très précis et de petites oreilles en antennes ce qui suppose un style bien connu et que l’on retrouve par exemple à Lascaux. »
Du Magdalénien moyen, il y a environ 18 000 ans, on voit d’autres éléments de la vie. « La végétation comprenait des feuilles car nous voyons des bouleaux. On a également trouvé des rennes chassés et une autre œuvre d’art figurative. Les procédés sont différents par rapport aux industries du début du Magdalénien. » Une pointe de lance cassée à son extrémité, en corne ou os animal, a, elle aussi, été mise au jour. Mais la surprise vient maintenant : une autre œuvre d’art est sortie de terre. « C’est une vulve autour de laquelle on voit clairement le départ de deux jambes. Un seul exemple quasi identique a été localisé et c’est en Dordogne. »
Passons à présent aux périodes plus récentes. Il y a entre 4 000 et 2 000 ans, le site reste important. Pour Marilyne Bovagne : « C’est le seul exemple languedocien que nous ayons qui montre une occupation aussi importante sur une longue durée. Nous avons beaucoup de céramiques et de restes fauniques comme les bois de cervidés ou d’animaux plus domestiques. Sous l’Antiquité, on voit des fossés se creuser, ils devaient servir à juguler les eaux torrentielles. On a aussi deux grands fours de potiers, des vignes et de la production de chaux ainsi que des terrasses artificielles. »
Hiatus d’un millénaire ou presque, et nous voilà au Moyen-Âge, entre 1300 et 1350. « Il y a un fossé et un chemin. Nous voyons deux bâtiments construits en terre crue dont un a une étable car nous y avons retrouvé un ciseau qui servait à la tonte des moutons. Y avait-il un lien entre ces paysans et le Prieuré qui est à quelques centaines de mètres ? En tout cas, cette disposition est nouvelle en Languedoc car nous n’avions pas, jusqu’alors, d’habitat rural dispersé. Nous avons aussi trouvé un verger et des exploitations comme nous le faisons encore aujourd’hui dans ce secteur », conclut Marilyne Bovagne.